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En matière d’environnement : faire face à des difficultés de gestion et au risque décisionnel

5. LES ELUS LOCAUX DANS LA CONCERTATION ENVIRONNEMENTALE

5.2. Les « plus » possibles de la concertation pour les élus : quelles motivations ?

5.2.2. En matière d’environnement : faire face à des difficultés de gestion et au risque décisionnel

Pour l’élu, faire face à des difficultés inhérentes à la gestion de l’environnement

Selon Salles (2009), l’environnement est un domaine où la décision publique peine à s’imposer. Ainsi, « l’important édifice juridico-normatif élaboré depuis trois décennies dans le domaine environnemental n’a pas permis d’obtenir les effets escomptés en termes de protection des milieux et des ressources » et l’Europe, en particulier, est confrontée à un déficit d’application de ses directives. De façon plus générale, s’intéressant à la gouvernance de l’environnement, Theys (2010) comme Salles (2009) mettent en avant la complexité des problèmes environnementaux qu’il faut gérer. Selon Theys (2010), gérer ces problèmes, au vu de leur complexité, suppose de mobiliser de nombreux acteurs, ce qui justifierait en partie un recours nécessaire à la gouvernance et à la concertation. Salles (2009) met en avant la difficulté inhérente à la gestion des problèmes d’environnement, reconnus comme complexes du fait de phénomènes de transterritorialité, de transversalité, de désynchronisation des causes et des impacts, d’incertitudes scientifiques et techniques, ainsi que de leur caractère multiscalaire. Face à cela, l’action publique a des limites lorsqu’elle entend y répondre avec des procédures standardisées (règlementation, contrats, etc…), ce qui constitue un facteur important d’un besoin de responsabilisation des citoyens (Salles, 2009). La complexité des problèmes environnementaux ferait donc partie des facteurs incitant les élus à responsabiliser les citoyens et à leur donner un rôle par la concertation.

Dans certains cas, la décision environnementale présente des risques, que l’élu tentera de partager avec d’autres, via la concertation. Ceci apparaît de façon très claire dans le témoignage de cet élu, président d’un syndicat intercommunal de gestion de déchets, cité par Barbier et al. (2009). Cet élu commente les propositions élaborées par un jury citoyen en ces termes : « j’ai dit si on choisit d’aller dans vos recommandations de continuer à faire du compost, avec les problèmes que cela pose sur les excédents structurels et ainsi de suite, [si on a un blocage à l’avenir], ce n’est pas moi qui aurai pris la décision. On l’aura prise tous ensemble ». Ceci illustre très clairement un bénéfice obtenu par l’élu, qui prend une décision qu’il juge risqué mais n’assume plus seul cette prise de décision.

Il peut s’agir non seulement de mutualiser le risque décisionnel mais aussi d’obtenir un pouvoir d’indécision et de « renvoi à plus tard » de décisions elles mêmes risquées et/ou soumises à de virulentes oppositions. Là encore, c’est ce que mettent en avant Barbier et al. (2009), toujours dans le même cas : « comment interpréter la décision prise par ce syndicat intercommunal d’endosser les recommandations du panel de citoyens ? D’un côté signe du chemin qui reste à accomplir en matière de légitimation de la démocratie participative, certains virent dans cette décision une démission devant les responsabilités politiques. D’un autre côté, on peut y voir l’exercice du pouvoir d’indécision politique, les élus ayant en quelque sorte puisé dans les recommandations du panel le courage nécessaire de renoncer, au moins provisoirement, à un nouvel équipement lourd ». Ce pouvoir d’indécision politique, mis en avant par Barthe (2006) dans le cas des déchets nucléaires, est important à considérer dans les motivations possibles des élus, en plus de la mutualisation du risque décisionnel.

L’élu local, face à des situations d’incertitude

Le risque décisionnel peut être relativement ordinaire dans la vie d’une collectivité locale, par exemple lorsqu’il s’agit de décider d’investir dans un équipement lourd, comme il peut être vécu comme extraordinaire, notamment dans certaines situations d’incertitude radicale. L’incertitude est une situation marquée par « l’ignorance d’un décideur, due à la carence en information » (Roche, 2000). Callon et al. (2001) définissent ce type de situation en ces termes : « on sait que l’on ne sait pas, mais c’est à peu près tout ce que l’on sait ». Alors que le risque peut faire l’objet d’un calcul de probabilité, l’incertitude correspond à une situation où les conséquences des décisions à prendre ne sont ni prévisibles, ni probabilisables : autrement dit, il faut décider sans que les conséquences des choix ne soient connues, situation particulièrement inconfortable pour le décideur public. Ces situations peuvent inciter les élus à faire appel à la concertation (Pennanguer, 2005), de façon à mutualiser un risque décisionnel perçu comme élevé et non mesurable.

Certaines innovations technologiques telles que les OGM ou les nanotechnologies sont marqués par de telles situations et ont fait l’objet de conférences de citoyens visant à dégager un « avis citoyen ». Il s’agit de situations d’incertitudes socio-techniques (Callon et al., 2001) dans lesquelles des choix politiques doivent être faits alors que la science ne peut apporter que des informations partielles. Nous distinguons un autre type d’incertitude (Beuret, 2008), certes plus ordinaire mais aussi plus fréquent. Il s’agit d’incertitudes sociétales, marquées par le fait que les objectifs collectifs poursuivis par un groupe social dans la gestion de ses ressources et biens d’environnement ne peuvent être connus ex- ante. En effet, l’objectif collectif, sociétal, est plus que la somme des objectifs individuels ou que la somme des objectifs catégoriels de sous-groupes sociaux : seule la confrontation de ces objectifs permet la construction d’objectifs collectifs. Autrement dit, soit la décision est prise sans connaître ces objectifs, en situation d’incertitude, soit une concertation permet de lever cette incertitude.

Une forme particulière d’incertitude est qualifiée d’« ambiguïté ». Elle est caractérisée par l’existence de multiples interprétations possibles des informations disponibles. Kuhn (1997) définit l’ambiguïté comme « le résultat d’un état susceptible d’être interprété de façons distinctes et multiples » et March et Olsen (1976) considèrent que l’ambiguïté se produit quand « une organisation est confrontée à une opportunité de choix donnés, où chaque option possède un degré de légitimité valable ». L’ambiguïté provient souvent non pas d’un manque d’informations mais d’une variété d’informations qui génère des contradictions et des paradoxes (Soualem, 1991). Les élus locaux sont très fréquemment confrontés à ce type de situations.

Dans tous ces cas d’incertitude, la prise de décision est difficile à assumer pour des élus qui craignent d’être tenu responsables de ses conséquences éventuelles. Ils peuvent donc être tentés par des processus de concertation visant à mutualiser le risque décisionnel.

Mutualiser le risque décisionnel a d’autant plus de sens que l’élu craint d’être tenu pour responsable d’éventuelles conséquences néfastes, mêmes imprévisibles, de ses décisions. Certains auteurs insistent sur cette montée en puissance de la responsabilisation des élus. Selon Duran et Thoenig (1996), l’Etat se mettant en retrait depuis les lois de décentralisation, les élus locaux sont perçus comme responsables de l’ensemble des affaires de leur territoire et pour Jobert (1998), « en dehors du niveau régional, relativement éloigné des citoyens, les élus locaux (maires, conseillers généraux) sont plus que jamais tenus personnellement pour responsables de ce qui se passe sur leur territoire ». Salles (2009) interprète clairement les processus de concertation et de participation comme une réponse apportée à une responsabilité devenue trop lourde à assumer. Selon lui, « la multiplication, ces dernières décennies, des procédures collaboratives fondées sur la consultation et la participation des parties prenantes pour réguler les problèmes d’environnement peut être interprétée comme un transfert de responsabilité ». Et « le postulat des procédures collaboratives est de rendre les acteurs comptables de leurs choix et responsables de leur engagement respectif vis-à-vis d’un compromis négocié assimilable à l’intérêt général ».