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Un public « en confirmation d’identité » prédisposé à la réception du discours d’auteur et de l’œuvre présentée

CAPITAL CULTUREL SPÉCIFIQUE

DE DISPOSITIONS ESTHÉTICO-LITTÉRAIRES

1. Un public « en confirmation d’identité » prédisposé à la réception du discours d’auteur et de l’œuvre présentée

La prédominance d’un « capital littéraire »

Comme c’est souvent le cas à l’occasion de rencontres d’auteur en contexte parisien, l’auteur adopte une posture littérairement sophistiquée, faisant appel de manière plus ou moins syncrétique à une multiplicité d’imaginaires. Ce faisant, comme les bibliothécaires dans leur conception de la médiation littéraire, l’intervenant s’adapte à un public-lecteur confirmé dont il présuppose un certain nombre de dispositions réceptives. Plus précisément, s’instaure une relation de connivence entre l’écrivain et l’auditoire, l’un sollicitant la compétence interpréta- tive de l’autre par l’invocation d’univers de références partagés. En mettant en scène son propre capital littéraire, l’écrivain mobilise celui du public qui s’y reconnaît en vertu de sa socialisation littéraire antérieure.

Nous tenterons dans cette partie de caractériser ce capital littéraire du public favorisant sa participation plus ou moins régulière et engagée à des événements comme les rencontres d’auteur en bibliothèque. D’une manière générale, comme nous l’évoquions en première partie, la médiation à l’œuvre dans le dispositif consisterait moins en une sensibilisation à la littérature

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contemporaine d’un public qui en serait éloigné, qu’un espace de confirmation et d’expression d’un capital littéraire toujours déjà acquis par un public d’« initiés ». Quelle que soit l’intensité de la programmation culturelle et malgré le volontarisme des professionnels, les rencontres d’auteur en bibliothèque, en opérant un « tri informel entre public et non-public »214, attire-

raient une majorité d’individus « lettrés », au profil sociodémographique relativement homo- gène. Ces individus sont prédisposés à y participer en vertu de ce « capital littéraire » permet- tant de saisir l’intertextualité du discours d’auteur, donc ouvrant à la pleine compréhension de ce dernier. Ce capital culturel spécifique est également réinvesti dans des espaces de médiation mettant à l’honneur une littérature « déconcertante » invitant à un mode particulier d’appro- priation, que Gérard Mauger Claude F. Poliak qualifient d’« esthète ». Acquis à ce genre de littérature, le public procède alors du connu à l’inconnu selon un processus d’accumulation de capital littéraire avec un goût certain pour l’expérimentation et le risque en matière d’événe- mentiel littéraire. Comme le dit une bibliothécaire elle-même, il s’agit en somme d’un public « qui accepte volontiers d’être bousculé dans ses lectures et sait apprécier l’effort déployé pour lui faciliter l’accès à l’édition contemporaine »215.

Analysées en termes bourdieusiens, les rencontres d’auteur deviennent une pratique culturelle intermédiaire dans la hiérarchie des légitimités, privilégiée par ce public-lecteur pa- risien en tant qu’occasion de manifester un capital culturel spécifique. La notion de capital culturel en général, « l’analyse de son inégale répartition et sa contribution à la reproduction des hiérarchies éclaire […] les propriétés du public et ses profits symboliques qu’il tire de sa fréquentation »216 d’événements littéraires. Aussi les rencontres d’auteur, en favorisant l’ac-

cumulation et l’expression d’un capital littéraire, permettent à ce public « en confirmation d’identité »217 de se distinguer en tant qu’amateurs-experts, suscitant un complexe d’infériorité

chez des publics au capital littéraire plutôt en construction ou connaissant moins l’écrivain invité.

214 POISSENOT Claude, « Penser le public des bibliothèques sans la lecture ? », Bulletin des Bibliothèques de

France, vol. 46, n°5, 2001, p. 4-12. Dit autrement : « La bibliothèque ne sélectionne pas explicitement ses usagers,

mais elle attire à elle inégalement des catégories de population » (ibid.).

215 GEORGES Chantal, « Dans la cour des petits. Littérature française contemporaine et bibliothèque, constitution

et mise en valeur d’un fonds à la médiathèque de Romorantin-Lathenay », in DINCLAUX Marie et VOSGIN Jean- Pierre, Littérature(s) en bibliothèques. Colloque « Profession : bibliothécaire », 13 avril 1999, Presses universi- taires de Bordeaux, 2001.

216 SAPIRO Gisèle et al., « L’amour de la littérature : le festival, nouvelle instance de la production de la croyance.

Le cas des Correspondances de Manosque », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 206-207, n°1, 2015, p. 108-137.

217 D’après : CAILLET Mathilde, Les logiques d’usage en bibliothèque publique. Étude d’une pratique culturelle,

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Pour ce public de femmes relativement âgées et appartenant surtout à la classe moyenne, les rencontres d’auteur constituent « un mode d’appropriation symbolique et distinctif des œuvres »218 reposant notamment sur l’illusion du privilège d’un contact exclusif et intime avec

l’auteur. C’est précisément de cette impression de rareté dans la rencontre physique avec l’écri- vain que le public tire des profits de distinction. Mais plus généralement, à travers sa partici- pation aux rencontres d’auteur, ce public d’habitués tend à mettre en œuvre une logique d’usage particulière de la bibliothèque, où cette dernière serait considérée comme le lieu d’une culture exigeante. C’est qu’il s’agit d’amateurs-connaisseurs de littérature souvent fortement passionnés, dont la pratique de lecture devient une ascèse personnelle. Par opposition à ces individus manifestant dans leur pratiques un usage extensif et éclectique de la bibliothèque, profitant de tous ses services en plus de leur participation aux rencontres d’auteur, certains de nos enquêtés semblaient exclusivement intéressés par la programmation littéraire, concevant ainsi l’institution culturelle sous un angle légitimiste.

Premièrement, Marie-Louise en se présentant comme une lectrice exigeante, lisant « essentiellement »219 des romans et ne s’ouvrant que timidement à d’autres formes de littéra-

ture, se plaçait parmi ces « lecteurs moyens » que semble valoriser le dispositif des rencontres d’auteur en bibliothèque. Appartenant à un entourage de lettrés, elle préfère largement la mé- diation littéraire en bibliothèque, plus efficace selon elle et moins « snob »220 que des émis-

sions comme La Grande librairie. Authentique habituée des rencontres d’auteur et du P’tit déj’ littéraire de la médiathèque Marguerite Yourcenar, elle ne se sent pas « concernée »221 par le

reste de la programmation, faisant ainsi un usage intensif et légitimiste de la bibliothèque. Outre une conception anticonsumériste de la lecture – les livres devant selon elle circuler dans l’espace public sans faire l’objet d’appropriations personnelles –, elle recherchait dans les ren- contres d’auteur une forme d’authenticité. Cet espace-temps réservé à la seule médiation litté- raire ne devait pas selon elle être parasité par des logiques exogènes, comme celles de la pu- blicité et de l’économie marchande. Marie-Louise met en œuvre une logique d’usage de la bibliothèque relevant d’une conception traditionnelle et exclusivement littéraire de cette

218 Ibid.

219 Entretien avec Marie-Louise, 18 décembre 2018 (Annexe VIII). 220 Ibid.

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dernière. D’ailleurs, la plupart de nos enquêtés n’utilisaient quasiment jamais le terme de « mé- diathèque », à l’exception de Thierry222.

Deuxièmement, Alain, autre usager « en confirmation d’identité », fait également un usage intensif et exclusif de la bibliothèque, n’étant intéressé que par les rencontres d’auteur, dont il déplorait d’ailleurs qu’elles n’aient pas lieu une fois par mois. Cependant, il incarne, plus que Marie-Louise, la figure d’un public-lecteur élitiste, comme lorsqu’il critique le portail de l’association Paris Bibliothèques :

« Leurs coups de cœur, c’est n’importe quoi. Ou alors, euh… ils doivent prendre un lecteur moyen, donc, euh… Les lecteurs exigeants, euh… dont je suis, euh… n’y trou- vent pas leur compte. C’est clair. C’est vraiment, euh… ‘puis ils achètent… tout. Bon, c’est pas… Bon y a des choses qu’on laisserait volontiers tomber, quoi. »223

Quasi-exclusivement intéressé par les romans comme Marie-Louise, les livres sont pour lui, quand vient l’âge de la retraite, « [son] passe-temps favori ». « [Courant] après les livres comme un drogué court après sa drogue », amateur de rareté, il ajoute que

« Les… les bons livres sont… sont rares. Sont rares. Et… toute la difficulté…On a beau… connaître tous les… tous les relais… La difficulté reste toujours de trouver les bons livres. C’est une chasse. Permanente. »224

On peut supposer qu’Alain adopte le même comportement de distinction dans ses choix en matière de rencontres d’auteur et autres événements littéraires, tous ne se valant pas. D’ail- leurs, suivant l’actualité littéraire de près, tout aussi élitiste dans ses sources, qualifiant En at-

tendant Nadeau de « référence » et dénigrant La Quinzaine littéraire pour sa banalité, il incarne

aussi cette figure de l’usager autonome, très sélectif dans ses pratiques culturelles. Enfin, il sacralise le livre contre les profanations en tous genres et qualifie les critiques professionnels de « vendus ». Comme Marie-Louise, il manifestait donc une vision idéaliste de la bibliothèque comme espace public d’échanges autour de la littérature, les professionnels faisant la médiation de cette dernière de manière désintéressée.

222 Ce dernier, à travers sa participation aux rencontres d’auteur, faisait en effet un usage plutôt extensif et éclec-

tique de la bibliothèque, appréciant la diversité de ce lieu en matière de médias, en lien avec sa trajectoire d’auto- didacte. C’est dans ce contexte qu’il met sur un même plan « rencontres d’auteur », faisant intervenir des écrivains, des bédéistes et divers autres créateurs, et « conférences », dans une démarche plus éthico-pratique. Il affirmait même ne jamais se rendre aux unes comme aux autres pour voir l’auteur en personne, mais toujours pour la thé- matique. Thierry se situe donc à l’opposé de Marie-Louise ou Alain, qui incarnent le type d’usagers faisant un usage intensif et exclusif de la bibliothèque. N’étant intéressés, dans leur fréquentation de ce lieu, que par la litté- rature générale, ils tendent à parler plutôt de « rencontres littéraires ».

223 Entretien avec Alain, 23 novembre 2018 (Annexe VII). 224 Ibid.

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Ce type de public lettré serait qualifié par Bernard Lahire de « consonant »225, aux

centres d’intérêt cohérents, s’épanouissant dans des pratiques essentiellement tournées autour d’une littérature relativement exigeante. Or, cet habitus relativement homogène que les partici- pants aux rencontres d’auteur ont en partage, fondant leur appartenance à une même classe sociale, s’est constitué au fil d’expériences socialisatrices semblables (d’où des similitudes dans les manières de penser, de sentir de d’agir)226, où la lecture tend à faire l’objet d’un investisse-

ment précoce.

Une socialisation précoce à la littérature

À l’exception de ces micro-publics, investissant les rencontres d’auteur comme un es- pace de construction d’un capital littéraire, selon une logique de rattrapage ou de compensation par rapport à une trajectoire peu favorable à un épanouissement culturel, la plupart des partici- pants semble manifester une appétence à la lecture précocement acquise. C’est en ces termes que Marie-Louise exprimait son rapport à cette pratique :

« J’crois toute ma vie j’ai été une grande lectrice […] Ah oui ! Oui oui, ça toujours, toujours. ‘Fin le livre… j’ai d’autres pratiques culturelles, mais essentiellement le livre, je crois que c’est ce qui m’a… jamais quittée, en fait. »227

Cela illustre cette tendance chez notre public-lecteur à l’auto-attribution d’une destinée fondée sur une socialisation primaire, le plus souvent intra-familiale, où la lecture occupait une place importante. Cependant, cette rhétorique du « J’ai toujours aimé lire », à laquelle Alain a également recours, doit surtout être interprétée comme la reconstruction d’une histoire de lec- teur linéaire par laquelle un individu justifie sa participation à des dispositifs tels que les ren- contres d’auteur. Se complaisant dans une « illusion biographique » auto-légitimante, certains de nos enquêtés mettaient en exergue dans leur récit de vie

« les effets de leurs pratiques de lecture sur leurs trajectoires socio-biographiques afin de souligner la cohérence reconstruite d’un soi auquel la lecture aurait permis d’émer- ger et de se maintenir dans le temps. »228

225 LAHIRE Bernard, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, «

Poche/Sciences humaines et sociales », 2006.

226 D’après la définition de l’habitus donnée par Pierre Bourdieu dans ses écrits. 227 Entretien avec Marie-Louise, 18 décembre 2018 (Annexe VIII).

228 ALBENGA Viviane, « “Devenir soi-même” par la lecture collective. Une approche anti-individualiste », Cul-

ture & Musées, n°17, 2011, p. 85-106. Au sujet de l’« illusion biographique », voir l’article éponyme de Pierre

Bourdieu : BOURDIEU Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62- 63, 1986, p. 69-72.

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Ce public-lecteur confirmé, prompt à lisser les incohérences de son histoire de lecteur, comme ces périodes de désinvestissement en matière de lecture ou de revirement existentiels, n’en demeure pas moins souvent favorisé, outre un environnement familial propice, par un « capital littéraire scolairement sanctionné »229. En effet, les individus qui le composent se ca-

ractérisent par un certain nombre de prédispositions à la participation aux rencontres d’auteur qui pourraient avoir été au moins partiellement acquises dès l’enfance, donc intériorisées au plus profond de leur personnalité, sous la forme d’un habitus littéraire mais aussi et surtout d’un

habitus de spectateur. À titre, Claude Poissenot parle d’une prévalence chez le public des ani-

mations culturelles en bibliothèque non seulement d’une « appétence pour les formes esthé- tiques plutôt rares », précieuses et distinguées, mais également d’une culture du débat, d’une « facilité d’expression de ses impressions ou de son jugement de lecteur », et enfin d’un senti- ment de légitimité culturelle, que l’institution scolaire prodigue à ceux qui s’y intègrent bien230.

D’une manière générale, les dispositifs de médiation tels que les rencontres d’auteur, « quoique plus proches du format de l’émission littéraire que d’un cours », « appellent une attention à la fois silencieuse et active, discipline incorporée sur les bancs de l’école, de l’université, de la bibliothèque ou des salles de spectacles »231.

Le public des rencontres d’auteur étant majoritairement composé de femmes, il convient cependant de revenir sur l’engagement différentiel des hommes et des femmes dans les pra- tiques culturelles, et en particulier celles tournant autour de la lecture. Cela provient notamment du fait que l’acquisition d’un capital culturel, et plus spécifiquement d’un capital littéraire, s’ef- fectuent dans l’enfance de manière différenciée selon le genre. Il est à souligner surtout l’inves- tissement précoce des filles dans la lecture par rapport aux garçons, surtout au cours de la so- cialisation intrafamiliale et à travers la figure de la mère232. Au fur et à mesure de leur sociali-

sation, garçons et filles intériorisent des manières sexuées de faire, de dire et de penser, soit des « dispositions genrées spécifiques » constituant un habitus de genre. Ce processus s’effectue à travers des pratiques sociales et culturelles socialement définies comme féminines ou mascu- lines, auxquelles sont associés des « imaginaires sexués »233. Comme l’explique Sylvie Octobre,

229 ALBENGA Viviane, « Le genre de “la distinction” : la construction réciproque du genre, de la classe et de la

légitimité littéraire dans les pratiques collectives de lecture », Société & Représentations, n°24, 2007, p. 161-176.

230 POISSENOT Claude, « publics des animations et images des bibliothèques », Bulletin des Bibliothèques de

France, vol. 56, n°5, 2011, p. 87-92.

231 SAPIRO Gisèle et al., art. cit.

232 Voir à ce sujet : OCTOBRE Sylvie, « Du féminin au masculin. Genre et trajectoires culturelles », Réseaux, vol.

168-169, n°4, 2011, p. 23-57.

233 OCTOBRE Sylvie (dir.), Questions de genre, questions de culture, DEPS du Ministère de la Culture et de la

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« Dès l’enfance, l’élaboration de la féminité et de la masculinité s’opère à travers les activités, mais également les objets qui en sont le support, vecteurs de ces “savoirs minuscules”234 primordiaux dans l’exploration des identités de genre, manières d’en

apprendre les règles élémentaires et d’en expérimenter les conjugaisons. »235

Or, les rencontres d’auteur dans la médiathèque que nous avons étudiée, consacrant une littérature légitime dont Olivier Donnat avait relevé la « féminisation »236, par le discours mé-

talittéraire qu’elles font émerger et en faisant intervenir des écrivaines sous le patronage de Marguerite Yourcenar, pourraient constituer un espace privilégié d’accumulation d’un « capital de genre » ou de reproduction d’une « identité de genre » héritée des socialisations antérieures à la lecture. Cette pratique culturelle est également constitutive de l’identité de ce public-lecteur largement féminin en ce qu’elle lui offre de s’exprimer dans l’espace public sur son expérience de lecture personnelle, tendant elle-même à être influencée par une « trajectoire de genre » :

« Les loisirs culturels, parce qu’ils ont de manière croissante une fonction expressive dans une société de l’invention de soi, sont des objets privilégiés de cette construction de genre, notamment durant l’enfance. »237

Ainsi les rencontres d’auteur en bibliothèque peuvent-t-elles s’analyser sous l’angle du genre en ce qu’elles sont un espace à la fois de reproduction d’une identité de genre, fondée en l’occurrence sur une prétendue sensibilité littéraire féminine acquise dès l’enfance, et d’émancipation par rapport à cette identité assignée, notamment au travers d’une réappropria- tion de l’espace public.

Un dispositif de socialisation littéraire

La participation aux rencontres d’auteur en bibliothèque doit donc être réinscrite dans un processus de socialisation à la lecture que l’on peut parfois faire remonter jusqu’à l’enfance, et consistant en l’accumulation progressive, souvent genrée, d’un capital littéraire. Mais ce genre d’événements, en tant que dispositif, donne également lieu à l’intériorisation de certaines dispositions, notamment d’ordre « disciplinaire », sous la forme d’un habitus de spectateur ou, en jouant sur les mots, d’un « habitus d’habitué ». Et ce avec d’autant plus d’efficacité et de

234 Voir à ce sujet : PASQUIER Dominique, « Les “savoirs minuscules”. Le rôle des médias dans l’exploration

des identités de sexe », Éducation et sociétés, n°10, 2002, p. 35-44.

235 OCTOBRE Sylvie, art. cit.

236 DONNAT Olivier, « La féminisation des pratiques culturelles » [en ligne], Développement culturel, n°147, juin

2005 (téléchargeable sur le serveur du Ministère de la Culture et de la Communication : http://www. cul- ture.gouv.fr/dep).

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profondeur que la participation s’inscrit dans la régularité d’une programmation culturelle au- tant que dans les parcours quotidiens, comme cela transparaît chez tous nos enquêtés, que l’on pourrait qualifier à ce titre de « public de proximité ». Ces derniers, qu’ils soient primo-arri- vants à la médiathèque Marguerite Yourcenar ou déjà bien ancrés dans cet espace aux mul- tiples usages, ont tous en effet pour projet d’intensifier leur rapport de fidélité à l’institution culturelle.

C’est dans ce cadre que ce microcosme participant plus ou moins assidument aux ren- contres d’auteur vit parfois ces dernières sur le mode d’expériences socialisatrices successives, au fur et à mesure desquelles ils confirment et expriment un capital littéraire antérieurement acquis, auquel s’ajoute également une certaine aisance face à un dispositif suscitant inverse- ment une forme d’inhibition chez les non-initiés. Ce public-lecteur régulier acquiert au fil de son acculturation à ce genre d’événements un certain « capital de confiance » caractérisé par une assurance dans l’expression de son point de vue, une familiarité dans ses rapports avec autrui – spectateurs, écrivains et bibliothécaires –, ainsi qu’une maîtrise de l’environnement et de l’espace public. Ainsi le dispositif façonne-t-il par sa reconduction dans le temps un public dont les usages – accumulation et expression d’un capital littéraire en ce qui nous concerne ici – nous renseignent sur le modèle symbolique des bibliothèques de lecture publique. Chez lui, comme chez les habitués de la Bpi étudiés par Christophe Evans et al., « La notion d’habitude n’est pas envisagée dans son sens pauvre ou mécanique, comme un simple petit geste sans importance, une routine aveugle, mais comme une manière d’être et de se comporter fondée sur un savoir incorporé »238.

Les rencontres d’auteur dans les pratiques culturelles

Or, la participation aux rencontres d’auteur ne saurait se comprendre comme un acte isolé et doit elle-même être réinscrite dans la constellation plus ou moins cohérente des centres d’intérêt de ce que nous avons identifié comme un « public-lecteur ». D’après Gisèle Sapiro et

al., qui relient comme nous le faisons la notion de capital littéraire à celle d’habitus, le public

des rencontres d’auteur serait en effet toujours déjà imprégné

« de pratiques culturelles régulières centrées sur la littérature (lecture d’œuvres et de critiques, connaissance des auteurs, fréquentation d’événements littéraires), et nourries par des dispositions liées à la formation et/ou l’activité exercée (professeur de français,

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