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Les élus dans la concertation : élus motivés, élus obligés

5. LES ELUS LOCAUX DANS LA CONCERTATION ENVIRONNEMENTALE

5.1. Les élus dans la concertation : élus motivés, élus obligés

La position des élus dans la concertation dépend beaucoup de ce qui les a amenés à se trouver au cœur de tels processus. Nous distinguerons deux cas de figure qui constituent des bornes extrêmes d’un gradient qui laisse la place à des situations très diverses.

5.1.1. Des élus motivés, en position de chefs de file

Certains élus sont très motivés par la concertation et sont porteurs d’un ou plusieurs processus. Nous en avons rencontré dans deux cas de figure :

 Ce sont d’abord des élus motivés par la concertation pour l’élaboration de politiques locales d’environnement, que la concertation implique ou non le grand public. C’est par exemple le Président du Syndicat Intercommunal du Golfe du Morbihan, porteur d’un projet de Parc Naturel Régional : ce syndicat anime depuis quinze ans de nombreuses concertations entre « porteurs d’enjeux » représentants différents usages du territoire.

 Ce sont ensuite des élus très motivés par la démocratie participative. C’est l’image du « démocrate », mise en avant dans la typologie des élus proposée par Ballan et al. (2002), dans leur étude sur les élus locaux dans les processus de concertation en environnement, qui « pense sincèrement que la concertation peut être un exercice démocratique au sens noble. Il investit l’espace public de débat avec l’espoir d’une reconnaissance de ce geste en faveur de la société civile ». Il y a certes un souhait de « retour sur investissement » via la reconnaissance de ce geste d’ouverture, mais celle-ci repose sur des convictions sincères

Ces élus peuvent être directement porteurs de processus de concertation : c’est un maire qui lance un projet concerté de réaménagement du centre ville de sa commune, le président d’une communauté de communes qui engage un processus de concertation pour relancer une filière de production de fraise portant le nom de sa commune (Beuret, Tréhet, 2001) ou encore le maire d’une commune littorale qui porte une concertation entre agriculteurs et ostréiculteurs autour de la qualité de l’eau, puis un diagnostic participatif de l’environnement dans la commune (Beuret, 2006).

Les inventaires et/ou analyses d’expériences locales de concertation et de dialogue territorial (Comédie, 2000, Beuret et Tréhet, 2001, Dialog, 2008, Beuret et Cadoret, 2010) montrent que les élus sont présents dans de nombreux cas, parfois en tant qu’initiateurs et porteurs des processus. Ils sont alors les chefs de file de la démarche. Les élus sont parfois associés à des processus lancés par des organisations sectorielles ou par des agents administratifs : ils n’en sont pas les initiateurs mais jouent souvent un rôle de portage et de légitimation important pour ces processus, en s’engageant personnellement à y participer et à les soutenir.

Il existe d’autres cas de figure où les élus jouent un rôle de chef de file. Ce sont des cas où un élu motivé et engagé doit tenter de convaincre d’autres élus dont l’implication est nécessaire. Ils sont parfois dans une position de « supérieurs hiérarchiques » (par exemple le maire vis-à-vis des conseillers municipaux), mais dans la majorité des cas, il s’agit d’entrainer des élus de même niveau, siégeant dans la même collectivité ou dans des collectivités indépendantes. Dans les projets de Parcs Naturels élaborés via une concertation, l’élu chef de file doit convaincre les élus des communes potentiellement membres. L’exemple du Conseil Général du Val de Marne (même s’il ne s’agit pas d’un EPCI) illustre bien les effets d’entrainement à créer au sein d’une organisation : le vice-président à la Démocratie Participative est porteur de convictions sincère et souhaite entraîner, convaincre les

autres élus et l’ensemble des agents administratifs, pour multiplier les expériences dans chacun des secteurs d’intervention de sa structure.

5.1.2. Des élus obligés et suspicieux

Nombre d’élus vivent la concertation comme le résultat d’une injonction et la subissent plus qu’ils ne la portent. Ballan et al. (2002) évoquent ainsi « l’obligation qui lui [l’élu] est faite de concerter ». Cette obligation est désormais inscrite dans des textes, avec d’une part des réglementations, d’autre part des directives diverses. Dans le domaine de l’environnement, la formule de la « gouvernance à cinq », proposée par le Grenelle de l’Environnement, rappelle cette obligation et propose un partenariat institué. La gouvernance à cinq consiste à négocier entre cinq corps constitués : l’Etat, les collectivités locales, les acteurs économiques, les syndicats, les associations de protection de l’environnement. Elle est notamment rappelée dans le récent rapport du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, (2010), sur « la gouvernance concertée » : les élus locaux sont appelés à s’inscrire dans ce dispositif.

Dans ce contexte, selon Sardan (2009), « de nombreux élus sont mal à l’aise face à une procédure incontournable, mais qu’ils ont de la peine à apprivoiser ». Sadran (2009) parle d’une suspicion des élus à l’égard des dispositifs participatifs, aggravée par leur utilisation hâtive et maladroite lors des campagnes électorales, ainsi que par un malentendu : d’une part ces dispositifs sont supposés constituer un modèle alors qu’ils sont en réalité hétérogènes et de portée très inégale, d’autre part ce modèle est opposé à celui de la démocratie représentative. Cette suspicion est aussi mise en avant par Mahey (2005) qui affirme à propos des « chantiers de la participation citoyenne » que « l’action que nous menons, sur des quartiers, dans des villes, n’est pas vraiment comprise par les institutions et les élus qui nous l’ont pourtant demandée », qui « nous perçoivent comme des trublions déstabilisateurs ». Enfin, selon Chaufer (2001), les élus considèrent en fait que la démocratie participative est un facteur de risque, car germe de contestation de leur propre légitimité.

Cette suspicion n’est pas sans conséquence car au-delà de l’unanimité affichée (« aucun élu ne prendrait aujourd’hui le risque de se déclarer ouvertement hostile à la participation citoyenne » selon Sadran, 2009), « dès que l’on passe de la rhétorique aux pratiques, l’élu local fait une interprétation minimaliste de la participation citoyenne, quant il ne s’y montre pas franchement hostile ». Le minimalisme en la matière peut porter sur deux choses : d’une part sur le degré de participation de la société civile, généralement invitée à une concertation qui peut se révéler n’être qu’une consultation, une séance d’information, voire de sensibilisation, d’autre part sur l’ouverture de l’élu à l’écoute de la parole de l’autre dans les espaces de concertation. Se basant par exemple sur l’analyse de plusieurs débats publics, Lefebvre (2007) affirme que « les élus y sont des acteurs peu dialogiques, qui ne manifestent qu’une adhésion contrainte par l’air du temps (et par la loi) à ces procédures ».

En réalité, l’élu peut opter pour le minimalisme ou l’évitement. Les stratégies d’évitement consistent, lorsque l’élu n’est pas maître du jeu et est convié à une concertation initiée par d’autres, à laquelle il n’a pu s’opposer, à jouer les absents ou à refuser implicitement le jeu du dialogue en adoptant une position de surplomb. Elles consistent aussi, lors de la prise de décision, à mettre en avant la prise en compte des positions défendues par d’autres catégories d’acteurs, sans que ceux-ci n’aient été entendus de vive voix mais en affirmant que la décision a été prise en tenant compte de leurs exigences. Ces stratégies d’évitement peuvent se substituer à toute concertation ou être le produit de processus mal engagés. L’élu est alors celui qui tente d’élaborer un compromis, ou tout au moins un pseudo-accord qui intégrerait certaines revendications de la partie perdante, qu’il finit par imposer. Il tente ainsi à la fois d’éviter des processus de concertation qu’il ne maîtrise pas et de faire bonne figure, en affirmant qu’il se montre compréhensif et ouvert aux revendications de chacun. Par exemple dans deux cas portant sur les éoliennes, étudiés par Van Tilbeurgh et Le Du Blayo (2009), les équipes municipales décrédibilisent les discours des opposants en convoquant le syndrome NIMBY. Ceux-ci ont recours aux tribunaux sans succès. Finalement, les conseils municipaux « ont tenté de construire un discours consensuel en donnant un accord sous condition » : l’accord est la traduction de la position des élus et les conditions retenues seraient la traduction de la position adverse. Ce compromis est supposé à la fois éviter la concertation et calmer les oppositions, mais nombre de cas montrent que cette stratégie d’évitement ne fait que renforcer la violence d’oppositions qui ne trouvent plus aucun cadre délibératif pour s’exprimer.

En réalité, entre ces deux archétypes que représentent l’élu motivé qui porte la concertation et l’élu obligé qui la subit, existent de nombreux cas de figure, que nous tenterons de mieux cerner lors des entretiens. Nous allons maintenant nous attacher à inventorier les éléments perçus comme positifs ou négatifs qui peuvent composer le ressenti et la position des élus.

5.1.3. Qu’ils soient motivés ou obligés, des élus insécurisés

A partir de nos travaux antérieurs (Beuret, Cadoret, 2011), il nous semble important de signaler que, quel que soit leur degré de motivation vis-à-vis de la concertation, nombre d’élus se sentent insécurisés par la concertation, du fait de deux types de facteurs.

Ce ressenti tient d’abord à une posture très inhabituelle. Nombre d’élus appréhendent une situation de face à face avec les citoyens, qu’ils ne contrôlent pas. Contrairement à une situation classique où ils maîtrisent la parole et l’accès de leurs interlocuteurs à la parole, la perspective de se trouver dans des situations où ces paramètres ne seront pas maîtrisés crée un malaise notoire. Une élue, témoignant par ailleurs de la richesse du processus de concertation qu’elle a portée, nous affirmait aller aux premières réunions de concertation « la peur au ventre », ce qui n’est absolument pas un cas isolé. Le second type de facteurs tient au fait de ne pouvoir prévoir les effets de la concertation. Cette imprévisibilité donne lieu à une sorte de « rejet par anticipation » : imaginant toutes sortes d’effets incontrôlés, certains élus refusent de jouer le jeu de la concertation. Un élu local affirmait ainsi ne pas vouloir de concertation car « elle crée des besoins ». D’autres craignent plus ou moins explicitement qu’elle ne crée des échelles d’action publique dont le leadership pourrait leur échapper, ou qu’elle fasse émerger ou renforce des contre-pouvoirs.

L’ensemble de ces facteurs tient d’une part à une peur de la « perte de contrôle » que suppose effectivement la concertation, en tant qu’exercice de créativité susceptible de produire des résultats tout à fait inattendus, d’autre part à un nécessaire apprentissage d’une posture et d’une démarche inhabituels. Les élus motivés acceptent le défi de la perte de contrôle et jouent le jeu, ce qui ne les empêche pas de faire part de solides appréhensions. Les élus obligés mettront plus facilement en place des stratégies d’évitement.

5.2. Les « plus » possibles de la concertation pour les élus : quelles