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Les règles procédurales d’application générale

Certaines règles procédurales, qui ne sont pas propres à la procédure d’urgence, ont vocation à s’appliquer à la mise en œuvre des mesures conservatoires, afin de permettre aux entreprises de bénéficier de garan- ties suffisantes.

153. Article R. 464-6.

154. Rien ne s’oppose ainsi à ce qu’une demande de mesures conservatoires puisse concerner

des éléments nouveaux intervenus postérieurement à la saisine au fond, s’ils se rattachent aux pratiques initialement dénoncées : décision 03-MC-04.

155. Article R. 464-1 : « La demande de mesures conservatoires mentionnée à l’article L. 464-1

ne peut être formée qu’accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. »

156. Voir par exemple : décisions 07-D-18 ; 07-D-20 (rejet faute d’éléments suffisamment pro-

bants) ; 07-D-10 (irrecevabilité).

157. Décision 06-D-39. 158. Décision 03-D-42.

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Il s’agit en premier lieu de règles destinées à assurer le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, qui s’appliquent dans leur prin- cipe, mais doivent s’apprécier « au regard de l’urgence inhérente à la pro-

cédure applicable en matière de mesures conservatoires159».

C’est ainsi que le dépôt d’écritures et de pièces, après l’expiration des délais fixés par le rapporteur général, ne saurait, à lui seul, justifier leur rejet si

les parties ont disposé d’un temps suffisant pour y répondre160. Le respect

du principe du contradictoire a, en revanche, amené le Conseil à écarter des débats de nombreux documents, transmis la veille de la séance par la société saisissante, contenant des éléments nouveaux, et qui n’avaient pas été communiqués à l’ensemble des parties, les entreprises en cause n’ayant pu les examiner et y répondre161.

D’autres règles applicables aux mesures conservatoires apportent par ailleurs des garanties aux entreprises concernées.

Les mesures conservatoires sont en effet octroyées par décision collégiale du Conseil162, à la différence des mesures ordonnées en référé civil par le

seul président du tribunal.

En outre, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 9 octobre 2001, que les membres du Conseil ayant statué dans la procédure de mesu- res conservatoires s’étaient de facto prononcés sur le caractère prohibé des pratiques dénoncées et qu’ils ne pouvaient plus statuer à nouveau au fond sur les mêmes pratiques, sans manquer objectivement au principe d’impartialité163.

La cour d’appel a repris cette analyse dans un arrêt du 22 juin 2004 (RMC France). Après avoir rappelé que « toute personne a droit à ce que sa cause

soit entendue par un tribunal impartial ; que cette exigence doit s’apprécier objectivement ; que cette règle est applicable au Conseil de la concurrence »,

la cour a annulé la décision au fond par laquelle le Conseil s’était prononcé dans une composition comportant des membres ayant statué dans la procé- dure de mesures conservatoires, alors que ceux-ci avaient porté « une appré-

ciation sur le caractère prohibé des faits dénoncés, objets de la saisine, dont ils avaient eu à apprécier s’ils étaient suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l’atteinte alors relevée ».

Il faut rappeler à cet égard que les garanties liées au principe d’impartia- lité sont moindres en matière de référé civil.

Deux arrêts d’assemblée plénière ont en effet fixé la position de la Cour de cassation sur l’application au juge des référés du principe d’impartia- lité, tel qu’il résulte de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme164.

159. CA Paris, 28 janvier 2005, société Orange Caraïbe. 160. C cass, 12 juillet 2005, NMPP.

161. Décisions 05-D-34 ; 06-MC-03. 162. Commission permanente.

163. Cour de cassation, 9 octobre 2001, Béton de France.

164. C cass, 6 novembre 1998, Ste Bord Na Mona c/ SA Norsk hydro azote ; Guillotel c/ Sté

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Le premier arrêt a considéré qu’aucune atteinte objective au principe d’im- partialité n’existait dans le cas où un magistrat statuait au fond dans un litige dans lequel il avait pris préalablement une mesure conservatoire en référé, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le second arrêt a affirmé en revanche que méconnaissait ce principe la circonstance qu’un magistrat connaisse d’un litige au fond après avoir ordonné une provision en référé, soulignant que lorsqu’il accorde des provisions, il doit s’assurer du caractère non sérieu- sement contestable de l’obligation en cause. La Haute Juridiction distingue ainsi selon que le juge des référés intervient dans sa fonction conserva- toire ou dans sa fonction d’anticipation.

Les décisions du Conseil, statuant en matière de mesures conservatoires, ne constituent pas, quant à elles, seulement des mesures conservatoires au sens civil du terme, consistant, indépendamment du fond, à faire ces- ser un trouble ; elles impliquent également la vérification préalable de la recevabilité de l’affaire165, comme il a été vu plus haut, sans toutefois aller

jusqu’à la vérification du caractère non sérieusement contestable des pra- tiques anticoncurrentielles.

La garantie de ces droits procéduraux fondamentaux est complétée par l’application aux mesures conservatoires de l’exigence de formulation des injonctions en des termes clairs et précis, et du principe de leur inter- prétation stricte. Un arrêt de la cour d’appel énonce ainsi : « Le Conseil de

la concurrence dispose, dans l’exercice de sa mission, de prérogatives de puissance publique lui permettant de faire prévaloir une mesure de réta- blissement de l’ordre public économique sur des dispositions contractuel- les, en ordonnant notamment la suspension de l’exécution de conventions, une injonction, constituant par nature une mesure contraignante pour celui qui la subit, est d’interprétation stricte et doit être formulée en des termes clairs, précis et exempts d’incertitudes quant à son exécution166. »

Cette règle, applicable aux injonctions prescrites au terme d’une procédure

au fond167, est également applicable aux mesures conservatoires qui ont

vocation à répondre à une situation d’urgence strictement déterminée168.

Enfin, en cas de non-respect de ces injonctions, le Conseil peut infliger des astreintes169 ou prononcer une sanction pécuniaire170. Ainsi, le non-respect

par France Télécom de l’injonction prononcée à son encontre dans la déci- sion 00-MC-01 a-t-il amené le Conseil à lui infliger une sanction pécuniaire

de 20 millions d’euros171. La cour d’appel de Paris a doublé le montant de

la sanction, en raison de la gravité de la pratique poursuivie, caractérisée par le non-respect délibéré d’une injonction claire, précise, et dépourvue

165. Ce qui implique la vérification de sa compétence organique et matérielle et de la pré-

sence au dossier d’éléments suffisamment probants susceptibles de caractériser une pratique anticoncurrentielle.

166. CA Paris, 10 septembre 1996, société méditerranéenne de béton. Voir également déci-

sion 05-D-36.

167. Voir par exemple décision 03-D-03.

168. CA Paris, 11 janvier 2005, société France Télécom (pourvoi rejeté sur ce point par la Cour

de cassation le 14 mars 2006).

169. Article L. 464-2, II, b) du Code de commerce.

170. Article L. 464-3 du Code de commerce, dans les limites fixées par l’article L. 464-2. 171. Décision 04-D-18.

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d’ambiguïté et de la persistance du comportement anticoncurrentiel de France Télécom172.

Conclusion

En définitive, la procédure de mesures conservatoires mise à la disposi- tion du Conseil lui permet d’être en adéquation avec le temps économi- que, dans un cadre juridique et économique déterminé.

On constate aujourd’hui certains changements dans l’utilisation de cet outil procédural. Si la procédure reste une procédure d’urgence, sa fonc- tion tend à évoluer.

Destinées initialement à éviter que certaines pratiques ne portent irrémédia- blement atteinte à la concurrence, les mesures conservatoires permettent aujourd’hui au Conseil, par le biais d’injonctions positives et d’une combinai- son avec la procédure d’engagements, de réguler ex ante la concurrence. Toutefois, les interventions du Conseil pourraient être plus efficaces encore.

Ainsi qu’il a été mentionné, il est en effet quelque peu paradoxal, d’un côté, de confier au Conseil la mission de protéger l’ordre public économi- que et, de l’autre, de le priver du pouvoir de se saisir d’office lorsque la concurrence qu’il est censé sauvegarder est menacée d’une atteinte grave et immédiate.

Cette lacune du droit français de la concurrence est d’autant plus prégnante au regard des prérogatives des autres autorités appartenant au Réseau européen de concurrence, et notamment de la Commission européenne. En effet, l’article 8.1 du règlement 1/2003 dispose que « dans les cas d’ur-

gence justifiés par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence, la Commission, agissant d’office173, peut, par voie

de décision et sur la base d’un constat prima facie d’infraction, ordonner des mesures provisoires ». De même, certaines autorités nationales de concur-

rence, telles que les autorités espagnole, anglaise, hongroise ou portugaise, ont le pouvoir de s’autosaisir. Le dispositif actuel pourrait donc être amé- lioré en étendant aux situations d’urgence la faculté qu’a d’ores et déjà le Conseil de se saisir d’office des problèmes de concurrence.

172. CA Paris, 11 janvier 2005, France Télécom, confirmé par C cass, 14 mars 2006, France

Télécom.

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