• Aucun résultat trouvé

Lorsqu’il s’agit d’engager des concertations : différents profils d’élus

CHAPITRE 3. LES ELUS LOCAUX DANS LA CONCERTATION

3.1. Lorsqu’il s’agit d’engager des concertations : différents profils d’élus

3.1.1. Un contexte qui impose la concertation comme une référence obligée… mais pas encore partagée

L’ensemble des élus locaux évolue dans un contexte marqué par plusieurs éléments déterminants quant à leur engagement dans des concertations, ainsi décrits par Yves Brien :

« La concertation est toujours de plus en plus présente, y compris dans les textes de loi ». Ceci signifie qu’à côté des obligations réglementaires qui s’imposent aux élus, la concertation est de plus en plus présente dans les discours, les actes, ce qui l’impose dans la vie publique. Si certains élus pouvaient être sourds à certaines exigences de concertation et de participation, cette posture est de plus en plus difficile à tenir.

« Les Collectivités Publiques Locales ont été poussées par les règles et par la nécessité de prendre en compte les paroles d’habitants de plus en plus aptes à s’exprimer… y compris si c’est un avis NIMBY ». L’un des moteurs de la concertation est donc la capacité des habitants à s’exprimer sur et dans la vie publique, capacité qui a considérablement progressé.

Dans ce contexte, la concertation s’impose comme une référence obligée, mais pas vraiment partagée tant les pratiques sont diverses. Selon Yves Brien, « on observe des concertations-alibis sur des sujets sensibles » : on parle alors de « concerter les gens », ce qui vise à obtenir des arguments pour « faire passer » le projet. Alors que certaines démarches, comme le souligne une élue écologiste, relèvent bien plus de la communication que d’une concertation, d’autres vont très loin en matière de construction collective, comme dans le cas du projet de Parc Naturel Régional du Golfe du Morbihan. Comme nous l’avions posé dans l’hypothèse n°1, il e xiste à l’évidence différents profils d’élus qui déterminent en partie cette diversité de pratiques.

3.1.2. L’élu « hyper-motivé », qui développe des concertations et prend des risques

Pour certains acteurs, la concertation est liée à des valeurs démocratiques et sociétales. Ce sont des acteurs associatifs mais aussi des élus : Yves Brien rappelle que l’« on observe des élus qui sont des hyper-militants de la concertation ». Ils engagent des concertations non seulement pour servir leurs projets de territoire mais aussi afin qu’elles aient valeur d’exemple. Certains élus de la mouvance écologiste, à l’image de Joël Labbé ou d’autres élus locaux évoqués par certaines personnes interviewées, recherchent clairement cette exemplarité dans le domaine environnemental, afin

d’entrainer d’autres collectivité publiques locales dans cette voie. Ces élus sont généralement très conscients de ce que la concertation requiert, en termes de compétences notamment. Et vont généralement raisonner et structurer des démarches de concertation qui se veulent conséquentes et bien menées.

Certains de ces élus ont un engagement environnemental, sans que cela ne soit systématique. Leurs engagements environnementaux et en faveur de la concertation sont alors difficilement dissociables et s’inscrivent dans une logique du Développement Durable qui fait de la participation et de la gouvernance une condition d’un tel développement. Le cas de Joël Labbé, maire de Saint Nolff et président du Syndicat Intercommunal qui porte le projet de PNR du Golfe du Morbihan, est emblématique de ce profil. De nombreux projets environnementaux ont vu le jour dans sa commune, chaque fois mis en discussion.

Cette posture comporte des risques. Yves Brien souligne le fait qu’ « ils peuvent jouer leur mandat là- dessus, notamment quand la concertation permanente débouche sur l’inaction ». Sans parler d’inaction, la concertation est parfois mal comprise du fait de la faible visibilité de ses produits. Un autre risque est mis en avant par Joël Labbé, selon lequel l’ouverture à la concertation peut être mal comprise par ceux qui sont invités à y participer et n’en saisissent pas toujours les limites. Il évoque des ajustements nécessaires lorsque sa commune s’est engagée dans un Agenda 21, avec la mise en place d’un « Comité de Pilotage » - termes sans doute mal choisi - constitué de citoyens. Ils se sont approprié des sujets relatifs au développement durable et ont construit des propositions. Les élus « sont apparus comme des censeurs », lorsqu’ils ont rejeté certaines propositions qui n’étaient pas viable, soit financièrement, soit sur le plan juridique. Ceci a posé la question du « comment travailler ensemble » et a mis les élus dans une position délicate. Finalement, le comité de pilotage est devenu une association indépendante, dont deux représentants participent à tous les comités consultatifs mis en place au sujet de chaque politique de la commune : cela permet de faire le lien entre la réflexion sur l’Agenda 21, les projets de la mairie et les apports des élus. Avant que cet ajustement ne clarifie les choses, les élus s’étaient mis dans une situation à risque.

3.1.3. L’élu contraint, qui ferme le jeu tant qu’il le peut

On trouve ensuite des élus qui ne s’ouvrent à la concertation que s’ils y sont obligés et vont tenter par tous les moyens d’en limiter l’ouverture. Dans le cadre de cette étude ou via d’autres travaux, différents arguments nous ont été donnés par ces élus, justifiant leur position. Selon l’un d’entre eux, « la concertation crée des besoins » : elle permet à des attentes et demandes de s’exprimer, face auxquelles l’élu se sent obligé d’apporter des réponses, alors qu’il n’en a pas toujours les moyens. L’élu craint les expectatives soulevées par la concertation et préfère ne pas offrir de lieu d’expression à ces attentes et demandes. Un autre élu rappelle que « c’est l’élu qui décide » : l’élu craint, en ouvrant le jeu, de ne pas pouvoir fixer la frontière entre ce qui est du ressort de la démocratie représentative et ce qui relève de la participation. Il peut avoir peur de perdre des prérogatives et/ou de devoir faire face à une certaine confusion.

Ces craintes le conduisent à « fermer le jeu » au maximum, c'est-à-dire qu’il ne va mettre en place de processus de concertation que s’il y est contraint par la loi et il va le faire a minima. Il en résulte des concertations qui, par exemple autour d’un SCoT, se résument à deux réunions publiques autour desquelles une publicité est donnée afin de montrer que « l’on concerte », mais qui réunissent très peu de participants, aucun efforts n’ayant été consentis pour une mobilisation effective.

3.1.4. Une majorité d’élus entre prudence et intérêt

Entre ces deux pôles, la majorité des élus semble « balancer » entre prudence et intérêt. Ils se situent dans le gradient qui relie ces deux pôles, tout en mettant en place des processus qui, lorsqu’ils ne répondent pas à une obligation, répondent avant tout à une certaine pragmatique. D’un côté leur intérêt pour la concertation n’est pas suffisant pour les inciter à mettre en œuvre des processus de concertation en l’absence de motifs purement pragmatiques. D’un autre côté, leurs craintes ne suffisent pas à les empêcher d’en mettre en œuvre si leur pragmatisme leur suggère que la concertation peut servir leurs projets et ambitions. La perspective d’un bénéfice politique fait partie des paramètres pris en compte.

Cette approche pragmatique s’est imposée au cours du temps, jusqu’à faire entrer la concertation dans les « pratiques publiques nécessaires », termes employé par un élu dont les propos illustrent

bien la posture de ces élus : « pour moi, la concertation fait partie des pratiques publiques nécessaires (…), mais au final, c’est le représentatif qui doit décider, après la concertation ». Il ajoute qu’« une concertation maximale et permanente fait que l’on a du mal à avancer » et qu’il faut donc trouver un juste équilibre.

Parmi ces élus, certains sont conscients des compétences et de l’investissement à réaliser pour mettre en œuvre de réelles concertations, mais d’autres n’en ont pas conscience : la réunion publique est alors un format d’échange très récurrent, sans qu’aucune action ne soit mise en place en amont pour créer les conditions de la mobilisation et de la participation. Certains de ces élus sont alors déçus des résultats obtenus, ce qui les conforte dans un intérêt modéré pour la concertation.

D’autres élus mettent en place des concertations sérieuses, basées sur une méthodologie, des compétences et un temps suffisants. Mais on constate qu’ils peuvent, au même moment, investir sur de vraies concertations dans certains domaines et investir très peu sur d’autres concertations qui se limitent à quelques réunions ponctuelles. Tout dépend des enjeux et de leurs objectifs et là encore, c’est une approche très pragmatique du rapport entre l’investissement et les bénéfices attendus qui l’emporte.

Ceci nous conduit à remettre en cause le caractère déterminant des profils d’élus, tels qu’ils figurent dans la typologie de Ballan (2002) ou dans la typologie présentée dans notre hypothèse n°1. Ils n’expliquent qu’une partie de la réalité, car d’une part chaque élu adopte des comportements différents selon les situations rencontrées, d’autre part son comportement est largement déterminé par une analyse des risques et bénéfices escomptés. Nous allons maintenant analyser plus en détail ce qui compose cette pragmatique de la concertation.