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6. Les manuels scolaires

6.3 Qu’est-ce qu’un manuel d’histoire

Au-delaè de cette litteérature sommaire, nous n’avons pas encore poseé la question essentielle. Qu’est-ce qu’un manuel scolaire d’histoire ? Œuvre composite, il se trouve sur la jonction entre la culture, l’eécole, l’industrie de l’eédition et la socieéteé (Stray, 1993).

Pour Annie Bruter, citeé par Choppin (2008), ils sont issus des abreégeés qui servaient, aè destination d’un public plus large, aè vulgariser les connaissances savantes. Leurs existences neécessitent alors trois eéleéments : un mode peédagogique qui permet la diffusion aè une classe d’un savoir commun ; la structuration de celui-ci en discipline ; que l’eéleève peut le posseéder.

Pour Moeglin (2005), il apparaïât au deébut du XIXe sieècle avec le systeème scolaire, duquel il constitue un outil qui permet la promotion des strateégies politiques et ideéologiques et son eévolution actuelle.

La recherche seépare, geéneéralement, les manuels d’autres objets qui viennent les compleéter plus que les concurrencer, les Teachning media. Ces supports connaissent des hybridations, entre manuels numeériques ou augmenteés. L’eétablissement des bornes a principalement de la valeur pour les peériodes anteérieures. Pour autant, Choppin (1980) diffeérencie l’ouvrage produit pour la classe, et obeéissant de facto aè des impeératifs peédagogiques, de celui qui posseède un autre usage et se voit introduit dans l’eécole.

Stray (1993) deéfinit le manuel comme « un livre conçu pour donner une version peédagogique et didactique d’un certain domaine de connaissance » (p. 73). Il apparaïât alors comme la mateérialisation de la discipline, et nous retrouvons laè les eéleéments de l’eéchelle.

Il deépasse cette particulariteé et constitue un objet « […] indeed, [who] offers to the master the possibility of combining, in class, collective work and individual work, as well as class work and home work ». (Moeglin, 2005, p. 24).

Dans son approche du manuel, Lucas (2005) eévoque la proximiteé des magazines de vulgarisation et des livres, mais encore un lien qui s’eétablit entre les auteurs et les eéleèves. Il se construit dans les pratiques, entre lectures lineéaire ou theématique. Et cela renseigne d’ores et deéjaè sur les contraintes qu’ils font peser sur les contenus. Ceux-ci sont assembleés et articuleés dans la perspective d’un enseignement. Nous revenons encore une fois aè la structuration des niveaux inteérieurs de notre eéchelle en consideérant le manuel comme l’organisation d’une partie de l’univers.

Bacqueès, aè travers diffeérentes productions, aborde leurs eévolutions. Elle montre ainsi que le savoir appreâteé change diffeéremment des prescriptions. Il preéceède certaines avanceées, en retardant d’autres.

Ce livre reste donc le fruit de contraintes varieées, le marcheé, mais aussi les glissements de l’institution scolaire, des pratiques enseignantes ou de l’Universiteé, garante des contenus. Les quelques maisons d’eédition s’affrontent aè travers la preésentation des manuels ou les recherches de nouveaux publics. La concurrence rude conduit aè la reéduction de leurs nombres, des speécialisations et des alliances.

Les eéquipes d’auteurs eévoluent au cours des anneées 1990. Sans doute dans l’optique de gagner la sympathie des enseignants, des praticiens aux origines varieées remplacent les universitaires et les reéseaux parisiens. Les maquettistes prennent de plus en plus d’importance et accompagnent la disparition, dans les premieères pages, des avant- propos, au profit de modes d’emploi.

Paralleèlement, alors que les professeurs et historiens semblent l’avoir emporteé en obligeant la preésence quasi systeématique de leégende sous les documents, des pratiques

de deétourages contribuent aè leurs naturalisations. Dans tous les cas, Baqueès eévoque dans ces modifications une victoire de l’institution scolaire (et des eéditeurs) sur les historiens. L’eévolution correspond aussi aè celle des peédagogies et du public. Le cours magistral, la norme dans les anneées 1960, s’efface au profit des exercices dans lesquels les manuels fournissent aè la fois la leçon et les documents. Ces derniers peuvent y occuper diffeérentes fonctions de l’illustration jusqu’au sujet. Par ailleurs, les changements communs dans tous les ouvrages traduisent une nouvelle theéorie de leur roâle, un glissement de l’exposition du savoir vers l’outil.

L’eévolution des diffeérentes eéditions apparaïât aussi dans la theèse de Morand (2011). L’emploi erroneé d’une formule, notamment, lui permet de mettre en lumieère un pheénomeène de copiage entre auteurs. Mais nous revenons ici au savoir appreâteé, ce qui nous conduit aè nous interroger. Le manque relatif de travaux aè ce sujet ne deécoulerait-il pas d’un retard ? Les chercheurs et le public continueraient alors aè percevoir l’œuvre comme un exposeé qui deélaisse sa forme d’outil.

Baqueès (2007) borne le manuel scolaire : il est, et doit rester, un livre et non pas un recueil de documents ; il ne doit pas introduire de trop grandes nouveauteés, ce qui explique la relative similariteé dans une meâme geéneération ; il ne doit pas incorporer une histoire critique ou aè la comparaison entre historiens, malgreé quelques tentatives. Ce rejet lui parait une conseéquence d’un retour sur des theématiques meémorielles et patrimoniales au tournant des anneées 2000.

Par ailleurs, les manuels scolaires enteérinent une relation avec l’histoire savante. L’auteure preécise en effet que les eévolutions historiographiques, ou du moins certaines d’entre elles finissent par se retrouver dans les livres de classe. Cependant, les exemples qu’elle prend ne traitent pas, pour certains, des manuels directement, mais des prescriptions.

Paralleèlement, des eéleéments eépisteémologiques introduits au profit de courants anteérieurs de l’historiographie et entreés dans les mœurs peinent aè laisser la place aè d’autres objets malgreé les textes officiels. D’autre part, les manuels souhaitent eéviter, dans une certaine mesure, les conflits. Les maisons d’eédition tenteées par l’audace, comme Magnard au milieu des anneées 1990, reviennent en arrieère.

Ils peuvent par ailleurs progresser rapidement dans les interpreétations de certains eéveènements. Alors que les programmes restaient neutres au sujet de l’histoire de l’Union sovieétique, les manuels ont largement anticipeé l’eévolution vers une critique virulente qui devait se produire dans les anneées 1990.

Caritey (1993), que Mutabazi (2013) cite eénormeément, a eécrit un article de meéthodologie sur l’eétude des manuels scolaires. Il prend en compte deux formes de contenus transmis, des objets proches de l’eéveènement et du temps court, d’autres qui se situent dans le temps long, comme la constitution des groupes sociaux ou des institutions ; mais aussi, des eéleéments ideéologiques simplifieés dans un format dirigeé vers

un public jeune. AÀ ces deux ensembles repris de Moniot (1988), il ajoute un troisieème niveau de lecture qui correspondrait aè un discours sur l’histoire elle-meâme, relatif aè la structuration du temps que chaque ouvrage propose.

Une autre approche passe dans la relation qui unit les groupes d’auteurs aux contenus, aux programmes et aè la socieéteé. Lantheaume (2007 b) concentre ainsi son attention sur le cas de l’histoire de la colonisation. Elle avance que l’eévolution de sa repreésentation deécoule en partie des conditions de l’eécriture. La multiplication des auteurs et de leurs reéseaux favorise cette ouverture. Patricia Legris observe un pheénomeène semblable au niveau des prescriptions.

Se basant sur des programmes et des manuels depuis 1923, elle montre que le deéveloppement des documents, comme la multiplication des auteurs, a conduit d’une deénonciation anonyme de la colonisation aè une oscillation entre deénonciation et relativisme. L’eévolution de l’eécriture, lieu des neégociations, tend aè produire des objets de plus en plus aseptiseés. La colonisation disparaïât au profit de simples illustrations des coloniseés. Cette eévolution deécoulerait d’« une nouveauteé historiographique retenue ». La situation actuelle des pays anciennement coloniseés, ainsi que la vivaciteé de ces questions, pourrait peser sur cette histoire.