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La protection contre le risque de parasitisme des investissements

Le risque de parasitisme survient lorsque l’investissement réalisé par une entreprise peut être valorisé par le partenaire dans une transaction avec une tierce partie, autrement dit lorsqu’il a des effets externes à la relation entre les deux partenaires. Par exemple, un investissement consenti par un fabricant pour promouvoir les ventes de son produit chez un distributeur peut stimuler également les ventes de produits concurrents. Les incitations à investir du fabricant sont alors sous-optimales. Une exclusivité d’achat peut rétablir les incitations optimales, en évitant le détournement de l’in-

vestissement au profit d’entreprises concurrentes196. Ainsi, comme exposé

dans les avis 04-A-07 et 04-A-08 précités, il est fréquent que les brasseurs ou les entrepositaires grossistes prennent en charge l’installation et l’en- tretien des équipements de tirage à pression dans les débits de boisson, qui améliorent la qualité du service et des produits distribués. En contre- partie, ils bénéficient d’une exclusivité d’approvisionnement.

L’exclusivité peut être justifiée dans la configuration symétrique où un inves- tissement consenti par un intermédiaire (grossiste, distributeur) stimule les ventes d’un produit, au détriment de celles des produits concurrents. Sans obligation d’exclusivité d’achat, le distributeur a intérêt à disperser ses efforts commerciaux sur l’ensemble des produits qu’il vend, ce qui peut ne pas être optimal. Avec une obligation d’exclusivité, il peut concentrer ses efforts sur un produit particulier, sans craindre de réduire ses revenus sur les produits concurrents.

196. I. R. Segal et M. D. Whinston, « Exclusive contracts and protection of investments », RAND

Journal of Economics, vol. 31, no4, 2000. Pour une synthèse des résultats, l’ouvrage de Michael

Whinston, Lectures on Antitrust Economics, MIT Press (2006) propose un chapitre traitant par- ticulièrement des effets pro et anticoncurrentiels des clauses d’exclusivité incluses dans les contrats.

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Études thématiques

Dans l’affaire 04-MC-02197, Orange Caraïbe a expliqué que l’exclusivité impo-

sée aux distributeurs indépendants de produits et services Orange Caraïbe était « la contrepartie des financements qu’elle accorde aux distributeurs

pour l’installation et l’aménagement des boutiques ». L’opérateur a déclaré

« avoir investi plusieurs centaines de milliers d’euros pour installer chez ses

distributeurs des aménagements et des supports commerciaux mettant en valeur les services de Orange Caraïbe ». Le Conseil a cependant souli-

gné que l’opérateur n’avait réalisé d’investissements que pour une faible proportion des distributeurs concernés, et a considéré que l’ampleur et la spécificité de ces investissements étaient trop faibles pour compenser les effets de verrouillage du marché induits par les exclusivités.

Le problème du parasitisme s’applique également à des engagements financiers, tels que les prêts que certaines entreprises accordent à leurs partenaires commerciaux. En raison de l’imperfection de l’information des organismes de financement sur la solvabilité d’un emprunteur potentiel, ce dernier peut se voir offrir un emprunt à des conditions peu favorables. En revanche, un de ses partenaires commerciaux peut être mieux informé, et capable de proposer des modalités de prêt plus avantageuses, en impo- sant en contrepartie une obligation d’exclusivité ou de quotas. L’exclusivité contribue dans ce cas à corriger des « imperfections du marché des capi-

taux ». Par exemple, l’asymétrie d’information entre les banques et les débits

de boisson est l’une des motivations reconnues des « contrats de bière », examinés dans les avis 04-A-07 et 04-A-08 précités. Les débits de boissons acceptent l’exclusivité d’approvisionnement en produits du brasseur ou de l’entrepositaire pourvoyeur de fonds, en contrepartie de financements leur permettant de rénover leurs installations.

Dans l’affaire 07-D-08 précitée, les cimentiers Lafarge et Vicat avaient financé à hauteur de 15 millions de francs l’aménagement des infrastructures de stockage et d’ensachage de ciment situées sur le port de Bastia. Le Conseil n’a pas contesté que « des installations cimentières modernisées à Bastia

puissent constituer un progrès économique grâce à l’efficacité plus grande qu’elles apportent à la manutention du ciment ». Toutefois, une convention

signée entre les cimentiers et le GIE des négociants de Haute-Corse, qui organisait la subdélégation de l’exploitation de ces installations au GIE, prévoyait que ce dernier s’engageait à ce que ses membres s’approvision- nent exclusivement en ciment Lafarge et Vicat. Si le risque de parasitisme de l’investissement par des concurrents de Lafarge et Vicat pouvait néces- siter des obligations imposant aux négociants de ne stocker dans les silos concernés que les produits de ces cimentiers, le Conseil a relevé que l’ex- clusivité d’approvisionnement s’étendait en réalité à tout achat de produits qu’un membre du GIE envisageait de réaliser depuis un autre site, dès lors que ces produits appartenaient à une gamme que les cimentiers vendaient ou avaient vendue sur le site de Bastia. Le Conseil a donc considéré que l’exclusivité était plus étendue que ce qui aurait été nécessaire pour proté- ger l’investissement contre le parasitisme par des cimentiers concurrents :

197. L’arrêt du 28 janvier 2005 de la cour d’appel de Paris confirme sur le fond la décision du

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« Parce qu’elle impose l’usage exclusif des marques Lafarge ou Vicat, même

en dehors des silos de Bastia, la pratique découlant de la convention n’est pas nécessaire à l’obtention du progrès économique supposé fourni par ces silos. » Le Conseil en a déduit que l’entente par le moyen de la conven-

tion de subdélégation ne pouvait pas être exemptée au titre des articles L. 420-4 du Code de commerce ou 81 § 3 du traité CE.

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