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Profil des femmes bénéficiaires

Hypothèse 1 : Le microcrédit favorise la création de marges de manœuvres (des espaces de pouvoir) susceptibles de renforcer des activités génératrices de revenus concourant à

4.2. Des femmes et de leurs relations avec les IMF

4.2.1. Profil des femmes bénéficiaires

Quelles sont les caractéristiques sociodémographiques des femmes bénéficiaires de microcrédit de notre échantillon ? Face à cette question centrale pour dresser un profil, la présente thèse récapitule cinq variables (niveau d‟instruction, situation matrimoniale, âge, profession et nombre moyen de personnes prises en charge) pour lesquelles les femmes sont concernées.

- Le niveau d’instruction

Pratiquement, les deux tiers des femmes (76%) bénéficiaires de microcrédit sont analphabètes. Une petite partie d‟entre elles (3%) a commencé l‟école mais n‟a jamais terminé le primaire. 5% des femmes ont fait des études professionnelles et sont coiffeuses ou enseignantes. Certaines (6%) ont arrêté les études au niveau du secondaire alors que d‟autres (3%) sont universitaires. Dans cette dernière catégorie, plusieurs sont diplômées sans emploi. Elles se sont reconverties dans la transformation agroalimentaire et le commerce.

Cependant, le reste des femmes qui représentent 6% de l‟ensemble a étudié en arabe, soit en formation diplomante, soit en formation coranique à la maison ou dans un centre informel

130 d‟apprentissage.Le graphique 2 ci-dessous, illustre la distribution des femmes bénéficiaires de microcrédit en fonction de leur niveau d‟instruction.

Graphique 1 : Distribution des femmes selon le niveau d’instruction

Source : Enquêtes de terrain, 2016

Si majoritairement les femmes sont analphabètes, elles sont conscientes que cet état est une contrainte majeure à leur épanouissement. Nombreuses parmi elles le qualifient d‟ailleurs, de façon imagée, de ténèbre ou de maladie. C‟est pourquoi, aujourd‟hui elles investissent davantage dans l‟éducation de leurs enfants notamment les filles.

Pour ces raisons, il serait très pertinent pour les IMF de ne plus se limiter à de simples orientations des nouvelles emprunteuses sur les modalités d‟octroi et de remboursement des prêts. Elles devraient, en revanche, initier et mettre en œuvre des programmes de renforcement des capacités des femmes dont le poids démographique et économique est déterminant dans la région. Au-delà du savoir lire et écrire, ces formations permettraient aux femmes de mieux gérer les fonds qui leur sont octroyés. Les risques de surendettement, aussi, pourraient évoluer à la baisse.

- La situation matrimoniale

82% des femmes de notre échantillon sont mariées. On y trouve également des veuves (14%), des divorcées (3%) et des célibataires (1%) tel que le montre le graphique 3 ci-dessous.

131 La situation matrimoniale « mariée » des femmes semble sécuriser le crédit. Elles sont moins mobiles et leurs domiciles conjugaux sont, pour l‟essentiel, connus par les agents des programmes de microfinance. Cela facilite le recouvrement du crédit en cas de retard de remboursement. Il faut rappeler qu‟un peu plus d‟une femme sur deux, soit 55, % des mariées, vivent dans des foyers polygamiques. Celles-ci ont peur de la honte et ne souhaitent pas que quelqu‟un vienne leur réclamer une dette, alors qu‟elles sont en famille avec des coépouses. C‟est pourquoi, lorsqu‟elles sont redevables, elles utilisent divers moyens (prêt sur gage, vente de biens, souscription aux tontines) pour rembourser leurs dettes et tenter ainsi de s‟éloigner de l‟humiliation à tout prix35

.

Cet état d‟esprit semble expliquer les raisons qui font que les IMF privilégient les clientes mariées. Pour les agents de crédits, les femmes veuves, divorcées et surtout célibataires n‟ont pas de contrainte de mobilité et peuvent facilement changer d‟adresses en cas d‟insolvabilité. C‟est pourquoi, le statut matrimonial est un facteur déterminant dans l‟octroi de crédit.

Graphique 2 : Statut matrimonial des femmes

Source : Enquêtes de terrain, 2016 - L’âge

L‟âge des femmes bénéficiaires des services des programmes de microfinance oscille entre 20 à plus de 60 ans. La tranche d‟âge la plus fréquente est celle de 30 à 39 ans. Elle concerne 55 femmes, soit 31% de l‟échantillon. Elle est suivie de la tranche d‟âge de 40 à 49

35 Nous verrons dans le chapitre les chapitres 8 et 9 que certaines femmes mariées surendettées migrent vers les zones minières et ne reviennent dans leur foyer que lorsqu‟elles auront les moyens financiers pour rembourser le crédit emprunté.

132 ans avec 25%, de celles de 20 -29 ans (22%) et de 50 Ŕ 60 ans (12%). Les moins représentées (10%) sont celles qui ont plus de 60 ans.

Tableau 18 : Représentativité des femmes selon les tranches d’âge

Tranches d’âge Effectifs %

20 Ŕ 29 40 22 30 Ŕ 39 55 31 40 Ŕ 49 45 25 50 Ŕ 60 21 12 +60 17 10 Total 178 100

Source : Enquêtes de terrain, 2016

En analysant ce tableau ci-dessous, on pourrait déduire que ce sont les jeunes femmes et les adultes qui sont principalement ciblées par les IMF en raison de leur dynamisme à entreprendre des activités génératrices de revenus. Il s‟agit dans ce contexte des femmes dont l‟âge varie entre 20 à 50 ans, soit 78% de l‟échantillon. Par contre, celles dont l‟âge est compris entre 50 à + 60 ans sont moins ciblées (22%), probablement à cause des doutes sur leurs capacités à rembourser le crédit en raison de l‟avancée de leur âge qui est au-delà de l‟espérance de vie en Guinée, estimée, tous sexes confondus, à de 54 ans (FDA, 2005 ; EDS, 2012). De plus, il n‟existe pas de micro-assurance pour couvrir les encours des personnes invalides ou décédées en cours de remboursement.

- La profession

Les femmes interviewées se répartissent entre huit catégories socioprofessionnelles. Par ordre de représentativité, les commerçantes sont les plus nombreuses, elles constituent 45% de l‟échantillon. Viennent ensuite les transformatrices de karité (21%) et les maraichères (20%). Les femmes pratiquant divers métiers représentent 20% de l‟échantillon. Ce sont essentiellement des couturières (4%), des saponificatrices (3%), des coiffeuses (3%), des teinturières (2%) et des restauratrices (2%). Telles sont les statistiques illustrées dans le graphique 4 ci-dessous.

133 Graphique 3 : Distribution des femmes selon la profession

Source : Enquête de terrain, 2016

Précisons que la quasi-totalité des femmes commerçantes résident dans des centres urbains. Au moins deux-tiers d‟entre elles sont détaillantes et les autres sont grossistes. En plus, elles sont actives dans les différents corps de métiers (couture, teinture, saponification, coiffure, restauration et transformation agro-alimentaire). En revanche, les femmes rurales (41%) sont très présentent dans le maraichage et la transformation du beurre de karité qui constituent l‟essentiel des activités génératrices de revenus.

- Nombre moyen de personnes prises en charge

Les femmes enquêtées prennent en charge des personnes qui sont soit leurs enfants, frères, sœurs, parents et même dans des rares cas l‟époux. Le tableau 17 illustre la répartition des femmes selon le nombre de personnes prises en charge. Il se dégage que le nombre de personnes en charge par femmes varie de 3 à 10. Par exemple, 77 femmes (soit 43%) prennent en charge en moyenne 3 enfants. 70 autres femmes s‟occupent chacune en moyenne de 5 personnes. Le nombre de personnes en charge est 8 pour 24 femmes et de 10 pour 7 femmes. Par conséquent, l‟impact indirect des microcrédits toucherait au moins 843 personnes.

Tableau 19 : Les enquêtés selon le nombre moyen de personnes prises en charge Nombre de personnes

en moyenne Nombre de femmes Nombre de personnes en charge %

3 77 231 43

5 70 350 39

8 24 192 13

10 7 70 4

Total 178 843 100

134 4.2.2. Les besoins financiers des femmes

Dans le but de mieux aborder les interactions entre les femmes et les IMF, nous avons d‟abord cherché à appréhender la nature de leurs besoins financiers qui sont multiples :

- Le capital pour entreprendre des activités génératrices de revenus (restauration, petit commerce, élevage, transformation agro-alimentaire, coiffure, couture…) ;

- La trésorerie pour la campagne agricole (achat d‟intrants, petits outillages, rémunération de la main d‟œuvre) ;

- La prise en charge sociale des enfants et de la famille (scolarité, nourriture, soins de santé, habillement, loisirs…) ;

- Le capital pour entreprendre l‟embouche bovine et l‟élevage des petits ruminants (moutons, chèvres) ;

- La participation au financement des cérémonies familiales (funérailles, mariages, baptêmes, fêtes…).

Les besoins financiers des femmes sont trop importants et diversifiés. Ils vont de l‟obtention d‟un capital pour entreprendre une activité génératrice de revenus à l‟achat des intrants agricoles. Ils passent également par les dépenses pour les condiments, l‟achat d‟habit, le paiement des soins médicaux et la satisfaction des besoins des enfants en termes de scolarité, d‟alimentation et de soins de santé.

Pour autant, les informations obtenues laissent entrevoir une différence entre les besoins financiers des femmes urbaines et celles rurales. Dans les communes urbaines, le désir d‟obtenir un capital est couramment évoqué. La commercialisation des produits agricoles (riz, fonio, manioc, niébé, arachide…), des produits de cueillette (néré, karité, miel…) et les produits manufacturés occupe une place dominante parmi les activités génératrices de revenus.

En plus des besoins en fonds de roulement pour exercer des activités commerciales, ceux relatifs à l‟équipement des différents corps de métiers ont été aussi évoqués par les femmes urbaines. Les métiers comme la broderie, la couture, la saponification, la teinture, la coiffure ont été le plus souvent identifiés comme des activités économiques d‟insertion socioprofessionnelle des femmes. Cependant, celles qui les exercent sont en général confrontées à l‟insuffisance de moyens financiers pour s‟équiper en matériels indispensables pour mettre sur pied leur propre atelier. Pour les femmes enquêtées, un appui financier

135 pourrait leur permettre d‟acquérir des matériaux de travail indispensables pour démarrer et/ou renforcer leur métier respectif. C‟est l‟avis de cette saponificatrice de 30 ans, 2 enfants au quartier Noumoussoulou de Mandiana :

« En ma qualité de saponificatrice, j’ai du mal à exercer mon métier car je n’ai pas suffisamment de moyens pour payer mon matériel de travail composé de bassines, de grande quantité d’huile rouge, de la soude caustique, des fûts et des gants. Sans ces éléments de base que je viens d’énumérer, il me semble pratiquement difficile de pratiquer mon métier comme je le souhaite ».

Ces propos sont renchéris par ceux d‟une couturière âgée de 37 ans domiciliée au quartier Mori-oulen de Kankan qui souligne que :

« Pratiquer la couture demande d’avoir ses propres machines. Depuis maintenant trois ans, je suis apte à pratiquer mon métier mais, faute d’avoir mes propres équipements, je travaille en qualité de salariée dans l’atelier de mon maitre, ce qui ne me permet pas de faire prévaloir mon talent dans mon métier et d’être financièrement autonome ».

En revanche, le financement des cultures vivrières, le maraîchage et la transformation des produits de cueillette constituent les plus fortes attractions chez les femmes rurales. La pratique de ces différentes cultures occupe une place de choix dans les activités économiques de tous les terroirs villageois de Haute Guinée. En général, dans le domaine agricole, les femmes cultivent l‟arachide, l‟oignon, le gombo, la tomate, le piment, la laitue, l‟aubergine et le chou. Toutefois, elles sont confrontées à plusieurs contraintes dont les principales sont le manque de moyens financiers pour l‟achat des intrants, des outils de production et les difficultés liées au paiement des prestations ouvrières pour celles qui embauchent des ouvriers. Celles qui ne disposent pas de moyens financiers, le plus souvent, s‟abstiennent de cultiver pour elles-mêmes et se contentent de réaliser des prestations dans les exploitations familiales où la récolte est directement gérée par le chef de famille.

Outre l‟agriculture, l‟élevage a été identifié par les femmes rurales comme le second domaine d‟activité où le besoin de financement se fait remarquer avec acuité. Il est un créneau susceptible de rentabiliser les investissements à travers l‟embouche bovine et les petits ruminants (moutons, chèvres).

Traditionnellement, l‟élevage est considéré comme une épargne en nature : « Posséder un important bétail est signe extérieur de richesse ». Jadis, étant alors considéré comme un signe extérieur de richesse, le bétail était principalement destiné à l‟autoconsommation, aux

136 pratiques agricoles, aux sacrifices et à la satisfaction des besoins sociaux familiaux pendant les cérémonies (baptêmes, funérailles et mariages notamment). Il ne s‟insérait que rarement dans une stratégie commerciale. La situation socioéconomique des ménages étant bien différente de nos jours, l‟élevage est devenu une activité économique rentable pour la trésorerie des éleveurs grâce, notamment à la vente des animaux et à la commercialisation du lait de vache.

Basé sur un système d‟élevage extensif et sédentarisé (Sangaré, 2007), les animaux sont conduits la journée au pâturage dans les champs en friche (nangan) et les bowés (foua). Ils sont parqués la nuit dans des enclos (wèrè) par des enfants des propriétaires ou sont confiés aux bouviers peulhs rétribués si le bétail est important. L‟accès au bowés est libre et sans aucune restriction. En revanche, il est réglementé lorsqu‟il s‟agit des friches en raison de leur proximité des cultures ou des greniers présents dans les champs. En général, ces espaces sont réservés aux animaux des propriétaires des champs. Ce système d‟élevage se heurte à la persistance des maladies animales et à la faiblesse des connaissances des éleveurs (notamment les femmes) dans leur traitement. Cette contrainte peut être atténuée grâce à l‟implication des services techniques des Directions préfectorales de l‟élevage et des officines privés de vétérinaires dans la surveillance épidémiologique des animaux et l‟approvisionnement en produits vétérinaires de meilleures qualités et à faible coût.

Enfin, les femmes (rurales et urbaines) ont unanimement affirmé que la satisfaction de leurs besoins financiers à travers l‟octroi de microcrédit leur permettrait de faire face aux problèmes sociaux dont les principaux sont : la scolarité des enfants, les frais de santé, les dépenses liées aux événements du cycle de la vie (baptême, mariage, funérailles…) et l‟habillement. Ces dépenses jusqu‟à peu relevaient de la responsabilité masculine et aujourd‟hui, elles deviennent une charge économique pour les femmes au sein des foyers où le pouvoir économique des hommes ne leur permette plus de les assumer entièrement. C‟est dans l‟espoir de trouver une solution à la diversité des besoins énumérés ci-dessus que les femmes ont recours aux IMF.

Rappelons cependant qu‟au-delà des besoins financiers, les femmes doivent faire face à d‟autres barrières socioculturelles (l‟analphabétisme, la faible participation au processus de prise de décision, les pratiques différentiées de socialisation selon le genre, la division genrée du travail, le faible contrôle des ressources économiques…) sur lesquelles nous y reviendrons.

137 Par conséquent, donner du crédit aux femmes sans régler ces autres barrières peut causer plus de difficultés qu‟en résoudre. Mais bien avant, analysons les raisons d‟adhésion des femmes aux programmes des IMF.

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