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Diverses polarités correspondant à diverses approches de la concertation

CHAPITRE 1. POURQUOI LES ACTEURS ENGAGENT-ILS DE TELS PROCESSUS ?

1.6. Diverses polarités correspondant à diverses approches de la concertation

Lors des entretiens, nous avons pu constater que les acteurs se saisissent de la concertation en privilégiant différents pôles de ce triangle.

1.6.1. Concertation et projet : indissociables pour les uns, pas pour les autres

Nous observons tout d’abord que pour nombre de nos interlocuteurs, la concertation est automatiquement associée à un projet. Plus encore, pour certains, elle est associée à un projet prédéfini, dont la concertation vise avant tout l’acceptation, parfois l’appropriation, voire une certaine co-construction. L’importance prise par le Débat Public dans les recherches et débats sur la concertation favorise cette approche et laisserait à penser que la concertation porte toujours sur un projet.

Pourtant, nous pourrions observer qu’il peut y avoir concertation sans projet initial, le projet étant entièrement à construire (comme dans le cas du projet de PNR du Golfe du Morbihan), voire sans projet final, s’il s’agit de construire des règles de cohabitation entre usages (il n’y a par exemple aucun projet en perspective lorsque les agriculteurs et les ostréiculteurs de la ria d’Etel s’engagent dans une concertation, mais seulement la construction de règles et leur respect) ou, par exemple dans le cas de Soyaux, des règles de respect d’un environnement sonore.

Il est vrai que même dans ces cas, la démarche de concertation peut elle-même être qualifiée de « projet », qui se construit en cours d’action. Ce terme est parfois utilisé à posteriori pour justifier les moyens investis, notamment par des élus pour lesquels ce terme est à la fois un format d’action et une référence quasi-obligée pour expliquer et légitimer leur action, comme nous l’avons souligné dans la bibliographie avec la légitimité managériale et la référence à la cité par projet (Boltanski et Chiapello, 1999) mises en avant par Le Bart (2009) dans les nouveaux registres de légitimation des élus. Mais même si le « projet » intervient à posteriori, il n’est cependant pas l’objet de la concertation.

1.6.2. Trois approches de la concertation

Ceux pour lesquels la concertation, c’est la mise en discussion d’un projet

Pour ceux qui associent systématiquement la concertation au « projet », le pôle « appropriation, acceptation » est la polarité principale : la concertation vise d’abord l’acceptation du projet. Pour un agent d’une collectivité territoriale, la concertation « est le premier pas vers l’adhésion de la population à un projet ». L’échange d’informations et les ajustements éventuellement apportés au projet visent d’abord son acceptation. Force est de reconnaître qu’il s’agit là, aujourd’hui, d’une culture de la concertation qui prévaut dans certaines sphères, notamment celles des aménageurs.

Trois interviewés (un élu vert, un agent de la DREAL et un grand témoin) ont défini leur idéal de la concertation en distinguant trois étapes dans un projet, où la concertation devrait chaque fois être présente :

- Une concertation sur le principe du projet et sur son opportunité : il s’agit de poser la

question de savoir quelle fonction a un aménagement. A cette étape, Philippe Marzolf, Vice- Président de la CNDP, précise qu’« une gouvernance à cinq devrait se mettre en place, pas pour décider ce qu’il faut faire, mais pour décider quelles types d’études, types de solutions on

va chercher : partager le diagnostic, partager le cahier des charges des études qui vont être faites, et presque même co-choisir les bureaux d’études ». A partir de ce moment, un débat avec le grand public peut avoir lieu pour mettre en débat l’opportunité du projet. Il vise à favoriser une compréhension de l’intérêt du projet, tout en préservant une ouverture sur des alternatives.

- Une concertation sur les modalités du projet : comment le met-on en place ? Quel tracé

choisit-on ? Comment le projet peut-il être amélioré (un agent des services de l’Etat mentionne à cet égard les réunions de préparation d’un dossier de DUP) ? A cette étape, le projet (construction d’une ligne TGV, d’une rocade, l’implantation d’éoliennes…) est décidé, acté, mais « on concerte » pour le choix du tracé, le nombre d’éoliennes, la vitesse de rotation des pales d’hydroliennes, etc.

- Une concertation pour des ajustements mineurs lors des travaux, portant par exemple

sur la hauteur des murs de protection phonique dans le cas de la LINO. Ce sont par exemple des groupes de travail post-Débat Public mis en place dans le cadre de la LGV-PACA qui, selon Philippe Marzolf, réunissent l’ensemble des acteurs des territoires concernés par les travaux, pour « peaufiner, améliorer, et faire des allers-retours constants avec le public ». Pour un agent d’une DDE, « il n’est plus question du ‘comment fait-on’, mais on regarde un point particulier à détailler ».

On cherche ici à engager la concertation assez tôt dans la vie du projet, ce qui semble effectivement souhaitable. Cependant, cette vision dissocie la discussion sur l’opportunité du projet et les

modalités de sa réalisation : or il apparaît que les citoyens, pour débattre et s’exprimer sur

l’opportunité d’un projet, ont besoin de savoir comment il se fera et de mettre en débat des alternatives, non seulement au projet, mais à certaines modalités de sa réalisation.

Certains élus s’opposent à cette vision en considérant que la concertation n’est pertinente qu’à partir de la seconde phase : « la concertation, c’est pour l’adaptation, l’amélioration d’un projet déjà pensé et dont l’ossature est fixée ». « Sur une base de propositions, c’est échanger par rapport à ce que l’on a pour pouvoir avoir l’avis de ceux qui sont intéressés par le projet ». « Si le projet n’a pas de colonne vertébrale, c’est l’anarchie, et on n’avancera pas ».

Malgré certains points de désaccords, on trouve dans ces propos une référence partagée et systématique à un projet prédéfini – certes plus ou moins précisément - comme l’objet central de toute concertation.

Ceux pour lesquels la concertation, c’est la co-construction de l’action publique

Pour d’autres acteurs, la concertation est d’abord synonyme de participation d’acteurs diversifiés à la co-construction d’un projet, d’une politique locale, de règles, d’une autodiscipline collective, de références partagées. Une autre polarité est alors privilégiée. C’est ce qu’affirme par exemple Jean- Claude Pierre, selon lequel la concertation, ce n’est pas « mettre en œuvre une pédagogie pour faire passer ses idées… C’est plutôt solliciter ses partenaires pour faire émerger une idée ».

Alors que dans la vision précédente, l’espace de la concertation était très structuré par la présence d’un projet et d’un porteur de projet, cet espace est ici à définir autour d’un état initial que l’on va tenter de structurer pour atteindre un état final – provisoire – plus ordonné. Ainsi, selon Yves Brien, « la concertation suppose qu’il y ait un espace où des gens jouent leur avenir. C’est la définition d’un espace d’enjeux et la définition d’un état initial et d’un état final : ce qui paraissait confus devient ordonné… jusqu’à la prochaine étape ». Les acteurs qui portent cette vision insistent non plus sur les ajustements à apporter à un projet mais sur une ambition de co-construction. Ils soulignent la distinction entre concertation et consultation : « la concertation n’est pas la consultation » selon Yves Brien, et selon un élu du Golfe du Morbihan, « la concertation suppose qu’il y ait une co-construction ». L’action publique dont il est ici question peut être celle de pouvoirs publics mais aussi d’acteurs privés qui entendent agir pour un intérêt collectif. Elle correspond à la définition qu’en donne Trom (2003), selon lequel l’action publique recouvre « toute activité articulée sur un espace public et nécessitant une référence à un bien commun ».

Pour d’autres enfin, la concertation est avant tout synonyme d’information et de pédagogie sur leur action. Il s’agit souvent d’élus locaux qui associent la concertation à un devoir d’information du public et à un droit des citoyens à la parole publique : ils peuvent s’exprimer, sans que cela n’engage celui qui leur donne ce droit à l’expression. La concertation est un espace d’information et d’échange, qui peut rythmer par exemple l’élaboration d’un document d’urbanisme : ce dernier est soumis à la concertation mais sa conception se fait ailleurs. Des éléments peuvent ressortir de ces échanges et alimenter l’action publique, mais ce n’est qu’une éventualité qui ne figure pas dans les produits attendus de la concertation. Pour un élu, la concertation, c’est « donner des informations sous la forme orale et écrite », pour un autre, « concerter, c’est avoir des échanges avec la population et pouvoir les analyser ».

1.6.3. Trois approches, trois vocabulaires de référence

Nous distinguons donc plusieurs approches de la concertation, privilégiant différents pôles de notre triangle d’objectifs et auxquelles correspondent chaque fois des vocabulaires particuliers (Figure 13, p.101).

Si certains parlent systématiquement du projet, comme s’il allait de soi qu’un projet est mis en discussion et évoquent sa légitimation, la délibération, d’autres vont plutôt parler d’action collective, de coopération et de dynamiques endogènes. D’autres enfin évoquent deux types de droits qu’ils reconnaissent aux citoyens et qui fondent leur approche de la concertation : il s’agit d’un droit à l’information et d’un droit à la parole qu’ils entendent satisfaire.

Nous pouvons remarquer5 ici que nous ne retrouvons pas certains objectifs de la démocratie participative où il est souvent question de formation du citoyen, d’émancipation, voire d’ « empowerment » : la concertation environnementale est mise en œuvre dans un contexte où les citoyens poussent la porte des espaces de discussion et où la question de leur accès à la prise de parole n’est pas posée dans les mêmes termes que dans le cadre de la « sphère de la démocratie participative » (où l’on cherche la participation des citoyens en créant des espaces démocratiques nouveaux tels que les conseils de quartier, les conférences de citoyens, les budgets participatifs, etc…). Les trajectoires de développement de la démocratie participative et de la concertation environnementale sont donc très différentes, même s’il existe un lien entre les deux comme nous l’avons montré dans la partie bibliographique.

Le projet L’action collective La légitimation Le droit à la parole Le droit à l’information environnementale L’endogène La délibération Information Co-construction La coopération Appropriation Acceptation…

Figure 13 : les vocabulaires attachés aux trois approches de la concertation environnementale

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1.7. Concertation et conflictualité : pour éviter un blocage… mais pas le