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CHAPITRE 1. POURQUOI LES ACTEURS ENGAGENT-ILS DE TELS PROCESSUS ?

1.3. Informer, s’informer, s’exprimer

1.3.1. D’abord informer

L’une des fonctions de base de la concertation est très souvent de fournir des informations aux autres acteurs afin de favoriser la compréhension d’enjeux - le plus souvent d’enjeux territoriaux dans les cas étudiés - en vue de faciliter une acceptation sociale et éventuellement l’appropriation d’un projet ou, par exemple, de gestes éco-citoyens. Et dans certains cas, si un avis peut être demandé aux acteurs, le promoteur de la concertation n’attend pas spécialement d’informations nouvelles de la part de ses interlocuteurs. Les procédures d’enquêtes d’utilité publique, comme celles du projet de LINO, sont souvent pensées de cette façon et les outils de mobilisation répondent alors à ce type d’attentes : les citoyens sont invités à se rendre en mairie pour s’informer sur le contenu du projet, puis à donner leur avis. Ne viennent que ceux qui s’intéressent à la problématique, et les promoteurs du projet ont peu d’attentes par rapport aux avis exprimés.

Informer pour permettre aux acteurs de se saisir de certains enjeux territoriaux est donc l’un des objectifs centraux de nombreuses concertations locales, comme à Méricourt l’Abbé, car l’appropriation et l’acceptation d’un projet passe par sa compréhension. A Méricourt l’Abbé, la mairie et les partenaires de l’AEU veillent à informer les citoyens pour qu’ils comprennent que leur territoire s’inscrit dans des dynamiques territoriales plus larges. Ainsi les acteurs institutionnels et notamment l’Agence d’Urbanisme du Grand Amiénois apportent une vision globale du territoire en explicitant les enjeux de l’AEU à l’échelle du Grand Amiens et les liens avec les orientations du SCOT. A l’échelle régionale, il s’agit d’expliquer le lien entre le projet et les problématiques du transport et de la périurbanisation, ce qui est mis en avant par la Région et le CAUE. A l’échelle nationale, c’est notamment l’ADEME qui resitue le projet dans les orientations et directives environnementales du Grenelle de l’Environnement. Les citoyens s’ouvrent à des réflexions multi-scalaires.

Dans certains cas, la diffusion d’informations aux citoyens est négligée par des porteurs de projets qui considèrent que les informations sont accessibles et font peu d’efforts pour les expliciter. Les associations font alors souvent office de relais auprès des citoyens, notamment sur des sujets techniquement complexes comme la dépollution d’un site industriel, ou les grands projets d’aménagement : la concertation sert là aussi à expliciter les choses, mais de façon plus indirecte.

Dans le cas de procédures réglementaires, liées au code de l’environnement, les porteurs de projet d’aménagement sont conscients que fournir des éléments de compréhension d’un projet permet de favoriser son acceptation, mais ils précisent également que l’apport d’informations (accès aux études des maîtres d’ouvrage) offre aussi des éléments dont se saisissent les opposants pour parfaire leurs

argumentaires et se radicaliser. Ceci engendre une réticence à la diffusion d’informations, évoquée dans le cas de la LINO mais également de grands projets d’équipement où la CNDP est saisie. Finalement, un ancien élu municipal souligne le fait qu’il existe un manque d’information sur certaines problématiques, que davantage d’information est nécessaire, mais finalement, il précise en poursuivant sa réflexion : « je ne sais pas s’il faut vraiment informer »... Malgré l’obligation légale désormais inscrite dans la constitution française, selon laquelle « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites prévues par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques », certains élus hésitent entre diffusion et rétention de l’information.

Qu’il y ait blocage ou non, l’accès à l’information permet aux citoyens de mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’un projet d’aménagement et son inscription dans les territoires. Cette compréhension est le gage de l’appropriation d’un projet, lui-même gage de son acceptation, mais ce n’est pas parce que l’on comprend que l’on accepte. Le Vice-Président de la CNDP précise d’ailleurs « toutes les démarches CNDP ont été faites pour les projets soient mieux acceptés. Je pense que les projets ne sont pas mieux acceptés, mais ils sont mieux compris ».

1.3.2. Informer et/ou être informé

Dans certains cas, la concertation est vue comme un simple canal de diffusion d’informations - parfois soigneusement triées – et d’explication des enjeux. Dans d’autres cas, le promoteur de la concertation est ouvert à une collecte d’information, ou en fait l’un de ses objectifs. Quelles informations s’agit-il de collecter ? Celles-ci portent d’abord sur le jeu d’acteurs : qui sont les parties prenantes intéressées par l’objet sur lequel porte la concertation ? Il s’aperçoit fréquemment que je jeu des acteurs est plus complexe qu’il ne le pensait et les catégories de participants auxquelles il s’adresse (« les habitants », « les agriculteurs »…) tendent presque toujours à se fractionner. Les informations collectées portent ensuite sur les besoins et attentes de chaque catégorie de partie prenante. Elles portent enfin sur la problématique considérée, les savoirs locaux venant compléter sa connaissance des choses. Par exemple dans le cas du parc hydrolien de Paimpol Bréhat, comme le souligne une élue, ce que défendent les pêcheurs, c’est aussi l’environnement car leurs craintes portent sur les conséquences sur la ressource : « pour le tracé du câble, ils disent ici il y a des praires, ici du maërl… ». Ces connaissances familières sont valorisées.

Finalement, nous distinguons ici trois niveaux d’ouverture du promoteur de la concertation à la participation des autres acteurs, cités ici par ordre croissant, avec des objectifs de :

• Diffusion d’informations de façon univoque

• Diffusion d’information et ouverture à la réception d’informations • Diffusion d’informations et collecte d’informations

Notons que, même lorsque le porteur du projet n’a qu’un objectif d’information des participants, sans avoir d’attentes ni même d’ouverture à une certaine réciprocité, il collecte très généralement des informations, parfois à son insu.

1.3.3. S’informer, mais aussi permettre l’expression : utile mais non suffisant

Au-delà de l’échange d’informations, la concertation offre un lieu d’expression considéré comme essentiel par certains. Un agent de l’ADEME précise que « pour les habitants, c’est un lieu d’expression et de prise de connaissances ». C’est parfois le fait même de pouvoir (enfin) s’exprimer qui est mis en avant, plus que le contenu des informations données ou reçues. Nombre d’acteurs locaux insistent sur l’importance qu’ils attachent au fait de pouvoir s’exprimer. Ainsi, pour une élue locale, la concertation, c’est (d’abord) « trouver une oreille attentive », « pouvoir évoquer tous les sujets ». De même, pour le Comité Local des Pêches de Paimpol, la concertation, c’est d’abord « avoir les moyens d’expliquer nos attentes, notre métier » et l’ « on est jamais plus heureux que quand on nous demande ce que l’on en pense (…). Jamais personne ne se fera mal recevoir en nous demandant qui nous sommes et ce que l’on souhaite. J’y vois réellement l’occasion de s’exprimer ». L’enjeu sous-jacent est de permettre une catharsis, l’expression des ressentis et émotions, ce qui a pour effet de faire baisser les tensions et, déjà, de provoquer une certaine satisfaction individuelle. C’est aussi d’apporter à chacun la reconnaissance qu’il attend : le fait de pouvoir s’exprimer face à des décideurs perçus comme inaccessibles est vécu comme une reconnaissance. Enfin, comme l’exprime une élue de façon très imagée en affirmant préférer « le chien qui aboie à celui qui ne dis

rien puis te mord la cheville par derrière », le fait que les points de vue soient exprimés intéresse aussi les décideurs qui y voient, au-delà de la tension parfois vécue lors de l’expression d’une certaine colère, un processus qui évite des modalités d’expression plus insidieuses.

Nos interlocuteurs qui ont soulignés l’intérêt de pouvoir s’exprimer ont tous été entendus dans les processus de concertation évoqués. Ce n’est pas le cas d’autres acteurs qui dénoncent des concertations qui n’ont d’autre fin que d’offrir un espace de catharsis pour diminuer les tensions, sans n’être nullement connectées à une réflexion plus large sur l’objet de la concertation et encore moins connectées à la prise de décisions. Un apaisement temporaire est alors suivi d’un regain de tension, les acteurs percevant ceci comme une manipulation. Le revers de la médaille est en effet que certains acteurs n’engagent de concertation que pour informer, permettre à leurs interlocuteurs de s’exprimer et d’évacuer ainsi certaines tensions, mais se contentent de cela : sachant que cette démarche apportera un bénéfice individuel aux participants, ils en restent là et ne manifestent aucune ouverture aux informations reçues. Ceci explique la fréquence de concertations qui ne dépassent pas le stade de la « diffusion d’informations de façon univoque ». Ce fut par exemple le cas des premières réunions mises en place pour la LINO, lorsque le Conseil Général de Côte-d’Or portait le projet. Nous avons aussi clairement observé ceci dans d’autres cas étudiés parallèlement à cette étude, en assistant à des réunions de concertation (affichées comme telles) menées par des décideurs soucieux d’apaiser des tensions sans pour autant s’engager dans un réel dialogue. Ces espaces de paroles sont utiles, voire parfois indispensables, mais ils créent de nombreux déçus de la concertation dès lors qu’ils sont déconnectés d’un itinéraire de concertation : de tels cas de figure ont été longuement dénoncés par certaines des personnes rencontrées dans le cadre de la notre étude. Une association précise à ce titre que « la concertation, c’est du pipo ».