3.1. Les parcours de la laïcité en France et au Québec 131
3.1.3. La laïcité en France, caractère fondamental de la République 138
3.1.3.1. La laïcité sous le prisme du républicanisme 140
Une conception dite « républicaine » de la laïcité peut notamment s’appuyer sur une philosophie politique qui considère avant tout la société comme un organisme, comme un « corps social »467. Cette communauté des citoyens que forme la société nationale se trouve traversée à la fois par « l’ambition universelle de la transcendance par le politique et les formes concrètes du processus de singularisation des particularismes de toutes natures par la citoyenneté »468. L’idée moderne de nation renvoie dès lors à une communauté de citoyens qui légitime l’action de l’État dans sa double dimension d’intégration interne et d’action extérieure. En ce sens, la nation « se définit par son ambition de transcender par la citoyenneté des appartenances particulières »469. Pour Dominique Schnapper, « la laïcité, en particulier, est un attribut essentiel de l’État moderne, parce qu’elle permet de transcender la diversité des appartenances religieuses, de consacrer le passage dans le privé des croyances et des pratiques,
465 Jean BAUDOIN et Philippe PORTIER, « La laïcité française. Approche d’une métamorphose. », dans Jean BAUDOIN et Philippe PORTIER (dir.), La laïcité, une valeur aujourd’hui? Contestations et renégociations du modèle français, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001 à la page 17; Brigitte BASDEVANT-‐‑
GAUDEMET, « Le régime de séparation des Églises et de l’État depuis 1905 », dans Francis MESSNER,
Pierre-‐‑Henri PRELOT et Jean-‐‑Marie WOEHRLING (dir.), Traité de droit français des religions, Paris, LexisNexis,
2013 à la page 261.
466 P. PORTIER, préc., note 21, 63.
467 Jean-‐‑Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, Folio essais, 1964, p. 160-‐‑163. La pensée rousseauiste défend l’aspect inaliénable et indivisible de la souveraineté. En ce sens, l’objet des lois est l’aspet général et abstrait, exprimant la « volonté générale ».
468 Dominique SCHNAPPER, La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994, p. 39.
de faire du domaine public le lieu, religieusement neutralisé »470. En ce sens, selon cette conception d'une laïcité plus combative, l’espace public est considéré comme le lieu où s’expriment les valeurs communes partagées par la communauté des citoyens 471.
L’État se trouve ainsi investi d’un rôle fort ; un devoir d’émancipation des individus devant les croyances irrationnelles 472. Selon Henri Pena-Ruiz, le principe de laïcité est alors au fondement même de la démocratie, dans le sens où « le pouvoir du demos s’enracine dans le respect du laos, entendu comme multitude humaine indivise, dont l’unité se fonde sur l’égalité de ses membres, reconnus comme majeurs et libres »473. Tout comme l’État, la laïcité est un
470 Id., p. 74; Voir également Dominique SCHNAPPER, La France de l’intégration. Sociologie de la nation en 1990, Paris, Gallimard, 1991; Dominique SCHNAPPER, La démocratie providentielle. Essai sur l’égalité contemporaine,
Paris, Gallimard, 2002; Dominique SCHNAPPER, « La citoyenneté: perspectives historiques et théoriques.
La conception de nation, Citoyenneté et société », Les Cahiers Français 1997.281.50 et suiv.
471 Pour Schnapper, les valeurs communes sont une déclinaison des « valeurs universelles auxquelles se réfèrent les sociétés démocratiques » D. SCHNAPPER, préc., note 468, p. 23; Schnapper renvoie à la
conception de la nation d’Ernest Renan, exempt de caractéristiques ethniques. Il faut se rappeler que Renan développe sa conception de la nation en réaction à la conception allemande. Voir Ernest RENAN,
« Qu’est-‐‑ce qu’une nation? », dans Philippe FOREST (dir.), Qu’est-‐‑ce qu’une nation? Littération et identité nationale, Paris, Pierre Bordas et fils, coll. Littérature vivante, 1991; De son côté, David Miller défend la nation comme étant une communauté d’obligations qui assure la confiance dans une société démocratique divisée. Voir David MILLER, Citizenship and National Identity, Cambridge, Polity Press, 2000,
p. 25; Certains ont souligné l’aspect futile de l’opposition entre nation civique et nation ethnique. Voir à ce sujet Michel SEYMOUR, « On Redefining the Nation », (1999) 82-‐‑3 Monist 411-‐‑445; Bikhu Parekh, pour
sa part, critique les liens ténus entre identité culturelle, pouvoir politique et nation. Voir Bhiku PAREKH,
« The concept of national identity », (1995) 21-‐‑2 Journal of Ethnic and Migration Studies 255-‐‑268.
472 Ce rôle fort accordé à l’État est également appelé «perfectionnisme», où l’État a le devoir de favoriser les conditions au sein desquelles les individus sont appelés à se perfectionner, soit à participer pleinement à la communauté des citoyens en partageant une conception particulière de la vie bonne. Voir à ce sujet notamment Knud HAAKONSSEN, « Republicanism », dans Robert E. GOODIN et Philip PETTIT (dir.), A Companion to Contemporary Political Philosophy, Cambridge, Blackwell Publishers, 1993, p. 568-‐‑574; Pour Howard Adelman, ce perfectionnisme est associé à une forme de « paternalisme » par le haut. Voir H. ADELMAN, préc., note 169; Pour Cécile Laborde, c’est avec l’école publique que l’État républicain
accomplit son rôle d’émanciper les citoyens, ici les « futurs citoyens », des croyances irrationnelles. Voir C. LABORDE, préc., note 171, p. 102-‐‑103.
473 Henri PENA-‐‑RUIZ, Dieu et Marianne. Philosophie de la laïcité, PUF, 2005; Selon Philiippe Portier, il peut s’agir d’une conception dite «exclusiviste» de la laïcité, construite sur deux principes complémentaires, à savoir l’égalisation des conditions, où l’État surplombe toutes les croyances en refusant de les distinguer
principe démocratique servant à « émanciper » des particularismes, notamment de nature religieuse 474. À ce titre, l'école représente le premier lieu de ce combat républicain pour la laïcité en raison de la volonté d'accorder un rôle prépondérant à l'État dans l'établissement des programmes scolaires. En effet, les différentes lois adoptées dans les années 1880 sous l'administration du ministre de l'Instruction publique Jules Ferry instaurent la gratuité complète et la scolarisation obligatoire475. Pour Ferry, ce que souhaite par là le gouvernement républicain français, c'est une école « libre et affranchie » des pouvoirs religieux 476. C'est par l'école qu'est entrée, pour Jean Rivero, la laïcité dans l'environnement législatif français 477.