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Quel enseignement tiré de ces études de cas

AGRICOLES DES FEMMES Introduction

5.1.5. Quel enseignement tiré de ces études de cas

Venons à présent à l‟analyse des différentes études de cas et ce qu‟elles révèlent en termes de conditions qui sont à la base de la réussite des femmes bénéficiaires de microcrédit opérant dans le secteur du commerce. Tous les exemples choisis ont le mérite de présenter des archétypes en matière de réussite des femmes. Il ressort de l‟analyse des différents parcours des femmes que, leur réussite résulte de la combinaison de plusieurs facteurs dont les principaux sont : la mobilité spatiale, la diversification des activités, le soutien familial et le niveau d‟instruction. Ces facteurs ont été des stimulants à la réussite de leur activité, favorisant ainsi des changements à leur niveau, ainsi qu‟aux membres de leur famille respective.

- La mobilité

En effet, la mobilité spatiale constitue l‟une des conditions de réussite des femmes bénéficiaires de microcrédit. Contrairement aux femmes mariées, les veuves, les divorcées ainsi les célibataires n‟ont pas de maris dans « leurs pattes ». Elles sont beaucoup plus libres pour s‟inscrire dans des réseaux marchands hors des espaces domestiques. Ces femmes dans leur majorité, au lieu de demeurer dans la famille paternelle où leur statut est moins apprécié, ou se remarier à un autre homme, de préférence à un frère cadet de leur défunt mari à travers le lévirat, optent plutôt à capter les opportunités de réussite économiques qui s‟offrent à elles, sans référence à aucune autorité masculine.

Bintou, la commerçante d‟igname (Etude de cas 3) et Mariama, la vendeuse de poisson (Etude de cas 4) et bien d‟autres femmes ont choisi cette option. Le statut de veuve de ces femmes élargit leur champ de liberté et de mobilité. Elles jouissent de plus de liberté pour exercer leurs activités génératrices de revenus : elles peuvent rallier sans contraintes les lieux de productions pour s‟approvisionner en produits agricoles ; elles peuvent également se déplacer vers la capitale Conakry ou dans les pays limitrophes soit pour acheter des marchandises ou soit pour les commercialiser.

Le fait que ces femmes soient mobiles, donc relativement libres dans leur déplacement et autonomes financièrement bouscule les normes de féminité (Guérin, 2015) et les systèmes de représentations. En règle générale, chaque nouvelle mobilité spatiale des femmes favorise

187 l‟emprunt des attributs du masculin et la reconstruction de nouvelles formes d‟identification au féminin (Guétat-Bernard, 2008). L‟idéalisation de l‟immobilisation des femmes en revanche, constitue une forme de domination (Guétat-Bernard, 2013) et de réduction du domaine d‟activité possible des femmes (Reboud, 2008).

Les mobilités féminines reflètent donc un contournement des règles et du poids des contraintes collectives. Elles permettent aux femmes notamment celles rurales à dépasser le seuil de l‟espace domestique (maison et espaces de travail proche) et à mobiliser des ressources spatiales et monétaires nouvelles susceptibles de bousculer des constructions identitaires des masculinités et féminités (Guétat-Bernard, 2013). En pays Bamiléké comme en pays Kikuyu par exemple, la crise économique a tellement fragilisé les chefs de famille que des dépenses sociales (l‟achat de l‟huile, de la sauce, du savon, des vêtements, des frais de scolarité et de médicaments) qui leur incombaient ont été prises en charge par leurs épouses. De ce fait, les hommes et les femmes s‟observent, se qualifient ou se disqualifient en fonction de leur capacité ou incapacité à « faire sortir l‟argent » pour subvenir aux besoins familiaux (Guétad-Bernard, 2008).

Grâce à la liberté de mobilité, les femmes bénéficiaires de microcrédit sont dotées d‟autorité morale et économique de gestion des familles : elles assument des responsabilités de chef de famille41 (tenir le ménage, assurer le soutien économique et garder les enfants) tout en démontrant que son accomplissement n‟est pas exclusivement masculin. Même si ce statut leur confère plus de temps dans l‟exercice d‟activité génératrice de revenu, en revanche, il favorise moins le choix d‟un travail loin du foyer en milieu urbain et réduit le temps consacré aux activités agricoles en milieu rural.

Précisons cependant que les ménages dirigés par ces femmes sont plus vulnérables à la pauvreté, parce que le niveau de dépendance est plus grand. C‟est pour cette raison qu‟elles s‟inscrivent dans des logiques d‟endettement auprès des IMF pour renforcer leurs activités génératrices de revenus ou migrent dans les zones minières à la recherche d‟un mieux-être.

- La diversification des activités

Le deuxième facteur explicatif de la réussite des femmes est lié à la diversification des activités. Nous entendons par diversification des activités, le fait de pratiquer simultanément

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Près de 98% des ménages sont dirigés par les hommes contre seulement environ 2% sont dirigés par les femmes selon le PNUD (2015).

188 ou en alternance plusieurs activités économiques car, selon plusieurs femmes : « Être capable de diversifier ses activités, c’est accroitre les chances de réussite pour limiter les risques de surendettement ». La pratique exclusive d‟une seule activité génératrice de revenus monétaires représenterait, pour ces femmes, un trop gros risque.

La pluriactivité vise au moins deux significations : dans un premier temps, elle constitue une stratégie de survie dans la mesure où, le plus souvent, certaines activités ne permettent pas de dégager des surplus, ou même de couvrir les besoins alimentaires ; dans un second temps, il s‟agit d‟une logique de maximisation de revenu menée avec le souci de saisir le plus grand nombre d‟opportunités compatibles avec les contraintes socio-économique (charges familiales, fécondité, accès difficile aux crédits, aux terres) auxquelles les femmes sont confrontées (Tujagué, 2006).

De nombreuses femmes rencontrées ne se contentent pas uniquement de pratiquer une activité. Bintou (étude de cas 3) pratique à la fois la commercialisation de l‟igname (principale activité) et autres produits agricoles (riz paddy, noix d‟acajou, beurre de karité) pour maximiser ses profits. Il est de même pour Hadja (Etude de cas 2) qui combine également la vente de parcelles d‟habitation avec la commercialisation du ciment et de l‟huile rouge. Dans l‟étude de cas 4, Mariama alterne commerce de poissons séchés avec poulets importés et conservation des viandes invendus des bouchers et les poissons des mareyeuses dans sa chambre froide. Dans tous ces cas étudiés, la diversification des activités est appréhendée comme des stratégies de sécurisation de revenu des bénéficiaires de microcrédit, ce qui favorise le remboursement du microcrédit ainsi que le renforcement de l‟activité commerciale entreprise.

- Les logiques de solidarité familiale

Le développement des logiques de solidarité familiale constitue aussi des conditions de réussite des micro-entrepreneuses. Plusieurs femmes ont bénéficié des appuis financiers et matériels de la part des membres de leurs familles respectives pour démarrer leurs activités. Comme nous l‟avons déjà mentionné, opter pour une logique d‟accumulation financière alors que les autres membres de la famille, notamment les femmes sont dans le besoin est vu d‟un mauvais œil. La culture de solidarité familiale, fortement enracinée dans les différentes sociétés guinéennes, recommande aux membres de la famille de s‟entraider mutuellement face aux aléas de la vie.

189 C‟est pourquoi, le soutien familial reste et demeure le meilleur rempart face à des situations de précarité. L‟exemple de Mariama (Etude de cas n° 4) est édifiant à ce niveau. Cette femme a bénéficié d‟un capital de départ de la part de son frère aîné. Cet appui financier lui a permis d‟acheter ses premiers équipements (conteneur frigorifique et groupe électrogène) de conservation de poissons. Outre ces équipements, elle a également bénéficié d‟une forte réduction sur la location du local (servant de magasin de stockage de marchandises) dans la concession de ses grands-parents.

L‟apport familial n‟est pas aussi à occulter dans la réussite de l‟activité commerciale de Hadja (Etude de cas n° 2). C‟est grâce à l‟exploitation du réseau relationnel de sa mère qu‟elle est parvenue à s‟insérer dans le secteur de l‟immobilier à travers la vente des parcelles d‟habitation dans la commune urbaine de Kankan, ce qui lui a permis d‟avoir un gros capital de départ avant de solliciter des prêts au CRG de Kankan.

Dans certains contextes, le soutien familial va au-delà de l‟aspect financier et débouche sur la complicité des membres de la famille pour contourner la domination masculine. Cette ruse a été particulièrement utilisée par Madame Kaba (Etude de cas 1) pour se soustraire de l‟emprise de son mari, énergiquement opposé à ses activités hors de l‟espace domestique. Pour contourner cette pesanteur, Madame Kaba a bénéficié de la complicité et du soutien de sa mère et de sa sœur aînée pour solliciter discrètement du crédit afin de réaliser des activités génératrices de revenus.

Ces pratiques monétaires clandestines représentent une forme de résistance et de contournement des normes patriarcales. À travers cette logique de compromis permanents, les femmes s‟approprient des projets de développement, et plus particulièrement du microcrédit. Par la discrétion, elles procèdent à des calculs subtils sur ce qui est tolérable et ce qui ne l‟est pas, ce qui peut être visible et qui ne doit pas l‟être, mais aussi en comparant de manière précise les conséquences des décisions et d‟actions potentielles qui en découleront sur le court et le long terme (Guérin, 2008 ; 2011). Dans ces conditions, la ruse devient la force des dominé(e)s. Elle évite l‟affrontement, accompagne les dynamiques de changement social en agissant avec le système concerné et non d‟agir contre lui (Charlier, 2004).

L‟usage des ruses à travers les logiques de solidarité féminine, reste donc l‟une des meilleures stratégies pour contourner les contraintes sociales et financières auxquelles bon nombre de femmes sont confrontées dans leur vie quotidienne.

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- Le niveau d’éducation

L‟analyse des profils des femmes montre aussi que leur niveau d‟éducation est parfaitement en corrélation avec leur degré de réussite entrepreneuriale. Trois des quatre femmes dont les trajectoires de vie ont été présentées sont scolarisées. Parmi elles, une est détentrice d‟un diplôme de maitrise en comptabilité et les deux autres ont arrêté leurs études au niveau secondaire. L‟instruction des femmes est un atout leur permettant de mieux utiliser le crédit en l‟investissant dans des filières d‟activités rentables.

Un agent de crédit a fait le constat analogue et l‟affirme en précisant : « Les femmes instruites s’en sortent mieux que celles qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Le fait de savoir lire et tenir sa comptabilité constitue à mon avis un atout qui peut permettre aux femmes de mieux gérer le microcrédit avec à la clé son remboursement ». En revanche, l‟analphabétisme est apparu comme un frein à l‟émancipation des femmes, ce qui a amené une femme enquêtée de le taxer de « maladie ». C‟est pourquoi la quasi-totalité des femmes n‟ayant aucun niveau d‟instruction ont suggéré le renforcement de leurs capacités. Or cet aspect est moins mis en avant aujourd‟hui par les IMF.

Pour autant, l'effet bénéfique de l'instruction de la femme dans le domaine de l‟entrepreneuriat n'est plus à en douter comme le précise Alfred Marshall cité par Guérin (2015 : 157) : « Eduquer les femmes c’est faire d’elles des ménagères qualifiées : il s’agit de leur donner des rudiments de santé et de nutrition dans le but de limiter la mortalité infantile, ainsi que des notions de comptabilité afin qu’elles tiennent au mieux la bourse du ménage ».

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