Dans l’arrêt Hoffmann-La Roche précité, la Cour de justice a pris en compte les caractéristiques temporelles des contrats litigieux pour établir leur carac- tère anticoncurrentiel. En l’espèce, la Cour a souligné « que la plupart des
contrats étaient conclus pour une durée indéterminée, soit d’après leurs ter- mes mêmes, soit par la mise en œuvre d’une clause de reconduction tacite et qu’ils étaient manifestement conçus pour établir des relations s’étendant sur plusieurs années ». Cet aspect des contrats renforçait l’effet d’exclusion
des pratiques mises en œuvre par Roche pour inciter les acheteurs à s’ap- provisionner exclusivement auprès d’elle.
Dans la décision 02-D-33 du 10 juin 2002, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 février 2003, le Conseil a relevé que la société SOGEC, détenant 98 % du marché du traitement des coupons de réduction à but promotionnel, avait « conclu avec la presque totalité des fabricants intéres-
sés par le couponnage des contrats d’exclusivité valant pour l’ensemble
183. Décision de la Commission, 98/531/CE du 11 mars 1998, confirmée par le Tribunal de pre-
mière instance le 23 octobre 2003 (affaire T-65/98) et par la Cour de justice le 28 septembre 2006 (affaire C-522/03 P).
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Études thématiques
de leurs produits ». En outre, la pérennité de sa position dominante était
assurée par la durée effective de l’obligation d’exclusivité, puisqu’il était très difficile pour un fabricant de résilier le contrat à sa date anniversaire, alors qu’une campagne promotionnelle était en cours. Le Conseil a ainsi considéré que « si les contrats proposés par SOGEC Gestion sont d’une
durée limitée à un an, l’existence d’une clause de tacite reconduction et le fait que les campagnes de coupons couvrent souvent des périodes qui ne coïncident pas avec la date de renouvellement des contrats, conduit, en pratique, à considérer que SOGEC Gestion est liée à ses clients par des relations d’exclusivité de plus longue durée ». Le Conseil a conclu que l’ex-
clusivité exigée par la société SOGEC, qui portait sur la quasi-intégralité de la demande, constituait une « entrave considérable à l’entrée sur le marché
de nouveaux opérateurs et à leur développement ».
Dans l’affaire 07-MC-01 précitée185, relative à des clauses d’exclusivité
dans des contrats de fourniture d’électricité par EDF, le Conseil a indiqué que « lorsqu’elles existent, les modalités de sortie anticipée volontaire
d’un contrat doivent réunir un certain nombre de conditions pour ne pas avoir pour conséquence pratique de figer les positions commerciales d’un fournisseur. Le client doit être informé, avant la signature du contrat, des conditions mises par le fournisseur à une résiliation avant terme et dans cette éventualité, se voir appliquer une indemnité qui ne soit pas dissua- sive ». Il a précisé que « le caractère dissuasif de la clause d’indemnité peut résulter principalement du niveau de la pénalité demandée, mais aussi de l’absence de clarté du mode de calcul de l’indemnité ou des conditions de déclenchement de la clause ». Une telle clause peut renforcer l’effet d’évic-
tion des contrats d’approvisionnement exclusif en créant un « switching
cost » artificiel pour les clients. En l’espèce, le Conseil a considéré que la
clause de pénalité en cas de sortie anticipée était libellée de façon ambi- guë et a conclu que « le caractère forfaitaire présumé de l’indemnité à ver-
ser et l’ambiguïté signalée dans les clauses décrivant les cas où la péna- lité de sortie est applicable, sont susceptibles d’être préjudiciables au libre exercice de la concurrence sur le marché de la fourniture de l’électricité en cause et de constituer ainsi des pratiques interdites par l’article L. 420-2 du Code de commerce ». Le Conseil a enjoint à EDF de clarifier, dans ses
conditions générales de vente, les règles applicables à la résiliation antici- pée du contrat de fourniture d’électricité.
Enfin, dans l’affaire 98-D-52 du 7 juillet 1998, le Conseil a considéré que la société JC Decaux avait abusé de sa position dominante sur le marché du mobilier urbain en cherchant à prolonger artificiellement la durée des contrats conclus avec les collectivités locales. Le Conseil a notamment reproché à Decaux de « prévoir systématiquement dans les projets de contrats soumis
aux collectivités locales un renouvellement par tacite reconduction pour des périodes comprises entre six et douze ans, elles-mêmes renouvelables ».
Outre la reconduction tacite des contrats, les conditions de dénonciation rendaient difficile l’exercice de ce droit par les collectivités, et la signature d’avenants d’une durée égale à la durée initiale en cas de remplacement des mobiliers en cours de contrat allongeait la durée effective de la relation
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contractuelle. De plus, les contrats conféraient au groupe Decaux un droit de priorité sur toute autre entreprise pour l’installation de mobiliers supplé- mentaires, même sur celles qui proposent à prestations égales des condi- tions financières plus intéressantes. Cette dernière disposition, en vertu de laquelle un acheteur doit déclarer toute offre plus avantageuse à son four- nisseur et ne peut l’accepter que si ce dernier ne s’aligne pas, est parfois qualifiée de clause « anglaise ». Une telle clause peut avoir les mêmes effets de verrouillage qu’une obligation d’exclusivité, en particulier lorsque l’ache- teur doit révéler l’identité du concurrent à l’origine de l’offre186. Le droit de
priorité du fournisseur réduit les incitations des concurrents à construire des offres innovantes ou plus avantageuses. Dans l’affaire 98-D-52, le jeu conjoint de l’ensemble des dispositions contractuelles permettait à Decaux d’éviter toute mise en concurrence pendant des durées très longues, attei- gnant parfois plusieurs dizaines d’années.