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La promotion des valeurs des Lumières et l’assurance d’un niveau de prestige niveau de prestige

enjeux sociétaux

CHAPITRE 1. Que venait-on faire en loge ?

1.3. La promotion des valeurs des Lumières et l’assurance d’un niveau de prestige niveau de prestige

1.3. La promotion des valeurs des Lumières et l’assurance d’un niveau de prestige

Au cœur des loges mauriciennes, la franc-maçonnerie joua aussi son rôle de ‘Fille des Lumières’ en mettant en exergue l’humanisme, le progrès et le développement personnel et en perpétuant les revendications des Lumières où l’Homme est au centre. Comme le souligna Le Goy, vénérable de la Loge La Paix en 1843 : « Les [maçons] de La Paix, pensant avec Justesse que l’Institution [maçonnique] était appelée à Jouer un grand rôle dans la civilisation

920 Timothy Baycroft, « Nationalism, national identity and freemasonry» JRFF 1.1. p.20: « an important vehicle

for national thought ».

921

Cécile Révauger, Lumières No 7. Franc-maçonnerie, et politique au siècle des Lumières : Europe-Amériques [Presse Universitaire de Bordeaux, 2006] p. 11.

922 Henry C. Descroizilles, Notes lues au Banquet d’ordre du 23eme jour du 12ème mois de 5863 suivies du discours par le F. Orateur le 10ème jour du 4ème mois 5864 [Imprimerie du Commercial Gazette, 1864] p.23.

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& même à marcher à la tête des Progrès (…)»923. Les maçons mauriciens avaient la tâche de faire évoluer et progresser leur société de par leurs réflexions, et leur travail dans les loges et à l’extérieur. En 1857, le vénérable de cette même loge, Pierre Charron fit écho à ce désir : « (…) j’ai l’espoir, mes [Frères], de voir la Franc-Maçonnerie faire passer le niveau philosophique sur la Société Mauricienne, et faire de tous les Mauriciens un véritable peuple de [Frères] »924. Ghosh et Kenneth se réfèrent également ces valeurs du XIXe siècle en parlant, en 2006, des deux éléments clés de l’universalisme maçonnique comme étant la «moralité éclairée» et le «progrès civilisationnel»925. La maçonnerie mauricienne, dans son ensemble, fut elle aussi une force de proposition et elle aida à promouvoir aussi bien les nouvelles idées de l’époque à plusieurs niveaux et les cultures européennes. Claude Wanquet, en parlant des apports de la franc-maçonnerie à l’Ile de la Réunion, cite par exemple le fait qu’elle véhicula la lecture, la connaissance et les idées des Lumières926

. Cette filiation intellectuelle se retrouvait aussi dans l’Ile Maurice coloniale. Lors d’une tenue d’instruction à la loge La Triple Espérance, H.C. Descroizilles élabora sur les enseignements de la franc-maçonnerie et souligna l’importance de lire son histoire et ses valeurs, et d’en connaitre ses persécutions927. Ce faisant, il s’inscrivit fortement dans une tradition européenne qui était essentielle à la construction d’une cohésion culturelle dans l’outremer.

A travers les maçonneries françaises et britanniques, la continuité culturelle fut assurée en partie à l’île Maurice. Certains maçons s’accrochaient à leurs identités régionales alors que d’autres retrouvaient une appartenance dans leurs métiers communs et les liens professionnels. La maçonnerie leur apporta une autre affinité que dans les autres espaces de sociabilité. Comme le dit Pierre-Yves Beaurepaire, dans la rubrique « Colonies » de l’Encyclopédie de la maçonnerie dirigée par Eric Saunier: « le succès de la franc-maçonnerie ne tient pas à la pauvreté supposée du monde colonial en foyers de sociabilité attractifs et en phase avec les modes métropolitaines. Au contraire, les colonies sont un formidable théâtre d'innovation en terme de sociabilité (...) »928. En effet, la colonie

923

FM 2 (579). Dossier 1. La Paix. Correspondance 1790-1850. Lettre à Pilon du vénérable Le Goy. 10 février 1843. 8pp. p.4-5.

924 Bulletin du GODF (2e série – 13e année) « Mélanges » Copie de la planche des travaux d’inauguration. avril 1857 p.36-38 p.47.

925Durba Ghosh, Dane Kenneth, Decentring Empire. Britain, India and the transcolonial world [Sangam Books, 2006] p .107: «enlightened morality» and «civilizational progress».

926Claude Wanquet, « Les débuts de la franc-maçonnerie à la Réunion ». Etudes et Documents No.14. [Aix-en-Provence : IHPOM] p.33-44.

927

Henry C. Descroizilles, Notes lues au Banquet d’ordre du 23eme jour du 12ème mois de 5863 suivies du discours par le F. Orateur le 10ème jour du 4ème mois 5864 [Imprimerie du Commercial Gazette, 1864] p.44.

928 Pierre-Yves Beaurepaire, « Colonies » dans Eric Saunier, Encyclopédie de la franc-maçonnerie [Librairie générale française. Pochotheque, 2008].

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mauricienne depuis la période française, avait entretenu une vie culturelle assez active. Jocelyn Chan Low cite Jean Pierre et Joyce Durand, dans l’article « Une perspective historique du processus de construction identitaire à l’Ile Maurice », qui mit en avant le fait que les « (…) individus à partir de chacune des régions d’origine (France, Angleterre, Chine, Inde) possédaient déjà en commun, avant leur départ, un territoire, une langue, une histoire, c’est-à-dire une culture commune »929. Ils les gardèrent après l’immigration. Toutefois, il y avait aussi, selon Jocelyn Chan Low, des « clivages à l’intérieur »930 de ces groupes. C’est précisément ce qui se passa en franc-maçonnerie. Au niveau culturel alors que la période pré-révolutionnaire sous la colonisation française fut moins dynamique, à l’instar de l’institution littéraire appelée la Société des rédacteurs du journal de l’Ile de France et de Bourbon créée en 1786931 et qui n’eut pas une longue vie, la période révolutionnaire donna vie à « plusieurs ‘clubs’ comme autant de lieux de prise de parole »932

et une société des Amis de la Constitution fut même créée en 1791933. Ensuite, d’autres associations culturelles furent créées : la Société des Sciences et des Arts en 1801 (dont Lislet Geoffroy, un maçon de couleur fut l’un des fondateurs) ; la Table Ronde en 1803 (qui était un « haut lieu de l’opposition aux Anglais »934

à partir de 1810), et la Société de l’Isle de France (1804) qui deviendra la Société d’Emulation Intellectuelle (1805)935, entre autres. Cette dernière s’occupait « (…) de tout ce qui a[vait] un rapport aux sciences, à l’agriculture, au commerce et à la navigation »936. En 1816, elle emprunta la devise « On peut à défaut d’esprit, Emprunter l’esprit des autres »937

.

Cependant, toutes ces sociétés à dominance française ne pouvaient réunir les Britanniques et les Français, bien que les premiers y fussent invités pour des célébrations.

929 Jocelyn Chan Low, « Une perspective historique du processus de construction identitaire à l’Ile Maurice ». Dans Y.-S. Live, J.F. Hamon, Interethnicité et interculturalité à l’île Maurice [L’Harmattan, 2008] p.14.

930

Ibid., p.14.

931 Ferdinand Magon de Saint-Elier, Tableaux historique, politiques et pittoresques de l’Ile de France [1839] p.220 (Google books).

932

Robert Furlong, « Et pendant ce temps en littérature… » dans Serge Rivière, Kumari Issur, Baudin-Flinders

dans l’Océan Indien [L’Harmattan, 2006] p.112.

933 Jean Boutier et Philippe Boutry, « La sociabilité politique en Europe et en Amérique à l’époque de la

Révolution française. Eléments pour une approche comparée » 20pp. p.3.

www.halsh.archives-ouvertes.fr/halshs-00006834/ Accès : 16/06/2013.

934

Robert Furlong, « Et pendant ce temps en littérature… » dans Serge Rivière, Kumari Issur, Baudin-Flinders

dans l’Océan Indien [L’Harmattan, 2006] p.113.

935 Ibid., p.113.

936Antoine Marrier d’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 2 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.107.

937Robert Furlong, « Et pendant ce temps en littérature… » dans Serge Rivière, Kumari Issur, Baudin-Flinders

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Outre la création, dès le début du régime britannique, de la Société d’Agriculture938 (qui n’eut pas une longue vie) et une société « dite d’encouragement et des arts »939 (créée par le gouverneur Farquhar en 1817), qui regroupait les membres de la Société d’Emulation), peu d’initiatives culturelles britanniques furent lancées lors de la première décennie de la nouvelle administration. Face à ce dénuement culturel des débuts, il semblerait que les sociétés françaises furent aussi en déclin. Selon Antoine D’Unienville, « ce qui avait été prévu en 1817, du sort des sociétés d’émulation, d’encouragement, etc., ne s’est que trop accompli »940

et, en 1830, « (…) ces sociétés p[ouvai]ent être considérées comme entièrement dissoutes »941, à l’exception de la Table Ronde. Plusieurs raisons expliquent le déclin passager culturel français comme les catastrophes. Par exemple, des deux librairies de Port-Louis, l’une fut partiellement détruite par l’incendie de 1816. Ces librairies étaient « (…) remarquables, dans une colonie, où l’on ne pouvait pas s’attendre à trouver de semblables ressources pour l’étude en tous genres »942

. Elles alimentaient les habitants de la capitale et du reste de l’île en livres par abonnement. Elles furent ensuite regroupées sous le nom de Librairie de l’Ile Maurice. L’art théâtral, initié par les Français, fut mis au diapason dans la première décennie de l’administration anglaise. En 1820, Farquhar inaugura le théâtre de Port-Louis qui remplaça la Comédie, salle qui fut détruite pendant le cyclone de 1818. Des pièces de la tradition française y furent jouées et confirmèrent que le régime britannique ne fut pas discriminatoire envers la culture française. Une des initiatives réussies des Britanniques, et qui eut plus de succès, fut la Société d’Histoire Naturelle qui vit le jour en 1829. Elle était « (…) composée, en grande partie de très jeunes hommes »943 et Charles Telfair, le vénérable de la première loge anglaise, en fut un pilier. Elle devint par la suite la Société Royale des Arts et des Sciences de l’Ile Maurice en 1846. Deux imprimeries (celle du gouvernement anglais et celle de Messieurs Vallet et Asselins) dans la première moitié du XIXe siècle permirent un renouveau de la richesse culturelle et aussi à la franc-maçonnerie d’imprimer ses récits historiques. Toute cette manne culturelle fut nourrie par les apports de la maçonnerie locale.

La franc-maçonnerie mauricienne, à travers ses cadres et/ou grâce à l’initiative des loges, se plaça, en effet, dans cette mouvance de promotion des arts et de la culture. Les loges

938Antoine Marrier d’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 2 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.108.

939Ibid., p.108.

940 Ibid., p.111.

941Ibid., p.111.

942

Ibid., p.105.

943Antoine Marrier d’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 2 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.108.

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s’allièrent souvent à des collectes de fonds et à la philanthropie. L’archiviste coloniale de Maurice, le Baron D’Unienville, reconnut cette place de la franc-maçonnerie dans la vie culturelle de l’île et il cita les loges mauriciennes dans son état des lieux des institutions de l’époque en 1838: « Pour ne rien omettre des institutions qui ont subsisté, ou qui subsistent en cette colonie ; il convient de parler des loges maçonniques qui y ont été successivement établies»944. Les loges avaient aussi bien un objectif culturel que social. Pourtant, la maçonnerie eut aussi à faire face à un déclin momentané sous le régime britannique. Pour D’Unienville, dans les années 1830, « la maçonnerie a de même considérablement déchu de l’éclat dont elle a brillé un instant. Les seules loges de La Paix et de La Triple-Espérance méritent encore quelques attentions de la part des francs-maçons. Leur existence, indifférente au reste des colons, en est maintenant, peut-être, ignorée»945. Cette période correspond en effet à la perte de vitesse de la maçonnerie anglaise et surtout au début des années de conflits liés à l’abolition de l’esclavage. Pourtant, cela montre aussi que ces loges françaises purent relever le niveau culturel à certains moments dans une colonie britannique et elles firent face au défi de l’érosion culturelle au cours des années suivantes. La Triple Espérance, par exemple, s’était donné comme mission le développement culturel, voire de la mentalité insulaire : « Il semblait même que la loge ne comptait pas seulement sur les arts pour adoucir – voire assainir – les mœurs de la population mauricienne. Le 1er

juin 1842, elle offrit ses locaux pour la fondation d’une Société de Tempérance (…)»946

. La maçonnerie française locale contribua, également, en 1883, à la création d’une Société d’Assistance de l’Ile Maurice qui avait pour objectif de sauvegarder les intérêts des Français et « (…) tant dans la colonie que dans ses dépendances, soit en leur distribuant des secours temporaires, soit en leur facilitant les moyens de trouver un emploi, soit enfin, en contribuant, pour tout ou en partie, aux frais de leur retour en pays français (…)».947

La maçonnerie française de Maurice joua aussi le rôle de précurseur en développant des rencontres culturelles insolites dans le cadre du régime impérialiste britannique et elles furent très bien accueillies. Par exemple, en plein milieu des tensions pour la représentation politique des Français (qui fut longtemps refusée par le gouvernement), un banquet phalanstérien fut donné en 1849 pour célébrer pour la troisième fois l’anniversaire du

944Antoine Marrier d’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 2 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.108.

945 Ibid., p.111-12.

946

R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.45.

947 FM 2 Rés (144). Dossier 1. LTE. Brochure Société d’Assistance de l’Ile Maurice –Statuts [General Steam Printing Company: Port-Louis] 1883. 6pp. p.1.

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philosophe français Charles Fourier. L’auteur du livret retraçant cet événement expliqua que la réunion de 1847 avait réuni 30 convives alors que celui de 1849 en avait réuni 200948. Pour lui, « une progression aussi rapide fait voir avec quelle promptitude la connaissance de la Science Sociale s’est répandue à Maurice »949

. Ce banquet, qui fut placé sous le parrainage de la franc-maçonnerie comme le prouve la coutume des toasts et le discours d’Evenor Dupont aux « Amis et Frères », montra aussi le respect des traditions catholiques. En effet, cette célébration, qui eut lieu à la salle des Pas Perdus de La Triple Espérance950, tomba un samedi saint et elle fut reportée au lundi 9 avril. La loge contribua également à l’élévation culturelle avec les bals donnés et les concerts : en 1847, des maçons jouèrent des musiques maçonniques avec l’orgue de la Salle d’Harmonie de La Triple Espérance951

et, en 1856, la loge hébergea la conférence de David Livingston952 (l’explorateur écossais). De plus, le Dr Brown Sequard donna une leçon sur les principes de la physiologie à la loge en octobre 1854953. Il y eut aussi des innovations littéraires en loge qui permirent aux maçons déracinés de faire l’expérience de la transmission de leur histoire ainsi que la pratique de leurs talents d’orateurs. Descroizilles expliqua que les Livres d’Or de La Triple Espérance « renferm[ai]ent des morceaux d’éloquence (…) dignes de grands maîtres»954. Cette stabilité culturelle maçonnique était recherchée car elle était souvent érodée en société.

Outre la promotion des cultures européennes, la fréquentation des loges apportaient aux maçons l’assurance du niveau social et de la moralité de ceux qu’ils côtoyaient. En effet, un des facteurs qui mena les maçons en loge était que la franc-maçonnerie leur assurait une certaine revendication politique basée sur le niveau social. Au-delà de l’ouverture d’esprit et de l’acceptation des autres, le tableau social ne permettait pas l’inclusion de tous. Dans la colonie, un certain degré de moralité était recherché par les élites, surtout dans une colonie qui était gangrénée par la corruption et marquée par le métissage social. Elle leur donnait la certitude que ceux qui étaient initiés avaient un profil socio-économique proche de la leur et promouvait la rencontre entre des personnes d’un certain niveau social. Les Constitutions d’Anderson, qui imposent une des bases de l’adhésion maçonnique, leur assuraient que leurs frères étaient « des hommes bons et sincères, nés libres, d’âge mûr, et pleins de sagesse, ni

948 « Banquet Phalanstérien de l’île Maurice » [Imprimerie du Mauricien, avril 1849] p.3.

949

Ibid., p.3.

950Ibid., p.3.

951 R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.51.

952 Ibid., p.56.

953

Le Mauricien. 6 octobre 1854. 4pp. p.2.

954 Henry C. Descroizilles, Notes lues au Banquet d’ordre du 23eme jour du 12ème mois de 5863 suivies du discours par le F. Orateur le 10ème jour du 4ème mois 5864 [Imprimerie du Commercial Gazette, 1864] p.14.

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esclaves, ni femmes, ni hommes immoraux ou de scandale, des hommes de bonne réputation ». L’identité collective des maçons de certaines loges mauriciennes était, de ce fait, plus restreinte par ce profil et conférait souvent aux maçons initiés le statut d’élite. Ils se rapprochaient, à un niveau plus intime, de ceux qui leur ressemblaient socialement mais sans avoir à subir le regard de la société dans son ensemble. A la charnière de la création des loges de l’île, la maçonnerie n’était pas uniquement une idéologie humaniste qui rassemblait les expatriés, elle était aussi une affaire politique. Les maçons qui créèrent des loges devaient avant tout se conformer aux critères imposés par les obédiences et cela impliquait d’avoir un certain niveau social et une moralité acceptable. A la création de la Grande Loge de Londres, les objectifs des recrutements, selon Cécile Révauger, étaient l’élévation sociale et la diversité. A l’époque, les nobles et bourgeois côtoyaient les aubergistes car les tenues se faisaient dans cet environnement. Cependant, certains maçons se plaignaient de « recrutement social » qui était « trop populaire »955. Plus tard, avec la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre, les maçons devaient avoir un code moral qui impliquait aussi, dans certains cas, malgré le mélange de certaines couches sociales, une fréquentation sociale souvent élitiste. La description d’Andreas Önnerfors de la vie des maçons victoriens s’applique aux maçons britanniques mais aussi français de la colonie jusqu’à un certain point: « La Franc-maçonnerie était juste un des moyens à travers lesquels la classe moyenne de la période tardive victorienne pouvait affirmer sa respectabilité et son prestige social et d’avoir un sens de la communauté par procuration »956.

A la question, ‘que venaient-ils faire en loge à Maurice ?’, une des réponses serait alors : de rencontrer leurs semblables du même niveau social. Les racines européennes et la filiation maçonnique débouchaient de même sur un certain chauvinisme social et culturel. Ceux qui ne pouvaient pas rejoindre le cercle des élites et des classes moyennes plus hautes étaient certains libres, métis, asiatiques et certains de rares Français de classes inférieures. L’adhésion maçonnique équivalait à être le membre d’un autre cercle restreint au sein de la société. Plus loin, cet état de fait sera détaillé afin de comprendre jusqu’à quel point la recherche de la fraternité était aussi influencée par cette raison plus ‘intéressée’ à l’Isle de France, puis à Maurice et qui peut être rapproché de ce que Timothy Baycroft appelle « une

955 Cécile Révauger, Le fait maçonnique au XVIIIe siècle en Grande Bretagne et aux Etats Unis [Didier Poulard, 1990] p.27.

956 Andreas Önnerfors, Researching British freemasonry 1717-2017 [University of Sheffield, 2010] p.35:

« Freemasonry was just one of many means by which the late Victorian middle class could affirm their

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tribune pratique qui rassemblait les membres des élites »957. Pierre Yves Beaurepaire parle, lui, d’une « coterie d’honnête gens »958

. Par ailleurs, La Triple Espérance « se [flattait] de compter parmi ses Membres des [Loges]… dignes de marcher à la tête des maçons de cet [Orient]»959. Quant à la loge La Concorde, créée à la fin du XIXe siècle, sous l’égide du Suprême Conseil de France, bien qu’elle ne fût jamais installée et devint L’Amitié 245, l’Article 2 de son règlement particulier affichait clairement le profil exigé : « (…) la Loge n’admettra dans son sein que des hommes libres par la pensée et la profession, affranchis de l’esclavage des passions et dégagés du joug des préjugés, aimant la vérité et la recherchant avec droiture»960. Les critères de sélection dépendaient, de ce fait, également des profils que chaque loge choisissait.

CHAPITRE 2. Qui étaient les francs-maçons de

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