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L'accommodement raisonnable en droit québécois 94

2.1. La liberté de religion en droit public français et québécois 80

2.1.4. L'accommodement raisonnable en droit québécois 94

En droit québécois, la liberté de religion est également protégée en vertu du droit à l'égalité, prévu à l'art. 10 de la Charte québécoise et à l'art. 15 de la Charte canadienne304. Le droit à

303  En  vertu  de  la  directive  n°2000/78/CE,  art.  2,  transposé  par  la  loi  n°2008-­‐‑496  du  27  mai  2008  portant  diverses   dispositions  d’adaptation  au  droit  communautaire  dans  le  domaine  de  la  lutte  contre  les  discriminations.  Voir  à  ce   sujet  Id.  à  la  page  85.  

304  Art.  10  de  la  Charte  québécoise  :    

- «  Toute  personne  a  droit  à  la  reconnaissance  et  à  l'ʹexercice,  en  pleine  égalité,  des  droits  et  liberté  de  la   personne,  sans  distinction,  exclusion  ou  préférence  fondée  sur  la  race,  la  couleur,  le  sexe,  la  grossesse,   l'ʹorientation  sexuelle,  l'ʹétat  civil,  l'ʹâge  sauf  dans  la  mesure  prévue  par  la  loi,  la  religion,  les  convictions   politiques,  la  langue,  l'ʹorigine  ethnique  ou  nationale,  la  condition  sociale,  le  handicap  ou  l'ʹutilisation  d'ʹun   moyen  pour  pallier  ce  handicap  ».  

l'égalité est très tôt interprété de manière extensive en droit canadien305. Dans Simpsons-Sears, en 1985, la Cour établit une distinction entre la discrimination directe d'une norme et son effet

discriminatoire. Lorsqu'une pratique ou une règle est adoptée et qu'elle établit, à première vue,

une distinction pour un motif prohibé par les chartes, on est en présence d'une discrimination directement intentionnelle 306 . C'est le cas, par exemple, d'un établissement qui afficherait : « Ici, on n'embauche pas de musulmans ». Si on prouve l'existence d'une telle discrimination directe sur la base d'un des motifs prohibés par les chartes, par exemple la religion, la norme en question est alors tout simplement déclarée inopérante.

Cependant, une norme peut aussi avoir un effet préjudiciable pour certaines personnes en particulier, c'est-à-dire un effet discriminatoire indirect. Par exemple, un établissement peut adopter un règlement visant à interdire la présence d'animaux de compagnie dans ses locaux pour des raisons d'hygiène ou de sécurité. À première vue, un tel règlement n'a pas d'intention discriminatoire. Cependant, il peut désavantager certaines personnes plus que d'autres, soit les personnes ayant un handicap visuel qui utilisent un animal de compagnie pour pallier ce

handicap. Or, comme ce motif précis (utilisation d'un moyen pour pallier un handicap) est

prohibé par la Charte québécoise à l'art. 10, il est possible de contester ce règlement parce qu'il produit des effets discriminatoires sur une catégorie précise de personnes. Celles-ci se trouvent

Art.  15  de  la  Charte  canadienne  :    

- «  La   loi   ne   fait   acceptation   de   personne   et   s'ʹapplique   également   à   tous,   et   tous   ont   droit   à   la   même   protection   et   au   même   bénéfice   de   la   loi,   indépendamment   de   toute   discrimination,   notamment   des   discrimination  fondées  sur  la  race,  l'ʹorigine  nationale  ou  ethnique,  la  couleur,  la  religion,  le  sexe,  l'ʹâge  ou   les  différences  mentales  ou  physiques  ».  

Avant  l'ʹadoption  de  la  Charte  canadienne,  la  Loi  canadienne  sur  les  droits  de  la  personne  de  1977  prévoyait  des   garanties  relatives  à  l'ʹinterdiction  de  toute  discrimination  fondée  sur  la  religion  (art.3  (1)).    

305  Commission  ontarienne  des  droits  de  la  personne  (O’Malley)  c.  Simpsons-­‐‑Sears,    [1985]  2  R.C.S.  No  536  (CSC).   306  Id.,  551.  

donc désavantagées par le règlement307. On est alors en présence d'une discrimination indirecte.

La solution juridique qui est de mise dans un cas de discrimination indirecte n'est pas de rendre inopérante la norme en question, ce qui aurait des conséquences néfastes à la fois pour les autres personnes concernées par cette norme et pour le bon fonctionnement de l'établissement visé. Il s'agit alors, pour la Cour, « d'aménager » la norme, de l'assouplir, de l'adapter à la situation concrète afin d'en atténuer les effets discriminatoires pour les personnes concernées : de consentir à un accommodement raisonnable. En provenance du droit du travail américain, l'accommodement raisonnable devient, avec l'arrêt Simpsons-Sears, une obligation en vertu du droit à l'égalité comme prévu dans les chartes308. Dans cet arrêt, une employée conteste la décision de son employeur de l'obliger à travailler le samedi, sous peine de licenciement, alors que sa religion lui prescrivait un jour de repos le samedi. La Cour conclut alors que l'employeur avait une obligation de tenter de l'accommoder raisonnablement, c'est-à- dire de faire en sorte que les besoins religieux de son employée soient respectés à moins que ceux-ci ne lui causent « une contrainte excessive dans la gestion de ses affaires »309.

L'accommodement raisonnable est limité, en droit québécois et canadien, d'abord par cette notion de contrainte excessive. Celle-ci renvoie à deux critères : le coût de l'accommodement

307  En  1999,  dans  Law,  la  Cour  suprême  du  Canada  a  spécifié  que  la  garantie  d’égalité  prévue  à  l’art.  15  vise  à   «  empêcher  qu’il  y  ait  atteinte  à  la  dignité  et  à  la  liberté  humaine  essentielles  au  moyen  de  l’imposition  de   désavantages,  de  stéréotypes  ou  de  préjugés  politiques  ou  sociaux,  et  de  promouvoir  une  société  dans   laquelle  tous  sont  également  reconnus  dans  la  loi  en  tant  qu’êtres  humains  ou  que  membres  de  la  société   canadienne,  tous  aussi  capables,  et  méritant  le  même  intérêt,  le  même  respect  et  la  même  considération  ».   Law  c.  Canada,    [1999]  1  R.C.S.,  par.  51.  

308  Commission  ontarienne  des  droits  de  la  personne  (O’Malley)  c.  Simpsons-­‐‑Sears,  préc.,  note  305,  553.   309  Id.  

et l'entrave à l'exploitation de l'établissement ou de l'entreprise310. Quelques années plus tard, dans Renaud, en 1992, la Cour a introduit un troisième critère, à savoir le droit d'autrui311. Ces trois critères doivent être appliqués avec souplesse et être « conformes au bon sens », ce qui signifie d'abord qu'ils « ne sont pas coulés dans le béton », comme le mentionne la Cour dans

Bergervin312.

Il incombe ainsi au décideur en place d'accommoder la ou les personnes pour qui les effets préjudiciables de la norme ont été démontrés313. Cela se traduit, dans l'exemple de l'animal de compagnie, par une obligation pour le chef d'établissement de laisser entrer dans ses locaux une personne ayant un handicap visuel avec un animal de compagnie, même si le règlement mentionne explicitement le contraire. On parle alors de traitement différentiel afin de respecter le droit à l'égalité314. D'un point de vue conceptuel, il s'agit là d'un « renversement », du moins d'une complexification importante du principe d'égalité, considéré en droit québécois et canadien comme une valeur « souveraine » des chartes315. L'accommodement raisonnable représente une solution juridique trouvant son fondement dans une conception dite « réelle » ou « matérielle » du droit à l'égalité. Il ne s'agit plus seulement de tenir compte

310  Id.,  555.  

311  Central  Okanagan  School  District  No.  23  c.  Renaud.,    [1992]  2  R.C.S.  No  970,  987-­‐‑989  (CSC).   312  Commission  scolaire  régionale  de  Chambly  c.  Bergevin,    [1994]  2  R.C.S.  525,  546  (CSC).  

313  José  WOEHRLING,  «  L’obligation  d’accommodement  raisonnable  et  l’adaptation  de  la  société  à  la  diversité   religieuse  »,  (1997)  43  RD  McGill.  

314Pierre  BOSSET,  «  Les  fondements  juridiques  et  l’évolution  de  l’obligation  d’accommodement  raisonnable  »,   dans   Myriam   JEZEQUEL   (dir.),   Les   accommodements   raisonnables:   quoi,   comment,   jusqu’où?   Des   outils   pour   tous,   Yvon   Blais,   Cowansville,   2007;   Pierre   BOSSET,   «  Limites   de   l’accommodement:   le   droit   a-­‐‑t-­‐‑il   tout  

dit?  »,  (2007)  8-­‐‑3  Éthique  publique;  François  BOUCHER,  «  Exemptions  to  the  Law,  Freedom  of  Religion  and  

Freedom  of  Conscience  in  Postsecular  Societies  »,  (2013)  3-­‐‑2  Philosophy  and  Public  Issues  (New  Series).   315  Je  reprends  l’expression  de  Ronald  Dworkin.  Ronald  DWORKIN,  Sovereign  virtue.  The  Theory  and  Practice  of  

Equality,  Harvard  University  Press,  Cambridge,  2002;  Peter  W.  HOGG,  «  Equality  as  a  Charter  Value  in  

d'une égalité en droit (une égalité formelle), mais aussi de tenir compte de l'effet matériel et concret de l'application des normes et de leur potentiel préjudiciable (une égalité réelle ou matérielle)316.

À première vue, il peut être plus aisé d'évaluer les effets discriminatoires d'une norme lorsqu'il est question de handicap physique. On peut établir matériellement le handicap et obtenir, par exemple, un certificat médical qui en prouve l'existence. Dans l'exemple de l'animal de compagnie, le handicap visuel est clairement établi. La question est plus compliquée lorsqu'il est question de liberté de religion. Une croyance religieuse est plus difficile à établir qu'un handicap physique, d'autant qu'elle peut changer avec le temps. La conception réelle du droit à l'égalité incite, dans ce cas, à prendre en compte des « aspects culturels ou religieux implicites » des normes317. La CDPDJ produit en 2006 un rapport dans lequel son auteur mentionne que les lois, normes et règlements au sein d'une société ne sont pas uniquement définis en fonction de principes abstraits de justice ; il peut arriver ainsi que ces normes « épousent les discours, les sous-cultures et les intérêts des groupes politiquement et historiquement dominants »318.

316  Jocelyn   MACLURE,   «  Convictions   de   conscience,   responsabilité   individuelle   et   équité:   l’obligation   d’accommodement   est-­‐‑elle   équitable?  »,   dans   Paul   EID,   Pierre   BOSSET,   Micheline   MILOT   et   Sébastien  

LEBEL-­‐‑GRENIER   (dir.),   Appartenances   religieuses,   appartenance   citoyenne.   Un   équilibre   en   tension,   Québec,  

Presses  de  l’Université  Laval,  2009  à  la  page  331.  

317  G.  BOUCHARD  et  C.  TAYLOR,  préc.,  note  125,  p.  161;  CDPDJ,  Droit  et  religion:  de  l’accommodement  raisonnable   à  un  dialogue  internormatif?,  2006.  

318  Paul  EID,  Les  accommodements  raisonnables  en  matière  religieuse  et  les  droits  des  femmes:  la  cohabitation  est-­‐‑elle   possible?,  Montréal,  CDPDJ,  2006,  p.  3.  

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