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La place de l’élu local dans des concertations qu’il n’a pas initiées : dynamiques exogènes,

CHAPITRE 3. LES ELUS LOCAUX DANS LA CONCERTATION

3.3. La place de l’élu local dans des concertations qu’il n’a pas initiées : dynamiques exogènes,

L’élu local peut mettre en place des concertations, mais il peut aussi être sollicité pour participer à des concertations engagées au sein de son territoire par d’autres acteurs (dynamiques endogènes), ou venues d’ailleurs, souvent d’un niveau supérieur (dynamiques exogènes). L’élu local n’est plus le leader de l’action, mais il doit s’y positionner avec un rôle particulier.

3.3.1. Dans des concertations venues d’ailleurs : un rôle de porte-parole d’intérêts reconnus légitimes

Lorsque la concertation vient d’ailleurs, l’élu local se positionne d’abord comme représentant d’intérêts locaux qu’il considère légitimes. Les propos d’un maire impliqué dans les groupes de liaison mis en place par EDF et qui soutient le projet de Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat, sont édifiants à ce sujet : « il y aurait eu une opposition des pêcheurs et des ostréiculteurs, cela aurait été différent ». Elle reconnaît qu’elle aurait alors soutenu la position des pêcheurs, certes à contrecoeur car elle est intéressée par ce projet et finalement, « s’il y avait eu une opposition de la part des pêcheurs, c’est sûr que ça tombait à l’eau ». Elle n’évoquera pas les intérêts des pêcheurs plaisanciers et affirme qu’elle ne se serait pas opposée à l’installation d’éoliennes, dont les impacts visuels sont souvent l’objet de vives oppositions de la part des résidents secondaires. Elle opère donc une sélection dans les intérêts représentés, en fonction de certains principes de légitimité : l’ancrage d’un groupe social et de son activité dans le territoire, ce que ce groupe et son activité apportent au territoire en termes économique mais aussi en termes d’image, semblent être des critères déterminants. Dans ce contexte, certains groupes locaux parviennent très difficilement à se faire reconnaître une légitimité : c’est le cas des résidents secondaires, même dans des communes où ils sont majoritaires. Ce n’est donc ni une question de nombre, ni une question de poids dans l’économie locale, mais d’autres principes de légitimation sont convoqués. L’élu local a donc certes un point de vue personnel mais aussi un rôle de porte-parole d’intérêts locaux qu’il reconnaît légitime : c’est à la fois un censeur et un porte-parole.

3.3.2. Le garant d’un intérêt territorial, à l’interface entre l’intérêt individuel et l’intérêt général

Que la dynamique soit exogène ou endogène au territoire, l’élu local joue ensuite un rôle de représentant d’un intérêt territorial qui dépasse tant l’intérêt d’un groupe qu’une somme d’intérêts individuels. Il s’ensuit une première difficulté de positionnement, des groupes de citoyens jugeant que l’élu est là pour représenter leurs intérêts ou tout au moins les intérêts localement exprimés. Or certains intérêts, notamment environnementaux et patrimoniaux, ne s’expriment pas directement. Dans le cas du Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat, une élue locale évoque la position d’opposants locaux à la localisation du câble d’atterrage, qui proposaient un autre site plus loin de chez eux, situé

dans une zone naturelle protégée : « chacun a son petit domaine… mais l’environnement, c’est sur l’ensemble de notre territoire qu’il faut le protéger ». Cet exemple est emblématique de situations délicates pour des élus confrontés aux associations de défense d’un intérêt localisé et qui doivent défendre un intérêt territorial.

Face aux associations de défense d’intérêts localisés, l’élu local, ancré dans la République, se positionne aussi comme un représentant de l’intérêt général, ce qu’illustraient très bien les propos de Martine Aubry cités dans le rapport bibliographique (ainsi résumés : nous décidons qu’il faut des logements sociaux car cela répond à l’intérêt général : ce n’est pas discutable, par contre nous voulons bien discuter de… ). Mais lorsque l’intérêt général, notamment environnemental, heurte un intérêt territorial, parfois également environnemental, surgit une autre difficulté de positionnement pour l’élu local. On s’aperçoit que les élus se positionnent de diverses façons, selon leur sensibilité mais aussi leurs ambitions, entre l’intérêt général et l’intérêt territorial. Certains sont des élus de la république avant d’être les élus d’un territoire, alors que c’est le contraire pour d’autres élus.

Notons que lorsque l’Etat est absent, l’élu local prend souvent explicitement la position de représentant de l’intérêt général, en plus de celle de représentant de l’intérêt territorial. Mais lorsque l’Etat est présent, notamment dans des concertations exogènes, l’élu local se trouve confronté à une représentation de l’intérêt général et se sent parfois ignoré. Par exemple dans le cas des éoliennes en mer, un maire reconnaît que le Domaine Public Maritime est bien le domaine de l’Etat… « sauf que l’élu local est celui qui porte l’intérêt du territoire. Il nous est insupportable d’imaginer que l’on puisse seulement servir de prise d’électricité »

Lorsque l’Etat porte et pilote le projet, certains élus préfèrent se mettre en retrait. C’est le cas à Dijon, lorsque l’Etat porte le projet de LINO. Un élu dit ainsi de sa mairie qu’elle « n’est pas positionnée comme un relais Etat/citoyen », mais assure simplement une information minimale et redirige vers les services de l’Etat. A l’heure actuelle où les travaux se réalisent, elle « veille à ce que les choses évoluent bien ». Malgré le fait que le projet est décrit par les élus eux-mêmes comme « un projet intercommunal fort, porté par tous [les élus] car indispensable » et où le Grand Dijon a un poids en terme de prise de décision (il finance à hauteur de 22,5%), les élus locaux restent éloignés du dossier car l’Etat le pilote. Un élu souligne « on est plus spectateur qu’acteur dans ce dossier » ; un autre dit « on sait que ça avance, mais on ne sait pas bien où on en est. Les gens savent pas bien, il n’y a pas régulièrement de réunions d’informations ». Ce maire nous précise qu’il ne participe pas aux réunions organisées par les services de l’Etat sur le projet « car c’est jouer le jeu des opposants : ce serait prendre le maire à témoin. C’est le maître d’ouvrage qui gère, s’il doit informer le public, c’est eux qui le font (…) s’il y a des opposants, on leur dit de s’adresser aux porteurs du projet ».

Tout ceci illustre les difficultés rencontrées par des élus « pris en sandwich » et voués à jouer un rôle d’interface dans lequel ils adoptent des postures diverses et essuient souvent des critiques de toute part.

3.3.3. Un rôle clé de médiation et d’intermédiation locale, qui sert la concertation

La posture de l’élu, entre intérêts locaux et généraux, est donc particulièrement délicate. C’est une posture d’interface mais surtout de médiation, qui lui prend beaucoup de temps et d’énergie, sans être réellement reconnue.

C’est ce que souligne une élue, qui évoque notamment le travail de médiation et d’intermédiation implicitement demandé aux élus dans le cadre du projet de Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat. Dans le cadre de ce processus, les élus ont participé aux groupes de liaison, puis ce sont eux qui diffusent l’information et expliquent les choses localement « car les gens s’informent notamment auprès des élus ». Cette élue poursuit en affirmant qu’« avec la réforme territoriale, on dit qu’on n’aura plus besoin des mairies. Moi, je dis qu’on aura de plus en plus besoin des mairies. Car tout le monde n’a pas la chance d’avoir fait des études, d’avoir un niveau social… Les gens appellent la mairie, c’est la base. Le relationnel est très important : c’est un rôle essentiel des élus ».

Plus qu’une intermédiation ponctuelle, le rôle de l’élu local est très important pour tisser un réseau de relations sociales locales, qui est une ressource-clé lorsqu’une concertation s’engage. Dans le cas de Paimpol Bréhat, le Comité des Pêches et une élue évoquent l’existence d’un « vrai tissu » de relations,

comme un facteur très favorable à la concertation. Le Comité Local des Pêches est par exemple présent dans le SCoT, le SAGE et un groupe de travail sur la Gestion Intégrée de la Zone Côtière. Les élus participent également à de nombreuses instances qu’ils contribuent à mettre en place et qui créent le « tissu » qu’ils évoquent. Certains élus souhaiteraient que leur action, à ce niveau, soit mieux reconnue, car elle contribue de façon déterminante au succès de toute concertation, qu’elle soit endogène ou exogène au territoire.

3.3.4. L’élu local, pour arrimer l’exogène et l’endogène ?

De fait, l’élu local est à la fois un représentant du territoire auprès de l’Etat et le représentant d’intérêts supra-territoriaux au sein du territoire. Peut-il être mobilisé pour articuler, arrimer des dynamiques de concertation exogènes, qui s’imposent au territoire comme le sont par exemple les processus liés aux projets d’énergies renouvelables et des dynamiques de concertation endogènes propres au territoire ? Cet arrimage pose bien des problèmes, comme nous l’avons déjà souligné dans d’autres travaux (Beuret et Cadoret, 2011). Des problèmes surgissent à la fois lorsque la greffe d’un processus exogène s’opère mal (par exemple dans le cas des éoliennes en mer, avec des difficultés évoquées ultérieurement), ou lorsqu’une dynamique endogène suppose une reconnaissance externe, globale. Par exemple le cahier des charges d’éco-quartier carribbéen, issu d’une concertation locale, restera sans valeur s’il n’est pas reconnu par l’Etat, or on constate là encore des difficultés d’articulation. Le député maire de Fort de France, actif à la fois localement et sur la scène nationale dans la lutte contre le logement insalubre Outre Mer (et auteur d’une loi sur ce sujet), pourrait jouer un rôle de passerelle entre les niveaux locaux et nationaux. Il apparaît que les élus locaux ont un rôle à jouer pour arrimer des dynamiques endogènes et exogènes, mais ils se plaignent de ne pas être suffisamment écoutés dans le cadre de dynamiques exogènes ou pour faire reconnaître des dynamiques endogènes. Ce sont souvent de grands élus, ayant à la fois une dimension locale et une dimension nationale qui auraient les moyens de le faire, mais ils sont souvent peu disponibles.

Il nous semble qu’un rôle devrait être plus clairement reconnu aux élus locaux dans l’arrimage de l’endogène et de l’exogène. Ceci suppose que l’Etat leur fasse confiance pour jouer ce rôle, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela suppose aussi que l’existence de problèmes de ce type soit mieux reconnue.