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La protection au moyen de la liberté de conscience en droit français 83

2.1. La liberté de religion en droit public français et québécois 80

2.1.1. La protection au moyen de la liberté de conscience en droit français 83

Le droit à la liberté de religion est un droit subjectif dans le sens qu'il est destiné à protéger les intérêts individuels pouvant être invoqués devant un juge262. Il s'agit d'un droit qui est historiquement chargé dans le contexte européen marqué par les guerres de religion, où s'est développé un droit à caractère défensif afin de protéger une « sphère de liberté » contre l'éventuelle action de l'État. Depuis la moitié du XXe siècle, on note en France une influence prépondérante de l'internationalisation des droits de la personne et un rôle croissant du droit constitutionnel depuis les années 1960, notamment à la suite de la création du Conseil constitutionnel en 1958. Le droit à la liberté de religion s'inscrit dans cet horizon constitutionnel en transition, consacrant le passage à une « révolution des droits », sensible à un contrôle de constitutionnalité des lois263. Cependant, on note que les sources juridiques protégeant la liberté de religion sont relativement diverses en droit public français (DDHC art.

261  Syndicat  Northcrest  c.  Amselem,    [2004]  2  R.C.S.  No  551  (CSC).   262  L.  FAVOREU  et  al.  (dir.),  préc.,  note  200,  p.  873.  

10 ; préambule de la Constitution et art. 1 de la loi de 1905), révélant ainsi un statut incertain, mais croissant en droit constitutionnel264.

On peut dans un premier temps fonder la protection juridique de la liberté de religion sur celle garantie à la liberté de conscience. En effet, pour le Conseil d'État, la liberté de conscience inclut implicitement la liberté de croyance religieuse265 et le Conseil constitutionnel a reconnu la liberté de conscience comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République266. Dans sa célèbre décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel admet que certains principes fondamentaux reconnus par les lois de la République peuvent appartenir à un « bloc de constitutionnalité », servant à un examen de conformité des lois à la Constitution267.

264  Pierre-­‐‑Henri  PRELOT,  Droit  des  libertés  fondamentales,  2e  éd.,  Paris,  Hachette  supérieur,  2010,  p.  239.  

265  CE,  17  février  1992,  Église  de  scientologie  de  Paris:  AJDA  1992,  p.  460;  Aussi  discuté  dans  F.  MESSNER,  P.-­‐‑H.   PRELOT  et  J.-­‐‑M.  WOEHRLING  (dir.),  préc.,  note  251,  p.  59.  

266  CC,  Décision  n°77-­‐‑87  DC  du  23  novembre  1977,  Liberté  d'ʹenseignement  et  de  conscience.  RCC,  p.  42;  RJC,  I-­‐‑ 52;  RDP,  1978,  p.  830,  note  L.  Favoreu;  AJDA,  1978,  p.  565,  note  J.  Rivero;  Gaz  Pal.,  1978-­‐‑1,  9-­‐‑10  juin  1978,   p.  294;  Gaz.  Pal.,  1978-­‐‑1,  10-­‐‑13  juin  1978,  p.  293,  note  J.-­‐‑F.  Flauss.    

267  Les  faits  de  cette  affaire  expliquent  en  partie  son  importance.  Simone  de  Beauvoir  et  M.  Leyris  ont  attaqué   la  décision  du  préfet  de  police  de  Paris,  sur  instruction  du  ministre  de  l’Intérieur  Raymond  Marcellin,  de   refuser  la  délivrance  du  récépissé  de  la  déclaration  qu’ils  avaient  faite  de  leur  association  nommée  Amis   de  la  cause  du  peuple.  Dans  un  premier  temps,  le  tribunal  administratif  de  Paris  donna  raison  à  Beauvoir   et   Leyris   en   annulant   le   refus   du   préfet.   Cependant,   afin   de   contrer   la   décision   du   tribunal,   le   gouvernement  adopta  un  projet  de  loi  où  l’on  créait  la  possibilité  de  soumettre  certaines  associations  à   un   contrôle    a  priori   de   l’autorité   judiciaire,   afin   de   juger   notamment   si   l’association   en   question   avait   pour  cause  un  «objet  illicite  contraire  aux  lois  ou  aux  bonnes  moeurs».  Bien  que  l’Assemblée  nationale   adopta   en   définitive   le   projet   de   loi   le   23   juin   1971,   le   Sénat   rejeta   le   texte   à   trois   reprises   et   dès   l’ouverture   du   délai   de   promulgation,   le   président   du   Sénat   saisit   le   Conseil   constitutionnel   de   l’ensemble   du   texte   relatif   au   projet   de   loi.   CC,   Décision   n°71-­‐‑44   DC   du   16   juillet   1971,   Liberté   d’association.  RCC,  p.  29;  RJC,  I-­‐‑24;  D,  1974,  p.  83,  chron.  L.  Hamon;  AJDA,  1971,  p.  537,  note  J.  Rivero;   RDP,  1971,  p.  1171,  note  J.  Robert.  Comme  l’a  écrit  Jean  Rivero,  il  est  rare  que  les  décisions  de  justice  en   France  fassent  la  une  dans  la  presse.  Celle  du  16  juillet  1971  fait  exception  à  la  règle  (AJDA.  1971,  p.  537).   Pour  Favoreu  et  Philip,  il  s’agit  d’une  décision  qui  «  revêt  une  portée  considérable,  historique  ».  Bien  que   l’Assemblée  nationale  adopte  en  définitive  le  projet  de  loi  le  23  juin  1971,  le  Sénat  rejette  le  texte  à  trois   reprises.  Dès  l’ouverture  du  délai  de  promulgation,  le  président  du  Sénat  saisit  le  Conseil  constitutionnel   de   l’ensemble   du   texte   relatif   au   projet   de   loi.   Le   Conseil   rend   alors   sa   décision   le   16   juillet   1971,   en  

Cette décision est importante d'abord parce qu'elle reconnaît au Conseil constitutionnel un rôle de protecteur des droits et libertés et la volonté de sanctionner toute atteinte au « bloc de constitutionnalité », c'est-à-dire à l'ensemble des normes constitutionnelles prises en compte lors d'un contrôle de constitutionnalité des lois. Dans le deuxième considérant de la décision, le Conseil augmente ainsi substantiellement ce bloc de constitutionnalité en y intégrant le Préambule de la Constitution de 1958268, qui lui-même inclut le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l'Homme de 1789. Cette décision de 1971 est majeure parce qu'elle renforce l'autorité et le prestige du Conseil tout en intégrant dans ce bloc de constitutionnalité les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, parmi lesquels figure dès lors la liberté d'association (en raison de la décision de 1971).

Le Conseil constitutionnel peut ainsi inclure certains principes fondamentaux lors de décisions ultérieures, comme il le fait avec la liberté de conscience dans sa décision du 23 novembre 1977269. Pour Jean-Marie Woehrling, puisque la liberté de religion est incluse dans la liberté de conscience et que celle-ci fait désormais partie du bloc de constitutionnalité, un contrôle de

reconnaissant  qu’il  existe  en  droit  français  un  principe  de  valeur  constitutionnelle  selon  lequel  seule  la   volonté   des   fondateurs   d’une   association   peut   en   déterminer   l’objet   et   la   cause.   Sauf   exception,   la   constitution  d’association  «  ne  peut  être  soumise  pour  sa  validité  à  l’intervention  préalable  de  l’autorité   administrative   ou   même   de   l’autorité   judiciaire  ».   Le   Conseil   évalue   les   faits   de   l’affaire   qui   lui   est   soumise  en  reconnaissant  que  ceux-­‐‑ci  font  l’objet  d’un  «  examen  de  sa  conformité  à  la  Constitution  »  et   déclare  dès  lors  que  certains  articles  du  projet  de  loi  ne  sont  pas  conformes  à  la  Constitution.  Voir  Louis   FAVOREAU  et  Loïc  PHILIPP  (dir.),  Les  grandes  décisions  du  Conseil  constitutionnel,  Paris,  Dalloz,  2011,  p.  50.  

268  Préambule  de  la  Constitution  de  1958  :    

- «  Le  peuple  français  proclame  solennellement  son  attachement  aux  droits  de  l'ʹHomme  et  aux  principes   de  souveraineté  nationale  tels  qu'ʹils  sont  définis  par  la  Déclaration  de  1789,  confirmée  et  complétée  par  le   Préambule  de  la  Constitution  de  1946  ».  

constitutionnalité des lois en regard de la liberté de religion est envisageable270. D'ailleurs, la garantie relative aux droits fondamentaux prend une importance considérable en juillet 2008 avec l'introduction d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette nouvelle procédure, comparable à celle d'autres cours constitutionnelles en Europe, permet à tous les justiciables, à n'importe quel procès, de contester la constitutionnalité d'une loi en vigueur qui concerne les droits et libertés garantis par la Constitution. La question de constitutionnalité alors soulevée est transmise soit au Conseil d'État, soit à la Cour de cassation selon l'ordre juridictionnel concerné271. La question peut ensuite se retrouver devant le Conseil constitutionnel, qui peut déclarer inconstitutionnelle la loi en cause en se fondant sur le bloc de constitutionnalité. Selon Patrick Washmann, cette introduction de la QPC fait évoluer la constitutionnalisation des droits et libertés d'une telle manière qu'une immunité juridictionnelle de la loi ne semble désormais plus possible en droit français272.

Les conséquences de ce contrôle de constitutionnalité peuvent être importantes pour la liberté de religion sur le plan du droit positif. L'interprétation des principes constitutionnels susceptibles d'être mis en œuvre, au premier chef la liberté de conscience, est particulièrement incertaine273. La loi de 2004 pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité selon la procédure de la QPC, ce qui engendrerait une incertitude quant à ces deux principes

270  Jean-­‐‑Marie   WOEHRLING,   «  Droit   constitutionnel   et   droit   international  »,   dans   Francis   MESSNER,   Pierre-­‐‑ Henri   PRELOT   et   Jean-­‐‑Marie   WOEHRLING   (dir.),   Traité   de   droit   français   des   religions,   2e   éd.,   Paris,  

LexisNexis,  2013  à  la  page  438.   271  P.  WASCHMANN,  préc.,  note  200,  p.  148.   272  Id.  

importants que sont la liberté de conscience et la laïcité274. Cette constitutionnalisation des droits et libertés a également des conséquences notables pour la liberté de religion sur le plan de la doctrine. Il y a un dissensus au sein de celle-ci en ce qui concerne la liberté de religion et de son analyse doctrinale à titre de « liberté publique » ou de « liberté fondamentale ». Comme le mentionne Véronique Champeil-Desplats, cette protection des libertés par des normes constitutionnelles rend désormais possible l'introduction dans la pensée juridique française d'une catégorisation en matière de « droits et libertés fondamentaux », plus proches philosophiquement de la pensée anglo-saxonne, remettant en question leur catégorisation en matière de « libertés publiques », fruit de la tradition française275. Alors que certains préfèrent conserver le terme « liberté publique », historiquement marqué par le droit administratif, où les libertés sont protégées par la loi, d'autres embrassent la nouvelle dénomination de « liberté fondamentale », s'inscrivant dans un horizon constitutionnel où les libertés sont désormais protégées par un contrôle judiciaire des lois276. Pour l'instant, puisque la liberté de religion n'a pas été soumise à une procédure de la QPC et que la doctrine spécialisée en droit des religions souligne une forme d'incertitude concernant le contrôle de constitutionnalité relié à la liberté de religion277, il semble que ce débat doctrinal ait toutes les chances de se maintenir.

274  Pour  l'ʹinstant,  la  loi  de  2004  n'ʹa  pas  été  soumise  à  la  procédure  de  la  QPC.  Cependant,  compte  tenu  des   décisions  prises  par  la  CEDH  à  ce  sujet,  qui  confirmèrent  la  conformité  de  la  loi  à  la  CvEDH,  il  est  peu   probable   que   le   Conseil   constitutionnel   déclare   inconstitutionnelle   la   loi   de   2004   si   la   question   lui   est   soumise.    

275Véronique  CHAMPEIL-­‐‑DESPLATS,  «  Des  «  libertés  publiques  »  aux  «  droits  fondamentaux  »  :  effets  et  enjeux   d’un  changement  de  dénomination  »,  (2010)  5  Jus  Politicum.  

276  Dans  le  premier  groupe,  Champeil-­‐‑Desplats  voit  entre  autres  P.  Waschmann,  J.  Rivero,  H.  Moutouh  et  D.   Turpin.  Dans  le  deuxième,  elle  identifie  L.  Favoreu,  B.  Mathieu,  M.  Verpeaux,  R.  Cabrillax,  M.  Delmas   Marty  et  C.  Lucas  de  Leyssac.  Voir  Id.,  1.  

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