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Les impacts de la microfinance dans la lutte contre la pauvreté des femmes : des résultats controversés

Hypothèse 1 : Le microcrédit favorise la création de marges de manœuvres (des espaces de pouvoir) susceptibles de renforcer des activités génératrices de revenus concourant à

2.2. Les visions hégémoniques de la microfinance

2.3.3. Les impacts de la microfinance dans la lutte contre la pauvreté des femmes : des résultats controversés

La microfinance été beaucoup soutenue par les institutions internationales dans la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), les réformes politiques et économiques par le FMI dans le cadre des documents stratégiques de réduction de la pauvreté, mais aussi dans l‟essor des activités du Consultative Group to Assist the Poor, structure largement soutenue par la Banque mondiale. C‟est dans ce contexte que la microfinance, notamment le microcrédit a intégré la palette des instruments économiques au service des politiques de développement. Ce qui a suscité une demande accrue de l‟évaluation de son fonctionnement (analyse de la clientèle, des contrats, modes de gouvernance) et de son impact tant au niveau microéconomique qu‟au niveau macroéconomique. De ces analyses, il ressort une image contrastée où, d‟une part on reconnait les effets positifs engendrés par la

86 microfinance au cours de des dernières décennies, et d‟autre part, les limites de l‟outil (Labie et al, 2010).

La croissance et le développement du secteur ont fait évoluer la recherche ainsi que les méthodes utilisées. Le faisceau de preuves a rapidement grandi et les questions posées ont gagné en complexité. Une intense controverse a émergé, mettant en avant des preuves de théories contradictoires lourdement contestées que la microfinance n‟a réduit le taux de pauvreté que dans certaines circonstances, pour certains clients, à certains moments (Garikipati et al., 2017). La probabilité d‟un changement positif via la microfinance dépend donc du contexte dans lequel évoluent les bénéficiaires et les formes d‟activités économiques des femmes, rémunérées ou non, que ce soit au sein du foyer ou à l‟extérieur, à la fois à l‟égard de leur position au sein de la famille, mais également leur participation à la vie politique de leur communauté (Kabeer, 2005 ; 2016 ; Garikipati et al., 2017).

Evaluer donc les impacts de la microfinance, c‟est être confronté aux questions d‟attribution des effets et de mesure précise des champs étudiés. Par exemple, comment attribuer à l‟IMF seule un meilleur accès à la santé, une meilleure sécurité alimentaire ou une plus grande fréquentation scolaire des enfants ? La réponse à cette question est préoccupante d‟autant plus que l‟impact sur la santé et l‟éducation, par exemple, ne représente pour l‟IMF qu‟un objectif indirect qui peut être atteint grâce aux bénéfices de services financiers (Lapenu et al, 2004). En d‟autres termes, et comme le souligne Bédécarrats (2012 ; 2015), il est très délicat d'établir dans quelle mesure les améliorations constatées du revenu, de la santé ou de la scolarisation seraient dues à l‟intervention d'une IMF. La mise en évidence est d‟autant plus difficile que les effets observés sont indirects et que les flux financiers sont fongibles.

Cependant, sans être exhaustifs, nous présentons successivement quelques conclusions (positives et négatives) des études d‟impacts de la microfinance sur les conditions de vie des femmes.

Concernant les effets positifs, à partir de l‟exemple indien, Guérin et Pallier (2006) indiquent que l‟accès des femmes aux services financiers est déjà en soi novateur car, il permet à beaucoup de femmes d‟épargner sous forme monétaire qui, bien avant, dissimilaient leur épargne pour éviter les risques d‟appropriation par leur époux. Ces auteurs précisent en outre que grâce à la microfinance, certaines femmes ont bénéficié pour la première fois d‟un

87 crédit « productif », même si son usage et son contrôle leur échappent dans bon nombre de cas.

Dans la même perspective, Bouyo (2012) dans son analyse du contexte camerounais, souligne que la microfinance est assimilable à un outil efficace pour améliorer les conditions de vie des pauvres et plus spécifiquement les femmes. Ainsi, par le biais du microcrédit, les femmes exclues de l‟accès aux prêts bancaires classiques, renforcent leurs activités économiques et améliorent leurs conditions de vie. De même et selon l‟auteure, le micro-crédit renforce la sécurité sociale des femmes tout en leur permettant de faire de l‟épargne et même de souscrire de nouveaux crédits et des opportunités ouvertes pour les services d‟assurance, encore rares comme services des institutions de microfinance.

Pour sa part, Mia (2003) rappelle que la microfinance contribue à l‟accès aux moyens de financement à un maximum de personnes pauvres et leur permet de mettre à profit leurs capacités en faveur d‟un développement durable. La particularité de la microfinance est qu‟elle se bâtit sur les compétences et la volonté propres des personnes pauvres, notamment les femmes, de se prendre en main pour devenir des acteurs économiques productifs et des clients fiables de services financiers spécifiques.

Un autre impact de la microfinance sur la vie des femmes qui revient souvent est lié à l‟importance grandissante de leur part dans la prise de décision au sein du foyer. Au Bangladesh par exemple, entre 40 et 50% des femmes parlent de prises de décision conjointes. Si avant, elles parlaient avec beaucoup d‟amertume du fait de se sentir à l‟écart de la vie communautaire, d‟être exclues des événements sociaux et de toutes les formes de l‟hospitalité quotidienne, en raison de leur prospérité liée au prêt contracté, elles ont gagné le respect de ceux qui les méprisaient auparavant. Par conséquent, leur amour propre s‟est renforcé et elles ont finalement gagné plus d‟estime aux yeux des membres de leur famille. L'adhésion à un programme de crédit a en outre favorisé un changement d‟attitude en faveur de l‟éducation des enfants (surtout les filles) car selon les femmes, une fille éduquée est mieux respectée par son conjoint (Kabeer, 2001).

Contrairement à la vision « positiviste » de la microfinance sur les conditions de vie des femmes développée plus haut, il convient néanmoins de signifier qu‟elle engendre aussi des effets pervers. Ce constat est largement confirmé par plusieurs études dont celle de Guérin (2006) selon laquelle, la microfinance n‟est pas une panacée. Le programme de microfinance

88 peut tout aussi bien alléger la pauvreté que l‟alourdir en aggravant l‟insolvabilité des bénéficiaires.

Aussi, pour Guérin et Pallier (2006), l‟accès aux services de microfinance alourdit les responsabilités des femmes car, en plus de leurs tâches domestiques, elles doivent participer aux réunions de groupes et s‟impliquer dans d‟autres activités imposées par l‟organisation de microfinance. C‟est pourquoi elles sont tiraillées entre leurs obligations familiales et professionnelles

Mayoux (2009) dans son analyse sur les risques de la microfinance sur les femmes, ajoute que la microfinance comporte de sérieux risques et des effets potentiellement négatifs. Elle insiste sur le fait que pour certaines femmes, loin d‟avoir eu une influence positive sur leur autonomie, la microfinance l‟a considérablement réduite ; au lieu de remettre en cause les déséquilibres entre homme et femme au sein du ménage ou de la communauté, la microfinance peut les intensifier sous l‟effet de la féminisation de la dette que notre thèse apporte des éléments au chapitre 8 sur ce débat.

Par ailleurs, les crédits contractés auprès des IMF par certains ménages sont davantage utilisés pour régler les problèmes familiaux ou à assurer des dépenses quotidiennes. Ces ménages ont du mal à réussir dans l‟entrepreneuriat et finissent par être surendettés. Leur niveau de surendettement est tel qu‟ils prennent l‟initiative d‟emprunter d‟autres crédits auprès d‟autres IMF pour rembourser les premiers. Ainsi, ils tombent dans l‟endettement croisé et entrent dans le cercle vicieux du surendettement, c‟est-à-dire un déséquilibre entre revenus et dettes (Servet, 2015 ; Guérin, 2015).

Pour Garikipati et al. (2017), les femmes bénéficiaires de microcrédit sont confrontées à un rationnement de crédit plus sévère et se voient souvent accorder des prêts moins importants que les hommes. Ces auteurs évoquent que cette forme de discrimination cible principalement les femmes qui font des demandes de prêts plus importants dans les IMF brésiliennes où il existerait une sorte de « plafond de verre sur la dimension des prêts » (glass-ceiling on loan size) résultant de stéréotypes de genre sur les femmes entrepreneures qui prévalent dans la perception des gestionnaires de crédit.

La microfinance pourrait, en outre, améliorer les compétences de négociation des femmes au sein de structures existantes, mais elle a peu d‟effet sur les structures elles-mêmes. Dans certains cas, la microfinance peut même renforcer les structures préexistantes. En Inde

89 par exemple, les IMF sont caractérisées par un système clientéliste dans lequel plusieurs réseaux et organisations sont en concurrence pour contrôler les populations, les femmes en particulier, à des fins diverses (électorales, prosélytisme et philanthropique). De cette manière, plutôt que de faire de la place aux femmes pour qu‟elles puissent s‟organiser à l‟écart des structures locales de pouvoir, en pratique, les organisations de microfinance opèrent avec ces dynamiques politiques pour consolider leur propre légitimité ou pour cibler des clients solvables et garantir les remboursements (Guérin et Kumar, 2016 ; Garikipati et al., 2017).

Comme il apparait dans les différentes littératures, les effets de la microfinance sur l‟autonomisation des femmes et l‟égalité entre hommes et femmes suscitent de nombreux débats contradictoires. C‟est pourquoi, nous convenons avec Bouquet et al., (2009) que les résultats contradictoires de la microfinance sur les bénéficiaires illustrent le fait que les études d‟impact du microcrédit continuent de poser des défis conceptuels et méthodologiques qui alimentent les controverses. Alors que le secteur de la microfinance évolue et s‟incorpore au système financier traditionnel, il appartient donc aux chercheurs de considérer cet acquis pour garantir les avancées réalisées en vue d‟une meilleure compréhension des résultats d‟impact en lien entre la microfinance et l‟autonomisation des femmes (Garikipati et al., 2017).

Conclusion partielle

L‟analyse des rapports entre la microfinance et la pauvreté notamment celle féminine nécessite l‟examen de deux questions fondamentales à savoir : Quels sont la cible et l‟objectif du projet en question ? Quelle est la méthodologie qui permet d‟identifier de manière aussi rigoureuse que possible l‟impact d‟un projet de microfinance conformément à l‟objectif fixé ? Concernant la première question, il faut dire que les bénéficiaires du microcrédit vont au-delà des plus pauvres. Même s‟ils ne sont pas pauvres, les entrepreneurs les plus fiables sont aussi des cibles des IMF. Par rapport à la deuxième question, les évaluations d‟impact restent un exercice complexe du fait que l‟évolution du revenu des bénéficiaires de microcrédit peut être déterminée par d‟autres facteurs que le seul projet de microfinance (Guibert et Roubaud, 2005).

De même, les évaluations d‟impact du microcrédit posent toujours des défis conceptuels et méthodologiques qui sont toujours à l‟origine des controverses quant à l‟appréciation réelle de l‟impact des IMF sur les bénéficiaires. Ainsi, le niveau d‟analyse retenu, micro, méso ou macroéconomique, influence les résultats car chaque niveau met en évidence certains

90 phénomènes et en occulte d‟autres. Tous ces défis font qu‟il est souvent difficile d‟établir des liens de causalité entre le microcrédit et les changements observés chez les bénéficiaires (Michel et Randriamanampisoa, 2012).

L‟évaluation des impacts de la microfinance sur les pauvres devrait alors aborder simultanément le problème de l‟impact relatif des différents services financiers, de la multi-dimensionnalité de la pauvreté et du choix des critères retenus pour l‟évaluation (Comim, 2008). C‟est pourquoi, nous convenons avec Doligez (2002) que la question de l'impact de la microfinance n'est jamais close. Alors que le secteur de la microfinance a connu un essor rapide dans le monde, au cours des deux dernières décennies, il appartient donc aux chercheurs de rester prudents quant à la promesse formulée par la microfinance en termes d‟autonomisation des femmes (Gwendoline, 2015).

91 CHAPITRE 3 : GENRE, DEVELOPPEMENT ET MICROFINANCE

Introduction

La microfinance est devenue après plus de trois décennies d‟expansion, l‟un des instruments des politiques économiques et sociales les plus en vogue en matière de développement. Son champ est même devenu un lieu de confrontation entre différentes approches théoriques et empiriques.

Par le biais des services financiers mis à la disposition des populations pauvres et/ou exclues du système bancaire classique, la microfinance devrait leur permettre de se soustraire des prêts usuriers à des taux d‟intérêt très élevés et de les inclure financièrement et socialement afin de pouvoir entreprendre, développer ou stabiliser des activités génératrices de revenus. Une participation accrue aux programmes de microfinance se traduirait par une amélioration des conditions de vie des femmes et de leur famille. Par conséquent, la microfinance devient un outil d‟amélioration du bien-être et de réduction de la pauvreté et des inégalités selon le genre (Yunnus, 1997 ; Banerjee et al., 2009 ; Koloma, 2010).

Ce chapitre porte sur les rapports entre la microfinance, le genre et le développement. Pour mieux cerner cette interaction, il est utile de rappeler dans un premier temps le concept de genre en nous appuyant sur son usage, sa signification, sa démarche ainsi que son incidence dans les programmes de développement.

Dans un deuxième temps, il est question de présenter l‟empowerment comme un argument utilisé par de nombreuses IMF et organisations de la société civile pour lutter contre les inégalités dont les femmes sont majoritairement victimes.

Enfin, nous nous focaliserons sur la problématique du genre en Guinée dans différents secteurs sociaux (éducation, santé), de production (agriculture, élevage, pêche), gouvernance et accès au travail, culturel, religieux et juridique.

3.1. Précision autour du concept de genre

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