• Aucun résultat trouvé

Une posture d’ouverture, de la part du porteur de projet

CHAPITRE 6. SE DONNER LES MOYENS DE REUSSIR : FACTEURS DE CLARTE ET DE SUCCES DES PROCESSUS

6.3. Une posture d’ouverture, de la part du porteur de projet

6.3.1. Flexibilité, ouverture à une certaine co-construction

Le fait que le porteur du projet soit à l’écoute et soit prêt à amender son projet, que ce projet soit explicitement posé ou en soit au stade d’une idée et d’une projection, est très important. C’est avant tout d’une posture d’acteur dont il est question ici.

Là encore, le cas du Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat est intéressant car EDF arrive sur le terrain avec une idée, un projet, un site et une technologie pressentis, mais va réellement se montrer à l’écoute des acteurs. Lors des premiers contacts avec les pêcheurs et à l’occasion d’une visite en mer sollicitée par EDF, les pêcheurs soulignent les inconvénients du site pressenti (risque de gène à la navigation et à la pêche, phénomènes locaux de courants) sur la base de leurs connaissances de la mer et de ses usages. Les pêcheurs suggèrent un autre site qui sera finalement retenu : EDF garde la main sur la décision, mais écoute, mène des investigations complémentaires, puis décide. Le site retenu sera finalement une réserve de crustacés mise en place par le Comité Local des Pêches en 1966, interdite à de nombreuses techniques de pêche et fréquentée seulement par une dizaine de bateaux, ce qui minimise les gènes possibles, même si le passage du câble reste évidemment gênant pour les pêcheurs de praires, qui pêchent à la drague. Outre le changement de site, certains choix technologiques vont changer à partir des observations des pêcheurs. En 2007, EDF emmène des pêcheurs voir une hydrolienne mise en place par l’une de ses filiales, en Irlande, qui comptait une grande partie émergée. Les pêcheurs critiquent l’existence d’une gêne à la navigation, préoccupation également ressortie lors des rencontres menées par EDF avec les élus. Sur cette base, EDF va changer de technologie pour faire le choix de quatre tripodes posés sur le sol, très hauts (21 mètres) mais totalement immergés : le fait de ne pas dynamiter le sol pour installer des pieux est aussi considéré comme un atout par les pêcheurs.

Cette posture de l’aménageur contraste singulièrement avec ce que nous avons pu observer dans d’autres travaux de recherche conduits en parallèle, en assistant à des réunions par exemple au Grand Port Maritime de Marseille Fos. Cette ouverture ne signifie pas un partage du pouvoir de décision, mais une décision ouverte à des éclairages issus de la concertation. Philippe Marzolf constate dans le cadre des grands projets d’aménagement que « la grande difficulté, c’est l’ouverture du décideur final. Est il prêt à remettre en cause son projet qu’il pense être le meilleur, est-il ouvert au dialogue ? » . Même lorsqu’il est peu ouvert à la concertation, le fait de contraindre le décideur à justifier ses décisions peut-il l’amener à plus d’ouverture vis-à-vis des points de vue exprimés ? Selon Philippe Marzolf, la loi Grenelle 2 a permis une avancée sur ce point en contraignant les décideurs à justifier de façon beaucoup plus approfondie leur choix en fonction des avis, remarques et propositions faites lors des débats publics : dès lors, être contraint de justifier ses décisions suppose non seulement de prendre en considération (l’écoute), mais également de prendre en compte les avis et propositions, de comprendre les arguments. C’est un premier pas.

A Soyaux, l’ouverture est totale car le projet est entièrement co-construit. A Balaruc-les-Bains, l’ouverture est d’abord nulle : ce n’est qu’après plusieurs années et suite à la judiciarisation du conflit que les responsables du chantier de dépollution accepteront que l’association de riverains « Vigilance Dépollution » soit conviée à certaines réunions. Cela reste d’abord un dialogue entre avocats. Cette posture a sans doute fait perdre beaucoup de temps.

6.3.2. Répondre à toutes les questions et demandes

Dans le cas du Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat, les élus, les APE, comme la région soulignent le fait que l’un des facteurs clés du dialogue est que l’aménageur s’employait à répondre à toutes les questions posées, quelle que soit leur pertinence apparente.

Les APE et les pêcheurs affirment avoir reçu des réponses convaincantes sur l’ensemble des points problématiques qu’ils ont soulevé. Le passage du câble dans des herbiers de zostères, des gisements de praires, des concessions conchylicoles, une plage et un cordon de galets, ainsi que son atterrage ont par exemple été largement questionnés : des réponses techniques ont été données, portant sur l’enfouissement du câble, la limitation du champ magnétique qu’il va engendrer, la recolonisation des herbiers de zostères, le bâti à terre. Les agents présents aux réunions enregistraient les questions et les soumettaient aux services compétents, pour apporter des réponses lors du comité de liaison suivant, tout en engageant parfois des études lorsque l’apport de réponses supposait de le faire. Selon une élue locale, « c’est inimaginable tout ce qu’EDF a étudié pour que cela devienne possible ». Selon un adhérent de l’APE Vivarmor Nature, spécialiste des questions énergétiques, « j’ai été surpris par la façon dont le projet a été mené. Ils ont pris soin de bien ménager la partie environnement. Ils ont accepté beaucoup de choses et quand ils ne pouvaient pas répondre, ils le faisaient lors de la réunion suivante… la démarche a été menée de façon très positive ».

Cela n’a pas empêché certains désaccords de voir le jour lors des comités de liaison. Ils ont alors été évoqués lors de réunions restreintes, avec les parties prenantes, en vue de trouver des compromis, ce qui n’a pas toujours été possible. Le principal point de friction a porté sur l’octroi des marchés de fourniture des matériaux, certains élus locaux exigeant qu’une part importante soit réalisée localement, ce qui n’était pas possible techniquement selon EDF. Un maire, qui n’a pas eu gain de cause, reste très critique sur le processus et affirme n’avoir pas été écouté. De leur côté, les APE se disent très satisfaites car, selon elles : elles ont eu confirmation que les éléments qu’elles avaient signalés comme importants lors de la première réunion ont bien été pris en compte ; le porteur du projet a apporté des réponses à chaque question posée et, lorsqu’il ne pouvait pas répondre immédiatement, mettait en œuvre les moyens nécessaires pour apporter des réponses à la réunion suivante ; même lorsque les impacts étaient jugés faibles par les APE, le porteur de projet ne se reposait pas sur ce constat mais proposait tout de même des mesures compensatoires (par exemple les mesures de recolonisation d’herbiers de zostères, alors que seulement 2% de leur surface sera impactée par l’enfouissement du câble), en associant des experts au suivi de ces mesures.

Malgré des insatisfactions et les critiques formulées par l’un des protagonistes, la conduite du dialogue semble avoir été un facteur déterminant du soutien dont le projet bénéficie aujourd’hui.

6.3.3. Une ouverture au local et à ses propres dynamiques

La posture d’ouverture ici évoquée suppose une ouverture aux dynamiques locales qui existent indépendamment de celle du porteur de projet, mais peuvent concerner des objets similaires ou au moins des thématiques proches.

Dans le cas de Bon Air, l’un des agents du GIP-GPV souligne l’existence de telles dynamiques et leur apport potentiel au projet. Il est intéressant, selon lui, de s’appuyer sur ces dynamiques locales, mais il reconnaît les difficultés rencontrées par la ville et par le GIP-GPV pour appuyer ces dynamiques locales de façon soutenue et continue. C’est par exemple une personne qui s’est impliquée dans le projet au nom des habitants et de l’association Bon Air City, qui s’occupe essentiellement du carnaval. Cet habitant s’est engagé pour le collectif notamment lorsque, après avoir gagné une certaine somme au loto, il l’a investie dans cette association. Il regrette aujourd’hui de ne pas être soutenu dans son action pour le quartier : le budget limité de la ville, mais aussi la budgétisation et le soutien par projet

font qu’il est difficile, pour le porteur du projet, d’avoir une action continue, pérenne pour appuyer de telles dynamiques.

Dans ce cas comme dans d’autres études que nous avons réalisées, nous observons les difficultés rencontrées par des porteurs de projets de concertation à soutenir, de façon suffisamment continue et au moment opportun, des dynamiques locales qui pourraient alimenter la concertation et qui, dans certains cas, naissent de la concertation. Souvent, ce n’est pas le manque de ressources qui explique ceci, mais les difficultés rencontrées pour les mobiliser, du fait de contraintes administratives.

Avoir des difficultés à soutenir ces dynamiques est simplement regrettable, mais les identifier et tenir compte de leur existence est déjà une preuve importante d’ouverture. Ne pas en tenir compte, voire les détruire par des démarches très descendantes et sourdes à ce qui préexiste localement est par contre très dommageable : cela arrive malheureusement, comme nous le verrons dans des cas évoqués ci-après.

6.3.4. Attention à des démarches exogènes précipitées, heurtées, trop descendantes

Dans la plupart des cas choisis comme cas d’étude, les choses se passent assez bien. Nos interlocuteurs se saisissent alors d’exemples où les choses ne se passent pas vraiment mal si l’on considère qu’elles ne dégénèrent pas en violentes oppositions, mais qui leur laissent une grande frustration qu’ils ont besoin d’exprimer. Il est intéressant de noter la récurrence de certains éléments dans tous ces cas, avec des approches descendantes, trop rapides, et une concertation affichée qui n’est pas perçue comme étant une réelle concertation. L’ouverture du porteur de l’action à ce qui se passe localement est alors questionnée. Dans le cas des hydroliennes de Paimpol Bréhat par exemple, plusieurs acteurs établissent une comparaison avec le cas du Parc éolien de Saint Brieuc ou avec Natura 2000 en mer. Dans les deux cas, l’Etat a un objectif à atteindre dans des délais qui correspondent à des engagements qu’il a pris. Dans les deux cas, à des périodes où « il ne se passe rien » succèdent des périodes de précipitation.

Le cas de Natura 2000 en mer est évoqué tant par des élus que par des professionnels ou des associatifs. Selon l’un de ces acteurs, « on est venu en 2008 nous dire que l’ensemble du quartier maritime sera en zone Natura 2000 et qu’il s’agit d’un site prioritaire. Nous sommes en 2011 et le comité de pilotage n’a toujours pas été constitué. Entretemps, une réunion de « pseudo concertation » a eu lieu en fin d’année 2010 : les gens découvraient les sites, les zones, des évaluations d’incidence qu’on leur demandait de faire… Le préfet a parlé puis, face à la levée de boucliers, a quitté la salle. Les sites ont été définis en amont de toute concertation, pour répondre aux objectifs européens. C’est le pire de tout… un passage en force mal réussi ». Dans le même temps, un maire affirme avoir reçu « d’en haut » une consigne pour faire approuver par son Conseil Municipal une délibération en faveur de Natura 2000 et qualifie cela de « moment le plus ridicule de sa vie d’élu », puisqu’il n’y avait en réalité rien à délibérer. Et alors même que le comité de pilotage Natura 2000 de cette zone n’est pas encore constitué, il lui a été demandé par les services de l’Etat de faire une étude d’impact d’un aménagement portuaire en projet, en raison du fait qu’il se trouve dans cette zone Natura 2000… ce qui signifie que l’Etat considère qu’elle existe. Il s’agit là d’une démarche descendante et précipitée, imposée au local.

Le cas des éoliennes en mer, en Baie de Saint Brieuc, est lui emblématique de démarches descendantes qui ne respectent pas les dynamiques locales et mêmes régionales. L’Etat est face à un objectif qu’il s’est fixé mais qui répond lui-même à un objectif européen à atteindre en 2020, et « il cherche les mégawatts, or là où il peut en trouver le plus, c’est dans l’éolien, notamment en mer ». Dès lors, selon un acteur du secteur de l’énergie, il a voulu mener les choses « au pas de charge » et transposer une démarche de choix de Zones de Développement Eolien (ZDE) utilisée à terre : le préfet, sur proposition des élus, choisit des zones. L’Etat a organisé des réunions en préfecture, avec les APNE, les usagers de la mer, « en grande assemblée et sans descendre à la maille de petits groupes de travail ». Un maire souligne également le fait que « c’était des grands messes ».

D’autres acteurs soulignent surtout le fait que l’Etat n’a pas tenu compte des produits des concertations et analyses préexistantes, menées à l’échelle régionale. En effet, dès 2008, la région avait pris les choses en main, avec un processus de concertation qui avait permis d’élaborer un Schéma Régional des énergies renouvelables, à partir de différents groupes de travail, d’un voyage

d’étude, etc. La Conseil Economique et Social de la région avait quant à lui fournit un apport notoire, avec un document de référence sur l’ensemble des énergies marines mobilisables, construit à partir d’auditions réalisées entre novembre 2007 et septembre 2008. Or dans le même temps, à l’échelle nationale, l’Etat présente (en novembre 2008), son plan de développement des énergies renouvelables de la France, issu du Grenelle de l’Environnement. Ce programme a pour objectif de porter à au moins 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie à l'horizon 2020 : il comprend cinquante mesures opérationnelles, qui concernent l'ensemble des filières, notamment l’éolien. Le 9 mars 2009, l’Etat demande aux préfets des régions Bretagne, Pays de la Loire, Haute-Normandie, Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d'Azur d'organiser une large concertation sur chaque façade maritime en vue de planifier et d'accélérer le développement de l'éolien en mer. L’Etat décide de la mise en place d’une instance de concertation et de planification, par façade maritime, qui aura pour mission « d'identifier des zones propices au développement de l'éolien en mer, au regard des différentes contraintes (usage de la mer, radars, réseau électrique, ...) ». La lettre de mission adressée aux préfets à ce sujet leur demande de transmettre le document de planification avant le 15 septembre 2009. Il est d’emblée très difficile d’articuler ceci avec la démarche engagée en Bretagne car l’échelle n’est pas la même (la façade maritime, or la région en compte deux), l’objet n’est pas le même (seulement l’éolien alors que l’ensemble des énergies marines étaient considérées dans la démarche régionale) et les outils d’analyse de la situation sont différents (l’Etat élabore un SIG basé sur 75 couches d’informations, certes intéressant mais déconnecté d’un dialogue avec les acteurs). Fort de cet outil, l’Etat convoquera finalement une « conférence mer et littoral » en janvier 2010 en demandant une concertation pour un rendu en mars 2010. En définitive, il procédera à des arbitrages opposés aux produits de la concertation : alors que celle-ci aboutissait à 250 Megawatt en Baie de Saint Brieuc et 250 Megawatts près de Saint Malo, il décidera de tout localiser en Baie de Saint Brieuc, dans une large zone qui pose problème aux pêcheurs. Face à la levée de boucliers que cette décision suscite, la région financera la collecte de données sur la pêche. En juillet 2011, un cahier des charges est publié par l’Etat, mais entretemps, les pêcheurs ont commencé à dialoguer directement avec les opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offre. Le processus engagé par l’Etat semble ignorer les dynamiques locales et est singulièrement discordant.

Cet exemple illustre les difficultés de connexions entre des démarches très centralisées, descendantes, poussées par des objectifs nationaux et des délais qui ne peuvent finalement jamais être respectés du fait des oppositions que de tels processus engendrent eux-mêmes.

Le cas des Agenda 21 n’est pas comparable avec les deux cas précédents, mais cette procédure est l’objet de critiques qui portent là aussi sur l’aspect « descendant » des choses. L’un de nos interlocuteurs la prend en exemple pour étayer une critique plus générale sur le caractère descendant de nombreuses procédures : « par exemple dans les Agenda 21, tout est descendu du haut vers le bas. C’est un obstacle très fort à des démarches endogènes ». Face à ces limites, l’association Nature et Culture tente par exemple désormais de « tuiler » les démarches d’Agenda 21 qu’elle anime avec des démarches de « territoires en transition », « qui sont portées localement par les citoyens ». Plaçant l’échange d’expériences au cœur de son action, l’association Nature et Culture cite de nombreux exemple des démarches respectueuses des dynamiques territoriales, voire de soutien public national à des démarches locales. Jean-Claude Pierre cite ainsi des mesures mises en œuvre par une ville autrichienne (Augsburg), qui obtient sept euros de cofinancements pour un euro investi par la ville, à partir d’une démarche qui lui est propre. Il évoque également des mesures agri- environnementales mises en œuvre en Angleterre, via un appel à projets : les propositions collectives bénéficiaient de points additionnels dans l’évaluation des offres, favorisant ainsi des « démarches coopératives, globales », ce qui permet de stimuler la concertation. Selon Jean Claude Pierre, « c’est alors le paysan qui propose, choisit la méthode la mieux adaptée » et obtient un soutien à une concertation en vue d’une action collective, ce qui est très loin du dispositif adopté en France, basé sur des mesures définies aux échelles nationale puis départementales, qui s’appliquent de façon descendante : même dans les actions territorialisées, il est rare de trouver un appui à des actions collectives définies par les agriculteurs.

Notons que le manque d’ouverture au local qui est ici reproché aux acteurs qui engagent ces concertations de façon descendantes, peut s’expliquer par le fait que leur action est guidée par des objectifs nationaux, voire internationaux qui s’imposent à eux. Ceci pose une question clé : peut-on concilier les préoccupations d’un décideur de niveau national (respecter des engagements chiffrés, dans un délai raisonnable du point de vue de ceux auprès desquels il s’est engagé et du point de vue de sa communication, en assurant une certaine homogénéïté inter-territoriale à partir de certaines

normes et procédures et/ou une certaine répartition des efforts à fournir) et les exigences d’une concertation locale digne de ce nom ? Nous pensons que des solutions existent, dès lors que cette question est prise au sérieux, ce qui n’est pas toujours réellement le cas.

6.4. La constitution puis l’élargissement d’un réseau : le Parc Hydrolien,