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Dans l’affaire 07-D-08 du 12 mars 2007182, le Conseil a établi que les socié-

tés Lafarge Ciments et Vicat, producteurs de ciments, ont conclu avec le Syndicat des négociants en matériaux de construction, regroupant la plu- part des négociants corses, un protocole d’accord qui engageait les négo- ciants de manière collective auprès des deux producteurs, pour une durée de quatre ans et renouvelable par tacite reconduction. Ce protocole por- tait sur une quantité de ciment représentant plus de 90 % des besoins de ce produit sur l’île, et accordait aux négociants signataires une remise en contrepartie de leur engagement collectif de s’approvisionner exclusive- ment en ciment Lafarge et Vicat.

En outre, les deux cimentiers concédaient, au travers d’une convention de subdélégation, l’exclusivité d’exploitation d’installations situées en Haute- Corse, pour une durée de 30 ans, à un groupement d’intérêt économi- que (GIE) regroupant la plupart des négociants-distributeurs de ciments de cette région. « Cette convention de subdélégation conclue entre le GIE

et les cimentiers français Lafarge et Vicat crée à l’égard des négociants de Haute-Corse, quasiment tous membres du GIE, une obligation d’approvi- sionnement exclusif, en gammes de ciment transitant ou ayant transité par les infrastructures du GIE, auprès de Lafarge et Vicat pendant une période de 30 ans. Cette obligation signifie que pour toutes les gammes transitant ou ayant transité dans les silos, [...], le GIE s’engage à ce que ses membres s’approvisionnent exclusivement en ciments Lafarge et Vicat. » Le Conseil

n’a pas contesté le progrès économique que pouvait représenter la moder- nisation des installations du port de Bastia (cf. infra). Toutefois, il a souligné que cette convention incitait non seulement les négociants-distributeurs de Haute-Corse à renoncer aux importations de produits concurrents qui auraient pu être stockés et utilisés depuis les silos de Bastia, mais qu’elle étendait de surcroît l’exclusivité d’approvisionnement auprès de Lafarge et Vicat à tous les produits que ceux-ci vendaient ou avaient vendus depuis le site de Bastia aux autres localisations de l’île. Un négociant-distributeur ne pouvait donc librement s’approvisionner en un produit concurrent depuis un autre site dès lors que ce produit appartenait à une gamme de ciment vendu (ou ayant été vendu) par Lafarge ou Vicat sur le site de Bastia. Cette

181. Selon le paragraphe 148 du Discussion Paper précité sur l’article 82, une obligation d’exclu-

sivité imposant aux acheteurs de s’approvisionner pour une part substantielle de leurs besoins auprès d’un fournisseur en position dominante a un effet de verrouillage du marché d’autant plus important que cette part est élevée. De plus, selon le même paragraphe, une telle obliga- tion peut avoir des effets anticoncurrentiels même lorsqu’elle ne lie qu’une proportion relative- ment faible de la demande, car la position dominante du fournisseur limite déjà la concurrence sur le marché et une restriction supplémentaire peut réduire encore davantage les possibilités de développement de cette concurrence résiduelle.

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Études thématiques

convention a ainsi eu pour effet d’étendre la portée de l’exclusivité à des produits identiques à ceux ayant transité par Bastia, au-delà donc de l’ap- provisionnement à partir de ce seul site.

Le Conseil a considéré que ces accords avaient pour objet et pour effet de réduire significativement les débouchés d’autres fournisseurs de ciment, en particulier ceux des fournisseurs grecs et italiens qui étaient en mesure de proposer des produits similaires à des prix plus faibles, et qu’ils étaient donc contraires aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de com- merce et 81 du traité CE.

Dans la décision 06-D-06 du 17 mars 2006, le Conseil a examiné des obliga- tions d’exclusivité qui découlaient de certaines interdictions imposées par la Fédération nationale des gîtes de France (FNGDF) aux propriétaires de loge- ments labellisés. En l’espèce, une exclusivité d’agrément interdisait non seu- lement aux propriétaires bénéficiant du label « Gîtes de France » d’apposer au logement un autre label, mais aussi de gérer en parallèle d’autres loge- ments non agréés par Gîtes de France. En outre, une exclusivité de publicité interdisait la parution d’annonce proposant le logement à la location saison- nière dans des guides d’autres réseaux que celui de Gîtes de France. Enfin, une exclusivité de commercialisation imposait aux propriétaires de ne délé- guer la gestion commerciale de leurs logements labellisés qu’au service de réservation habilité par le relais départemental de Gîtes de France.

Le Conseil a considéré que « l’interdiction de gérer en parallèle des meu-

blés saisonniers ou toute autre formule d’accueil (chambres d’hôtes, gîtes d’étape...) non agréés Gîtes de France [était] de nature à restreindre l’ac- cès des labels concurrents au marché, en préemptant tout nouvel héber- gement créé par les propriétaires adhérents du réseau de la FNGDF, qui proposent déjà, en 2004, 64 % des gîtes et 86 % des chambres d’hôtes sur le marché concerné ». Il a de plus estimé que la clause interdisant l’appo-

sition d’un autre label portait « directement atteinte à la liberté commer-

ciale des propriétaires d’hébergements dans la mesure où elle les empêche de faire appel aux services d’autres réseaux qui pourraient leur permet- tre de toucher une clientèle de touristes plus large et d’améliorer le taux de remplissage des gîtes et des chambres d’hôtes ». L’effet d’éviction des

obligations d’exclusivité était amplifié par la durée parfois très longue des engagements d’adhésion, pouvant atteindre dix ans lorsque le propriétaire s’était vu octroyer une subvention publique pour l’aménagement du loge- ment soumis au label « Gîtes de France », contribuant ainsi à la viscosité du marché et aux effets restrictifs sur le développement de labels concurrents. Ainsi, le Conseil a estimé que l’« entrée sur le marché de labels concurrents

de celui de la FNGDF est [...] rendue difficile par le fait que les propriétaires peuvent avoir été contraints de s’engager pour une longue durée auprès de la FNGDF et supporteraient donc des coûts élevés s’ils quittaient le réseau. » Le Conseil a considéré que ces pratiques enfreignaient l’article

L. 420-2 du Code de commerce et l’article 82 du traité CE et a enjoint à la FNGDF de supprimer de ses contrats l’interdiction de la gestion parallèle de logements non agréés et de limiter à deux ans la durée d’exclusivité du label pour les logements agréés.

Dans le secteur de la glace à impulsion, la Commission a eu plusieurs occa- sions d’examiner des obligations d’exclusivité imposées en contrepartie

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d’un prêt gratuit de congélateur. Dans l’affaire Van den Bergh Foods183, elle

a considéré qu’un tel prêt gratuit, conjugué à la large gamme des produits proposés, leur popularité auprès des consommateurs et aux profits asso- ciés à leur vente, constituait un élément important pour un détaillant au moment où celui-ci devait choisir de remplacer le congélateur fourni par Van den Bergh ou d’installer un appareil supplémentaire. Dans son arrêt du 23 octobre 2003, le Tribunal a confirmé que « le fait, pour une entreprise

se trouvant en position dominante sur le marché, de lier de facto – fût-ce à leur demande – 40 % des points de vente du marché de référence par une clause d’exclusivité » était constitutif d’un abus, dans la mesure où la clause

avait « pour effet d’empêcher les détaillants concernés de vendre d’autres

marques de glaces ou de réduire leur possibilité de réaliser de telles ven- tes, et ce alors même qu’il y [avait] une demande pour de telles marques, et d’empêcher l’accès du marché de référence aux fabricants concurrents ».

En revanche, dans la décision 07-D-37 du 7 novembre 2007184, le Conseil a

examiné l’impact sur la concurrence d’un accord de distribution exclusive entre le groupe France Télécom et le réseau Photo Europe (magasins Photo Service et Photo Station), dans le secteur de la distribution de produits et services de téléphonie mobile. Cet accord concernait un réseau d’environ 500 détaillants, qui venait s’ajouter au réseau d’agences du groupe France Télécom. Le Conseil a considéré l’envergure des réseaux de distribution exclusive des deux principaux concurrents d’Orange, ainsi que de l’ensem- ble des distributeurs multimarques, constitué des détaillants indépendants, des distributeurs franchisés, et surtout des enseignes de la grande distri- bution, alimentaire ou spécialisée. Il a souligné que cet ensemble repré- sentait plus de la moitié des ventes du marché. Le Conseil a conclu que l’accord ne mettait pas en péril les possibilités pour un concurrent ou un nouvel opérateur de développer son réseau de distribution.

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