1.2. Une accélération de l'attention portée au hijab depuis le début des années 2000 56
1.1.2. Le hijab au sein des établissements scolaires en France et au Québec 56
1.1.2.2. Un parcours fondé sur l'autorisation en droit québécois 60
Au Québec, en 1995, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) a produit un rapport au sein duquel elle propose de réfléchir à l'encadrement juridique du port de signes religieux dans les établissements scolaires187. Ce rapport tente de répondre à une affaire survenue en septembre 1994, alors qu'une élève de 12 ans est expulsée d'une école publique montréalaise parce qu'elle porte le hijab, contrainte dès lors de s'inscrire
183 CE, 10 juillet 1995, Association « Un Sisyphe », Rec. P. 292, AJDA, 1995, p. 644, conclu. R. Schwartz, JCPG, 1995, II, 22519, note A. Ashworth.
184 Selon le Guide législatif français, une circulaire « n'ʹa par elle-‐‑même aucune incidence juridique : une "ʺcirculaire"ʺ n'ʹa ni plus ni moins de valeur qu'ʹune "ʺnote de service"ʺ ». Consulté en ligne : [http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-‐‑francais/Guide-‐‑de-‐‑legistique/I.-‐‑Conception-‐‑des-‐‑textes/1.3.-‐‑ Hierarchie-‐‑des-‐‑normes/1.3.7.-‐‑Circulaires-‐‑directives-‐‑instructions]
185 Rémy SCHWARTZ, « Du Palais-‐‑Royal à la commission Stasi », Droit et Société 2008.68, 226; Valérie AMIRAUX, « L’“affaire du foulard” en France: retour sur une affaire qui n’en est pas encore une », (2009) 41-‐‑2 Sociologie et sociétés 237-‐‑298.
186 CE, 27 novembre 1996, M. et Mme Jeouit, req., n°172686; RFDA, 1997, p. 151, note C. Durand –Prinborgne. Le Conseil d'ʹÉtat confirma dans une autre décision que seul un comportement à risque pouvait justifier la limitation de la liberté de religion des élèves : CE, 27 novembre 1996, Ligue islamique du Nord, M. et Mme Chabou et autres, Rec., p. 461; JCPG, 1997, II, 22808, note B. Seillier.
dans un autre établissement188. La CDPDJ y mentionne qu'une interdiction du port de signes religieux musulmans serait contraire aux dispositions prévues en droit québécois en matière d'égalité. La seule interdiction du hijab constituerait une discrimination directe dans le sens qu'elle serait plus préjudiciable pour les élèves portant un signe religieux musulman pour des raisons religieuses. De plus, une interdiction de tout signe religieux constituerait une discrimination indirecte, car l'atteinte résiderait « alors dans le fait d'assujettir l'élève à des modalités d'exercice du droit à l'instruction publique qui sont, pour elle [l'élève portant un signe religieux musulman], plus contraignantes – parce que la forçant à fréquenter une école qu'elle n'a pas choisie – que pour les autres élèves » ne portant pas de signes religieux189.
Selon la CDPDJ, l'interdiction du port de signes religieux serait également contraire aux dispositions prévues en droit québécois en matière de liberté de religion190. Pour la Commission, bien qu'il soit possible de soulever la question de l'égalité entre les hommes et les femmes concernant le port de signes religieux musulmans, il s'agit d'une erreur de ne pas procéder à un examen contextualisé : « […] il convient de distinguer le foulard proprement dit de l'usage symbolique et idéologique qui en est fait »191. L'interdiction ne devrait être considérée que dans des circonstances avérées où l'ordre public ou l'égalité des sexes sont en péril, par exemple si l'on peut démontrer que le foulard est porté contre la volonté ou qu'il l'est
188 François BERGER, « Élève expulsée de son école parce qu’elle portait le foulard islamique », La Presse, sect. A1 (9 septembre 1994); François BERGER, « L’élève au voile islamique ira dans une autre école », La Presse,
sect. A3 (10 septembre 1994). 189 CDPDJ, préc., note 187, p. 22.
190 R. c. Big M. Drug Mart Ltd., préc., note 10, 336. 191 CDPDJ, préc., note 187, p. 25.
à des fins de turbulence et de tensions dans l'établissement scolaire192. En conclusion, la CDPDJ considère qu'une interdiction du port de signes religieux pour les élèves ne serait pas compatible avec le droit québécois.
La même année, le Conseil du statut de la femme du Québec193 publie un rapport sur la question du port du hijab à l'école publique194. Il recommande alors de ne pas interdire ce signe religieux à l'école publique. Selon son rapport, l'encadrement juridique du port de signes religieux musulmans est traversé par un « argument déterminant, celui qui met en relief les conséquences pour les filles d'une interdiction qui mènerait pour certaines à l'exclusion de l'école publique »195. L'interdiction pure et simple du foulard serait pénalisante pour les jeunes filles musulmanes, bien que des questions puissent être soulevées concernant cette « prescription coranique » s'appliquant seulement aux femmes. Le Conseil établit une distinction entre la réflexion sur la signification sociale, politique et religieuse du voile islamique, qui peut soulever des questions concernant l'inégalité entre les hommes et les femmes, et la réflexion sur l'interdiction de celui-ci par l'entremise du droit, où la question du choix personnel relatif au port de ce signe devient déterminante. Il conclut que « l'interdiction
192 La Commission considère également que le port du foulard peut être interdit s’il y a un risque avéré pour la sécurité de l’élève, notamment lors d’activités sportives. La proximité conceptuelle entre ce rapport de 1995 et l’avis du Conseil d’État en 1989 est manifeste. D’ailleurs, la CDPDJ y fait explicitement référence. Id.
193 Le Conseil du statut de la femme est un organisme public de consultation et d'ʹétude créé en 1973. Il donne son avis sur tout sujet soumis à son analyse relativement à l'ʹégalité et au respect des droits et du statut de la femme. L'ʹassemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de 10 femmes provenant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-‐‑énonomiques et des syndicats.
194 CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Réflexion sur la question du port du voile à l’école, Québec, 1995. 195 Id., p. 38.
du voile n'est ni le meilleur moyen de lutter contre l'intégrisme ni la meilleure façon d'assurer l'égalité entre les sexes »196.