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LE CAS DES INDIVIDUS « EN CONSTRUCTION D’IDENTITÉ »

III. LOGIQUES D’USAGE DE LA BIBLIOTHÈQUE : ENTRE SOCIALISATION ET SOCIABILISATION LITTÉRAIRE

3. Conclusion sur la fonction identitaire des rencontres d’auteur

Du public à l’usager

Après avoir analysé en deuxième partie le dispositif des rencontres d’auteur en biblio- thèque au prisme du concept de public « expert », dont l’activité de réception était corrélée à un fort capital littéraire, nous avons tenté dans cette troisième partie d’opérer un recentrement sur le spectateur individuel, autrement dit l’usager dans son expérience effective, dont la parti- cipation s’avère d’abord motivée par un projet personnel. Il en a émergé un second idéal-type, cet « usager en construction d’identité » dont les discours et pratiques de réception nous ont renseigné sur la dimension identitaire ou identificatoire des rencontres d’auteur en tant que pra- tique culturelle. Tandis que le public des « initiés » y trouve un espace d’expression et de con- firmation de soi sous le regard d’autrui, certains micro-publics participent à ce genre d’événe- ments dans la perspective d’un « travail sur soi »436, usage symbolique, plutôt souterrain et si-

lencieux, que l’on retrouve par ailleurs dans leur fréquentation de la bibliothèque en général. Autrement dit, avec la participation aux rencontres d’auteur,

« Il n’est pas seulement question d’un processus de construction intellectuelle, somme toute logique et prévisible s’agissant d’une bibliothèque, mais, à un niveau plus pro- fond, voire plus intime, d’un véritable processus de construction ou de reconstruction identitaire. »437

Aussi le concept d’« usager », dont le rapport au dispositif est déterminé par un projet personnel, est-il dans certains cas plus pertinent que celui de « public », renvoyant à une con- ception collective, consensuelle et globalisante des pratiques culturelles. Chacun s’investissant personnellement dans le dispositif, l’on peut en outre considérer qu’il n’existe pas de spectateur véritablement « passif », comme on pourrait le croire à l’observation de participants silencieux et en retrait, faute d’un sentiment de légitimité culturelle suffisant. Au contraire, comme Marie- Ange, Thierry et Audrey, ces usagers symboliquement dominés, malgré leur habitus et leur capital littéraire déficitaires, demeurent actifs dans leur rapport au dispositif, qu’ils se

436 EVANS Christophe, CAMUS Agnès et CRETIN Jean-Michel, Les Habitués. Le microcosme d’une grande

bibliothèque, Bibliothèque publique d’information, « Études et recherche », 2000.

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réapproprient sur le mode du « braconnage ». Michel de Certeau, emploie ce terme pour carac- tériser la « créativité », voire la « résistance », de l’usager, sa capacité à mettre à distance les normes d’usage des dispositifs qui tentent de le circonscrire, à inventer des « détournements » face aux prescriptions de leurs concepteurs. Cet usager, relativement autonome par rapport à ses socialisations passées et aux injonctions des dispositifs d’offre,

« invente de nombreux “braconnages”, “tactiques” et “arts de faire” pour jouer avec les mécanismes de pouvoir et les stratégies institutionnelles [comme celles de la bi- bliothèque étudiées en première partie], économiques, politiques, etc. qui se trouvent derrière les processus sociaux de consommation. »438

Enfin, en plaçant « le sujet au centre du processus culturel »439, en opérant ce détour par

l’« usager concret »440, et en particulier cet usager « en construction d’identité » et la manière

dont il s’approprie le dispositif des rencontres d’auteur, nous avons pu analyser à nouveau frais les destinataires de l’action culturelle non simplement comme une instance de réception, mais comme créateurs de sens. Par leurs appropriations « illégitimes » (ou « contre-réceptions ») et logiques d’usage inattendues, souvent inscrites dans une trajectoire autodidactique, les publics « atypiques » (par rapport à l’idéal-type défini précédemment) contribuent à redéfinir à la marge le sens d’un dispositif de médiation, qui échapperait alors partiellement à ses concepteurs. En participant à la co-construction du sens du dispositif, le public des rencontres d’auteur illustre l’imprévisibilité de toute démarche de médiation. Les professionnels ne peuvent en effet présu- mer de la manière dont cette médiation sera reçue et reformulée par les destinataires, et c’est précisément ce qui en fait sa richesse.

Identité et relation : entre sociabilité effective et sociabilité par procuration

Or, parmi les éléments du dispositif des rencontres d’auteur échappant aux profession- nels, s’observent également, en amont comme en aval du processus de médiation à proprement parler, des comportements de sociabilité. Ils ont généralement pour prétexte exclusif la

438 DE CERTEAU Michel, op. cit.

439 « Placer le sujet au centre du processus culturel consiste à abandonner un point de vue philosophique abstrait

sur l’homme et à le remplacer par un point de vue anthropologique, où sa souveraineté se manifeste par une parole singulière fondatrice de la relation » (CAUNE Jean, Pour une éthique de la médiation. Le sens des pratiques

culturelles, Presses universitaires de Grenoble, « Communication, médias et sociétés », 1999).

440 POISSENOT Claude, « L’irruption de l’usager concret : du “service public” aux “services aux publics” », Bi-

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littérature et se manifestent autour de ces « dispositifs dans le dispositif »441 que sont la table

de dédicace et autres présentoirs, voire l’objet livre lui-même faisant l’objet de diverses expo- sitions ou manipulations ostentatoires par le public. Dans l’attente de l’intervenant ou en pro- longement de son intervention, l’on assiste souvent à des échanges informels au sein du public des habitués qui se reconnaissent mutuellement ou entre personnes venues en couple ou en groupe. Une relation privilégiée s’établit également entre certains individus et les bibliothé- caires ou l’« écrivain de proximité », que l’on se plaît à remercier pour l’événement. Sans parler de ce « public médiateur »442 qui parlera de la rencontre auprès de son entourage, contribuant à

donner à cette dernière une audience dépassant l’auditoire in situ. Toutes ces interactions socio- littéraires appartiennent à un « espace public de la réception »443, une réception dialogique et

pour ainsi dire mise en abyme, au même titre que les interventions du public en réaction au discours d’auteur. En marge de l’événement, elles n’en demeurent pas moins essentielles, cer- tains semblant accorder plus d’importance à la dimension mondaine des pratiques culturelles qu’à leur contenu spécifique, comme le remarquait l’un de nos enquêtés en faisant la compa- raison avec le théâtre444. Aussi ce qui se joue en périphérie ou en prolongement de la rencontre

importe-il au moins autant que l’événement en lui-même. Que ce soit in situ avec les retours critiques du public sur l’intervention de l’écrivain, ou en ligne avec les commentaires de la communauté internaute sur les réseaux sociaux, l’émergence d’une sociabilité littéraire auto- nome dans l’espace public et numérique de la bibliothèque contribue à son tour à construire le sens du dispositif de médiation, à le mettre en perspective. Mieux, que l’on aborde des ren- contres d’auteur sous le prisme du public en tant que collectif ou sous celui de l’usager en tant qu’individu au projet personnel, le dispositif n’a finalement de sens que par ses destinataires, comme le texte littéraire n’a de sens que par ses lecteurs.

En conclusion de cette partie sur le rapport de l’individu au dispositif, et en particulier l’individu « en construction d’identité », cet usage sociable des rencontres d’auteur par les par- ticipants, réaffirmant du même coup la dimension sociale des bibliothèques en général, suggère

441 « [Les] lieux dédiés au livre et à la lecture se doublent souvent d’un ensemble de dispositifs symboliques et

matériels qui sont censés favoriser la sociabilité » (BURGOS Martine, EVANS Christophe et BUCH Esteban, op.

cit.).

442 ETHIS Emmanuel, « 9. La forme Festival à l’œuvre : Avignon, ou l’invention d’un “public médiateur” », in

DONNAT Olivier et TOLILA Paul, Le(s) public(s) de la culture, Presses de Science Po, « Académique », 2012, p. 181-194.

443 ESQUENAZI Jean-Pierre, Sociologie des publics, La Découverte, « Repères », 2009.

444 Thierry remarquait que les événements comme les rencontres d’auteur étaient comparables au théâtre où, au-

trefois (comme aujourd’hui d’ailleurs), « On laissait la lumière allumée, les gens parlaient dans le public, c’était pas important ce qu’il y avait sur scène, l’essentiel c’était de se montrer » (Entretien avec Thierry, 15 novembre 2018 (Annexe VI)).

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une dialectique entre deux processus complémentaires : celui, d’une part, d’une confirmation ou d’une construction identitaire au contact de l’écrivain chez le lecteur individuel, dont l’acte de lecture est le plus intime qui soit, inscrit dans une trajectoire singulière ; celui, d’autre part, d’une intégration de ce même individu à un collectif de lecteurs où l’expérience de lecture de- vient potentiellement communicable et partageable. Identité et relation sont donc ici insépa- rables, appartenant chacun à un même processus de socialisation. Autrement dit, considérant avec Dominique Pasquier que l’« On ne peut pas comprendre les phénomènes culturels sans s’intéresser aux phénomènes de sociabilité », nous supposons que « la culture se constitue pré- cisément à travers les interactions qui représentent un mode d’appropriation par les individus. Travailler sur [les produits ou événements culturels] conduit à s’intéresser automatiquement aux interactions, puisque les publics [de la culture] se manifestent [nous soulignons] »445. À

ceci près qu’aux rencontres d’auteur en bibliothèque, le capital social est inégalement partagé, le public-lecteur « initié » se sentant davantage légitime à s’adresser personnellement aux autres, bibliothécaires et écrivain compris. Pour les habitués retraités socialement vulnérables comme Marie-Ange, les étudiants déracinés ou encore les publics « profanes » et populaires à l’habitus inapproprié, jusqu’à éprouver un « sentiment d’imposture », il est plutôt question d’une socia- bilité par procuration, où le dispositif, ainsi que la bibliothèque dans son ensemble, tiennent lieu de cadre structurant, voire de rempart contre l’isolement ou la « disqualification sociale »446.

Plutôt que celui de « solitude », un autre terme qui conviendrait pour ce type de public est celui de « désaffiliation ». Qu’elle soit d’ordre socioprofessionnel (sans emploi ou occupant un em- ploi précaire), socioculturel (sans université ou autre structure d’apprentissage) ou socioaffectif (sans relations personnelles ou presque)447, ce que Robert Castel appelle « désaffiliation »

« pourrait se travailler pour montrer qu’elle n’équivaut pas nécessairement à une absence com- plète de liens, mais aussi à l’absence d’inscription du sujet dans des structures qui portent un sens »448 (les collectifs de lecture venant potentiellement combler cette forme de déstructuration

existentielle).

445 PASQUIER Dominique, « Publics et hiérarchies culturelles. Quelques questions sur les sociabilités silen-

cieuses », Idées économiques et sociales, n°155, 2009, p. 32-38.

446 Ce concept décrit « les processus par lesquels des populations se voient contraintes de recourir à l’aide sociale,

connaissent l’épreuve d’un statut social dévalorisé et prennent conscience d’être désignées comme “pauvres”, “cas sociaux”, etc. Cet étiquetage construit ainsi une “identité négative”, mais il doit être distingué des thèses du con- trôle social, qui réduisent les assistés à des cibles passives et dominées de la stigmatisation autoritaire des profes- sionnels de l’action sociale » (PAUGAM Serge, La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, PUF, « Quadrige », 2013).

447 Marie-Ange cumule par exemple ces trois types de désaffiliation sociale.

448 CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Gallimard, « Folio

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CONCLUSION

Nous avons cherché à montrer dans ce mémoire comment les bibliothèques de lecture publique sont partie prenante d’un phénomène de « publicisation de la littérature », autrement dit d’un nouveau rapport de la littérature au lectorat, que l’on se représente désormais sous la forme d’un public-auditoire ou d’un public-audience. Les rencontres d’auteur, quel qu’en soit le cadre (bibliothèques, librairies, salons et festivals, émissions littéraires à la radio ou à la té- lévision, etc.), attestent d’un changement de régime de visibilité des écrivains, dont le seul acte de publication ne suffit plus à assurer la consécration, mais nécessite d’être prolongé par des interventions dans l’espace public physique et médiatique, voire numérique avec les réseaux sociaux, blogs et autres sites promotionnels.

Or, comme en bibliothèque de lecture publique, ces interventions s’inscrivent dans des « dispositifs » de médiation littéraire impliquant, par définition : une finalité stratégique pensée par des organisateurs donnant la priorité à la satisfaction du public, que l’on cherche parfois à fidéliser ; une adaptation de la forme et du contenu de l’événement à un public-cible, ce qui se traduit à la médiathèque Marguerite Yourcenar par la valorisation d’une posture d’amateur- connaisseur, s’appropriant le discours d’auteur ainsi que son œuvre selon un mode « esthète », en vertu de son « capital littéraire » ; et enfin des logiques d’usage individuelles plutôt inatten- dues, des modalités d’appropriation moins « légitimes », chez certains publics eux-mêmes « atypiques » en ce qu’ils ne présentent pas les dispositions réceptives requises par le dispositif.

Finalement, quel que soit le rapport du public au dispositif des rencontres d’auteur, qu’il intervienne directement par ses prises de parole ou qu’il se le réapproprie silencieusement en fonction de son projet personnel, l’on assiste en retour à une forme « publicisation du lectorat ». Nous désignons par cette expression le fait que le lectorat, incarné en un public-auditoire, con- tribue lui-même à la construction du sens de l’œuvre de l’intervenant, un sens échappant aux médiateurs en vertu du caractère imprévisible de toute démarche de médiation. C’est en ces termes qu’André Berten développe la notion de « créativité » de la réception du discours d’au- teur et des usages du dispositif, dont nous avons parlé à maintes reprises dans notre raisonne- ment :

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« Non seulement chaque dispositif inclut des savoirs multiples, transversaux, rami- fiés, mais encore le dispositif lui-même devient un milieu producteur de savoir : échappant maintes fois à l’intention qui l’a fait naître, il est alors détourné, utilisé pour des usages imprévus, remanié pour servir à résoudre tel ou tel problème. »449

Cependant, nous avons constaté une inégale participation à cet « espace public de la réception », le dispositif des rencontres d’auteur inhibant la prise de parole de publics symbo- liquement « dominés », lorsque ceux-ci ne s’en détournent pas au titre de « non-publics ». L’on aurait donc plutôt affaire à un « espace public bourgeois », concept que Joëlle Le Marec reprend à Habermas pour l’adapter aux bibliothèques. En effet, cette institution culturelle, à l’occasion des rencontres d’auteur,

« définit politiquement un espace de discussion soustrait à la sphère de pouvoir public, et qui se constitue partout où des personnes privées [nous soulignons] “se rassemblent” en public pour exercer leur capacité critique. »450

Cela se manifeste d’abord spatialement par la constitution d’une microsociété littéraire relativement fermée, semi-privée, en marge de la bibliothèque, c’est-à-dire par une forme de « confiscation » de cet équipement par une « minorité sociale »451. Ce processus de privatisa-

tion de l’espace public transparaît dans notre entretien avec la directrice de la médiathèque Marguerite Yourcenar, qui exprimait la nécessité de « privatiser l’espace trois heures avant l’événement », de « le fermer au public », ou encore d’organiser les rencontres d’auteur « après la fermeture de la bibliothèque », dans l’impossibilité d’« accueillir les auteurs la bibliothèque ouverte »452, etc. Enfin, le cloisonnement des espaces d’animation instaure une forme de sanc-

tuarisation de l’espace consacré à la rencontre d’auteur, un partage entre espace sacré et espace profane. L’inauguration à venir d’un auditorium à la médiathèque Marguerite Yourcenar, mal- gré sa portée symbolique d’espace fédérateur consacré à la vie de la communauté desservie, risque d’accentuer ces dynamiques d’exclusion, de matérialiser les barrières symboliques d’ac- cès à la culture légitime pour les publics qui en sont les plus éloignés.

449 BERTEN André, « Dispositif, médiation, créativité : petite généalogie », Hermès, La Revue, n°25, 1999, p. 31-

47. Jean Caune exprime un point de vue similaire : « La médiation culturelle […] n’est pas la transmission d’un contenu préexistant : elle est production du sens en fonction de la matérialité du support, de l’espace et des cir- constances de réception » (CAUNE Jean, La médiation culturelle. Expérience esthétique et construction du vivre-

ensemble, Presses universitaires de Grenoble, « Communication, médias et sociétés », 2017).

450 LE MAREC Joëlle, « Le Public : définitions et représentations », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 46,

n°2, 2001, p. 50-55.

451 ION Cristina, La réception du « discours sociologique » par les professionnels des bibliothèques, Mémoire

d’étude Diplôme de Conservateur des Bibliothèques, Enssib, 2008.

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Un autre facteur d’exclusion des non-publics ou d’inhibition des publics « profanes » est la survalorisation, à l’occasion des rencontres d’auteur en bibliothèque, d’une littérature dite « légitime », ainsi qu’une forme de connivence parmi le public d’« initiés », s’appropriant l’événement comme « un temps de célébration collective et publique d’un capital littéraire par- tagé »453. La logique de cohésion à l’œuvre dans ce public tire sa force de représentations com-

munes de la littérature, et en particulier de « la fiction romanesque [qui] jouit […] du prestige d’un usage de la lecture non utilitaire et non didactique »454. Cette croyance en la valeur de la

littérature, ainsi que la valorisation d’une appropriation « esthète » des textes, semblent en outre être partagées avec certains écrivains dans la manière de présenter leurs œuvres. Par l’expres- sion d’« écrivain de proximité », nous avons cherché à montrer que l’intervenant avait non seu- lement ses récepteurs privilégiés au cours de la rencontre d’auteur, mais également son « groupe de pairs », celui constitué des individus s’adressant à lui à l’issue de l’événement, entretenant l’illusion d’un rapport de proximité, voire d’une appartenance au champ littéraire.

Finalement, les rencontres d’auteur en bibliothèque courent le risque de créer et de per- pétuer « un espace extra-quotidien fondé sur un entre-soi distingué »455, où seraient marginali-

sés les publics « profanes », à l’habitus et au capital littéraire déficitaire. Contrairement à ce que postule Habermas, dans l’espace public, qui n’est jamais socialement neutre, les inégalités sociales ne sont pas suspendues le temps de la discussion ; bien au contraire, « la capacité à prendre la parole en public, qui plus est pour présenter un ouvrage littéraire, est […] inégale- ment distribuée selon la position sociale »456. Aussi notre mémoire a-t-il plus largement pour

intérêt d’illustrer les problématiques qui se posent aujourd’hui dans les bibliothèques de lecture publique en matière d’accès à la culture. Au-delà du terrain spécifique de la médiathèque Mar- guerite Yourcenar, de quelles ressources les bibliothèques disposent-elles pour démocratiser l’espace public de la réception, pour le rendre plus inclusif (sinon véritablement participatif) ?

Au cours de notre entretien457, la directrice de Bibliocité préconisait la nécessité pour

les bibliothécaires d’innover, tant du point de vue de la forme que de celui du contenu, afin

453 SAPIRO Gisèle et al., « L’amour de la littérature : le festival, nouvelle instance de la production de la croyance.

Le cas des Correspondances de Manosque », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 206-207, n°1, 2015, p. 108-137.

454 ALBENGA Viviane, « Le genre de “la distinction” : la construction réciproque du genre, de la classe et de la

légitimité littéraire dans les pratiques collectives de lecture », Société & Représentations, n°24, 2007, p. 161-176.

455 Ibid. 456 Ibid.

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d’attirer de nouveaux publics aux rencontres d’auteur. Déjà, les « rencontres croisées » organi- sées par certaines bibliothèques permettent de décloisonner la littérature en l’associant par exemple à la science (cf. le temps fort « Les frontières de la folie » dans le réseau de lecture publique parisien), à la musique (cf. la collaboration entre l’écrivain Thomas B. Reverdy et le musicien Jean-Benoît Dunckel pour une « lecture musicale » à la Médiathèque musicale de Paris) ou à la danse (cf. le festival Concordan(s)e, « rencontre inédite entre un chorégraphe et un écrivain »). L’interdisciplinarité dans les rencontres d’auteur en général est un moyen de diversifier le public, un public ne serait alors plus réductible au public-lecteur « esthète » que nous avons cherché à identifier, mais comprendrait également d’autres publics accédant à la littérature par l’intermédiaire d’autres formes d’expression culturelle.

Un autre moyen d’ouvrir le dispositif des rencontres d’auteur à des publics éloignés de la littérature est de renoncer à une conception « légitimiste » de cette dernière, à cet « ethno- centrisme lettré » que tendent à privilégier les organisateurs. Des bibliothèques ouvrent de plus en plus leurs portes aux paralittératures, et plus précisément aux « pratiques médiacultu- relles »458 (Facebook, YouTube, bande dessinée et manga, séries télévisées, musique rap, etc.)

où s’observent parfois une atténuation des différences sociales et une relative mixité sociale. Des rencontres d’auteur leur accordant davantage de place constitueraient du moins un

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