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de France à l’Isle de France

CHAPITRE 2. Les bases pérennes pour une

2.3. L’autorité de la Grande Loge Provinciale de Bourbon défiée

Contrairement à ce que certains historiens avancent, La Triple Espérance ne fut pas la première loge de l’Océan Indien. La Parfaite Harmonie fut créée en 1775 (et installée en 1777) et L’Heureuse Réunion (St Paul) fut créée en 1777 à l’île Bourbon. L’extrait du livre d’Architecture de la Parfaite Harmonie de Bourbon, du 6 août de 1778, fait état de l’arrivée à l’Isle de France de Jean Baptiste de Villarnois pour la représenter car La Triple Espérance avait demandé sa Constitution249. Claude Wanquet parle des premiers officiers de La Parfaite Harmonie comme étant « une élite d’administrateurs et de marins » et de l’un des dignitaires, Pierre Riel de Beurnonville (1751-1821), le vénérable de la loge en 1780. Ce dernier fut élu, en 1778, « Grand Maître National des toutes les loges de l’Inde »250 puis ministre d’état251. La loge La Parfaite Harmonie comptait 27 membres en 1785252 et avait une «juridiction sur sa filiale »253, La Triple Espérance, de Port-Louis. Ainsi, comme l’atteste Claude Wanquet, « dans le domaine de la Maçonnerie, Bourbon retrouv[ait] la prééminence qu’elle avait eue à l’origine sur l’Ile de France et qu’elle se plai[gnait] amèrement d’avoir perdue »254

. Alors qu’Edouard Virieux proclamait, au milieu de XIXe

siècle, que la loge La Triple Espérance s’affilia, le 26 février 1860, à la loge L’Amitié de Saint Denis à Bourbon et que depuis cette

248Le Mauricien, « Eric Garnier, dirigeant du Grand Orient de France »: « Les francs-maçons doivent être plus présents sur la scène locale » 16 novembre 2013.

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FM 2 (580). LTE Dossier 1. Correspondance 1778-1785. Parfaite Harmonie. Extrait du livre d’architecture de la R.L. La Parfaite Harmonie, 6ème j du 6ème mois 5778. 2pp.

250 Claude Wanquet, « Les débuts de la franc-maçonnerie à la Réunion ». Etudes et Documents No.14. [Aix-en-Provence : IHPOM] p.33-44.

251 André Combes, Histoire de la franc-maçonnerie au XIXe siècle. Tome 1 [Monaco : Editions du Rocher, 1998] p.23.

252 FM 2 (580). LTE Dossier 1. Tableau de la loge La Parfaire Harmonie du 13ème j du 12ème mois 5784.

253 Claude Wanquet, « Les débuts de la franc-maçonnerie à la Réunion ». Etudes et Documents No.14. [Aix-en-Provence : IHPOM] p.33-44.

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époque « les deux Loges Sœurs [étaient] restées en correspondance fraternelle»255, les

relations avec les loges de Bourbon furent placées sous le signe de la discorde à la fin du

XVIIIe siècle. En effet, La Triple Espérance défia le pouvoir de hiérarchie maçonnique de la

Grande Loge de Bourbon dès les débuts. A la fin du XVIIIe siècle, alors que les loges de Bourbon et de l’Isle de France s’implantaient, Perier de Salvert pensait que Bourbon était apte à devenir une Grande Loge Provinciale et elle fut créée par le Grand Orient de France le 22 avril 1784, «avec effet rétroactif au 9 août 1781 »256. Le siège était Saint Denis car deux de ses trois loges y étaient installées. Comme la Grande Loge Provinciale de Bourbon avait la possibilité de faire des demandes de patentes pour les nouvelles loges mauriciennes, La Triple Espérance se sentit lésée car elle perdait du terrain en tant que loge-mère à l’Isle de France. Ce fut la loge provinciale, par le biais de son vénérable Beurnonville, qui adressa au Grand Orient de France les demandes de certificats pour les officiers de La Triple Espérance, suite aux démêlés avec Ricard de Bignicourt257. Pourtant, une lettre à l’obédience, en date du 4 août 1872, exprima le désir de l’atelier de traiter directement avec le Grand Orient de France sans passer par l’intermédiaire de la Grande Loge de Bourbon258. Cette décision s’explique de plusieurs façons. Tout d’abord, la loge avait des griefs contre Beurnonville qui leur reprocha d’avoir réinstallé la loge irrégulièrement avant 1782 malgré les irrégularités et contradictions avec leurs obligations259. Il leur avait, en effet, demandé de ne pas le faire et de se contenter d’enregistrer leur constitution. Il leur exprima le fait que la Grande Loge Provinciale n’avait pas de comptes à rendre à La Triple Espérance260. Pitois, le vénérable de cette dernière, expliqua dans une lettre en 1785 que son union avec la Grande Loge de Bourbon, qui aurait dû être avantageuse, leur avait au contraire apporté « mille désagréments »261. Pour Pitois, cette dernière n’avait pas respecté ses engagements envers La Triple Espérance. Un peu plus tard dans l’année, l’atelier écrivit à La Parfaite Harmonie de Bourbon pour exprimer sa « douleur que la trace de [leur origine] commune »262 était en train de s’effacer et de s’affaiblir jour après jour. La loge avait espéré que la Grande Loge Provinciale de Bourbon

255 Edouard Virieux, La loge « La Triple Espérance » de 1778 à 1878 [Typography of the Merchants and

Planters Gazette, 1887] p.61.

256 L. Rivaltz Quenette, La franc-maçonnerie à l’île Maurice : 1778-1878 [Roche Bois : High Quality Press Ltd, 2006] p.23.

257

FM 2 (580). LTE. Dossier 1. Tableau des anciens membres pour lesquels la Grande Loge Provinciale de Lisle Bourbon demande des certificats au GODF. Pas de date. 1pp.

258 FM 2 (580). LTE. Dossier 1. Ref 8746. Lettre de LTE au GODF. 4ème jour 6ème mois 5782. 7pp. p. 6.

259

FM 2 (580). LTE. Dossier 1. Copie de la lettre de Beurnonville à Dumolart. Lettre No.14.

260 Ibid.,

261 FM 2 (580). LTE Dossier 1. Lettre de Pitois au GODF. 13ème jour 3ème mois 5785. 10 pp. p.2.

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oublierait les « querelles puériles » et qu’elle verrait la loge mauricienne d’un « bon œil » 263. Elles prirent une certaine distance l’une de l’autre et La Triple Espérance travailla sous cette obédience provinciale jusqu’au 21 juin 1783264

. A cette date, la loge fut installée par son vénérable, Dumolart265, et reçut de De la Butte Frémont ses constitutions définitives, datées du 20 avril 1780 et signées par le Grand Maître du Grand Orient de France, le duc de Montmorency-Luxembourg, l’autorisant à prendre rang à compter du 25 décembre 1778266 parmi les loges de l’obédience. En 1786, la Grande Loge de Bourbon écrivit un Précis contenant le rapport des conclusions de l’orateur sur la retraite de la loge-mère de l’Isle de France267. Ce choix démontre une certaine rivalité avec les loges de l’Ile Bourbon qui aidaient et installaient les loges mauriciennes sous la juridiction de la Grande Loge de Bourbon, au lieu de faire appel à La Triple Espérance. Pourtant, La Triple Espérance continua à avoir des relations amicales avec les loges réunionnaises malgré ses réticences envers la Grande Loge Provinciale. Cette dernière fut, par ailleurs, l’autorité que le Grand Orient de France mandata pour faire des rapports sur les loges des deux îles en cas de médiation. Par exemple, une inspection fut faite à Saint Denis, la capitale de Bourbon, sur des loges bourbonnaises et sur La Triple Espérance par Des Étangs en 1819268.

Les diverses circonstances que traversèrent les loges françaises de Maurice furent autant de paliers qui les menèrent vers un désir d’autonomie de certaines parties de leur administration. La maçonnerie française du Grand Orient de France souhaitait, par exemple,

une gestion plus efficace de ses loges de perfection269, dont La Triple Espérance fut la

pionnière dans la colonie. En effet, la loge, dès sa création, commença les procédures pour

installer ses loges de perfection selon le Rite Ecossais Ancien et Accepté270. Dans le sillage de la mise en place de la première loge de la colonie française, Perier de Salvert avait fait le tri, le 28 octobre 1778, et il proposa « de régul[ariser] les F[rères] qui possed[aient] illégitimement les hauts grades et de conférer à l’avenir ces grades de trois en trois mois aux

263 FM 2 (580). LTE Dossier 1. Lettre de LTE à La Parfaite Harmonie. 3ème jour 8ème mois 5785. 5pp. p.1.

264Henry C. Descroizilles. Notes lues au Banquet d’ordre du 23eme jour du 12ème mois de 5863 suivies du discours par le F. Orateur le 10ème jour du 4ème mois 5864 [Imprimerie du Commercial Gazette, 1864] p.5.

265 FM 2 (580). LTE Dossier 1. Discours de Dumolart lors de l’installation de la LTE le 21 juin 1783. 2pp. p.2.

266Henry C. Descroizilles. Notes lues au Banquet d’ordre du 23eme jour du 12ème mois de 5863 suivies du discours par le F. Orateur le 10ème jour du 4ème mois 5864 [Imprimerie du Commercial Gazette, 1864] p.5.

267 FM 2 (580). LTE Dossier 1 bis. Extrait des archives de la G.L. de Bourbon. 2 mai 1786. 59pp. p. 35.

268 FM 2 (581). LTE. Dossier 3. Correspondance 1813-1848. Ref 2622. Livret avec tous les règlements de la loge manuscrit.

269 Loge de perfection : Voir lexique en annexe.

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F[rères] qui les auraient mérités»271. En août 1788, la loge fit la demande de lettres

capitulaires au Grand Orient de France pour créer son Chapitre272 (correspondant aux grades de 15ème à 18ème degrés). Elle avait en effet déjà une Chambre Symbolique depuis 1787, selon le Livre d’Architecture des travaux du 17 août 1787273

, et la lettre de Focard, qui y fut jointe, fit référence au « démembrement »274 du Suprême Chapitre de Bourbon. Le Chapitre de La Triple Espérance fut dynamique dans la deuxième moitié du XIXe siècle et l’atelier comptait, en 1861, 26 membres et, en 1866, 36 membres275. Outre La Triple Espérance, la loge des Vingt-Un et celle des Quinze Artistes étaient dotées d’un Chapitre Rose-Croix (18ème degré). La loge des Vingt-Un, même si elle ne survécut pas, remercia, le 2 avril 1789, le Grand Orient de France pour sa confiance et le bref du Chapitre du 8 décembre 1786276, qui prit rang après celui de la loge La Parfaite Harmonie277 de Bourbon. En 1789, le Chapitre comptait 19 membres278 et en 1790, 36 membres279. Le 8 janvier 1792, la loge des Vingt-Un

adressa une planche officielle aux membres de La Triple Espérance pour leur demander

d’intercéder auprès du Grand Orient de France pour obtenir une Chambre de hauts grades pour les Quinze Artistes mais elle essuya un refus. Comme la loge des Vingt-Un avait installé la loge des Quinze Artistes, La Triple Espérance sentait qu’elle avait « perdu son soin de maternité »280 et elle ne pouvait pas parrainer cet atelier des hauts grades. Les rivalités entre les loges françaises furent nombreuses à cette époque. La loge Quinze Artistes eut finalement son Chapitre, qui avait 12 membres, en 1793281. Quand la loge des Vingt-Un fut effacée, le Chapitre de La Paix, installé le 29 avril 1807282, prit le relais mais eut aussi à faire face à des conflits et à des problèmes de gestion tout au long du XIXe siècle (comme en juin 1877, sur des problèmes de capitations et de délais de paiements qui avaient mené à des radiations283). Les Chapitres de La Paix et de La Triple Espérance furent en constante rivalité et ils eurent à

271 E.Vigoureux de Kermorvant, Notes pour servir à l’histoire de la franc-maçonnerie et particulièrement la R.L.

La Triple Espérance [Port-Louis : Typographie du Commercial Gazette, 1877] p.8.

272 FM 2 (581). Dossier LTE Chapitre. Correspondance 1787-1845. Ref. 14839. Lettre du 1er j 6ème m 5788.

273 FM 2 (581). Dossier LTE Chapitre. Correspondance 1787-1845. Extrait du livre d'architecture de la chambre symbolique de LTE 17ème j 6ème m 5787. 4pp.

274 Ibid., p.3

275 FM 2 (857). Dossier Chapitre LTE. Correspondance 1851-75.

276 FM 2 (582). Chapitre 21. 1786-1790. Lettre du 22j 2m 5789 au GODF. 6pp. p.2.

277

FM 2 (582). Chapitre 21. 1786-1790.

278 FM 2 (582). Chapitre. Loge des 21. Tableau du 22ème j 2ème m 5789.

279 FM 2 (582). Chapitre. Loge des 21.Tableau 14ème j1er m 5790.

280 FM 2 (580). Dossier 1. 15 Artistes. Chapitre. Correspondance 1791-1802 et 1837. Extrait du livre d’Architecture. Pour constater es travaux. No.8. 8ème jour 12ème mois 5791. 4pp. p.3.

281

FM 2 (580). Dossier 1. 15 Artistes. Chapitre. Tableau du 1er jour 3ème mois 5793 des hauts gradés des 15 Artistes.

282 FM 2 (579). Dossier La Paix Chapitre. Correspondance 1804-1839. Installation du Chapitre. Le 29eme jour 2eme mois 5807.

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relever les défis des contestations qui furent fréquentes du fait que les transfuges d’une loge à une autre n’étaient pas toujours en règle.

Suite à ces multiples créations de loges de perfection, le processus de régularisation

auprès du Grand Orient commença pour d’autres ateliers. Au début du XIXe siècle, beaucoup

de membres de La Triple Espérance avaient accédé aux grades de 30ème et 32ème degrés mais,

dans les années 1830, les constitutions demandées pour un Conseil de 30ème degré et un

Grand Consistoire de 32ème degré de La Triple Espérance tardèrent. Une des sources de tensions liées à la gestion des hauts grades fut que le Grand Orient avait aussi accordé aux autres loges mauriciennes des patentes alors que La Triple Espérance attendait toujours ses constitutions pour le Conseil et le Consistoire. Cependant, en apprenant que le Grand Orient de France avait accordé les constitutions aux autres loges, les maçons de La Triple Espérance furent pris de « désenchantement »284 car ils considéraient que la colonie ne devait pas avoir plus d’ateliers de hauts grades. Selon les Articles 313 et 314 des Statuts Généraux, il ne devrait y avoir « (…) qu’un at[elier] de 32e par population de 350 à 400,000 âmes - et [leur] Colonie n’en comptait pas beaucoup plus de 100,000»285. D’un autre côté les pouvoirs accordés à Vigier Latour, Grand Inspecteur Général 33° (et dernier degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté) pour établir des Consistoires de 32°, ne l’autorisaient « à en installer que dans les États et Empires où il n’exist[ait] régulièrement aucun desdits corps maçonniques»286. En fait, la loge La Paix avait fait une demande au Grand Orient pour un Conseil de Chevalier Kadosch (30°) et un Consistoire de Prince du Royal Secret (32°) en 1832287 et elle avait déjà nommé un député spécial, Arthur Rondeaux, à cet effet.288 Le Conseil et Consistoire de La Triple Espérance furent finalement installés, une décennie plus tard, en 1842. Son député, Jobert, exprima les frustrations car les pièces, rédigées en 1837 et annotées le 3 janvier 1842, avaient dû parvenir au Grand Orient et il commenta : « Bien que cet O[rient] soit éloigné de France, je ne pense pas, pourtant, qu’il faille une espace de temps aussi considérable pour correspondre avec l’île Maurice»289

. La frustration et le besoin de reconnaissance des ateliers bleus se ressentaient également dans les ateliers de hauts grades et

284 FM 2 (581). Conseil et Consistoire LTE. 1822-1841. Lettre de LTE au secrétaire de GODF. 19ème j 5ème m 5837.4pp. p.3.

285 FM 2 (581). Conseil et Consistoire LTE. 1822-1841. Lettre de LTE au secrétaire de GODF. 19ème j 5ème m 5837.4pp. p.2.

286 Ibid.. p.2.

287 FM 2 (579). Dossier La Paix Consistoire. 1832-1838. Lettre de La Paix au GODF. 25 janvier 1832. 3pp.

288 FM 2 (579). Dossier La Paix Consistoire. 1832-1838. Lettre à Arthur Rondeaux. 28 janvier 1832. 3pp.

289 FM 2 (581). Dossier Conseil et Consistoire LTE. 1822-1841. Rapport de Jobert, chargé par la Chambre du

GODF à Paris, l'installation du Conseil et du Consistoire de LTE, fait à Paris. Ref 29902. Le 13 février 1842. 4

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furent exprimés dans le rapport de Jobert : « J’aurais voulu et j’espérais trouver une relation noble et belle de ce qui venait d’avoir lieu lors de la fondation de deux atel[iers] sup[érieurs] appelés à jouer un rôle imposant sur une terre maç[onnique] séparée de la métropole par l’immensité des mers»290

. Les maçons pensaient, en effet, que la loge-mère devait être la seule garante de la gestion des hauts grades et méritait un privilège face aux loges françaises rivales, elle, qui avait même fait des « prosélytes chez les Indiens barbares »291. Jobert demanda qu’une commission fût nommée par l’obédience pour répondre aux sollicitations de la loge. Il fut chargé de faire un rapport en février 1842 des deux ateliers symboliques à Paris. Les ateliers de perfection ne furent officiellement installés que 3 ans plus tard (Vigier Latour les avait provisoirement installés). Ces ateliers de hauts grades représentaient un prestige pour la maçonnerie française et la concrétisation de plusieurs années de démarches administratives. De plus, entretemps, des maçons britanniques se trouvaient dans la colonie depuis 1810 et ils représentaient de potentiels affiliés de hauts grades. La maçonnerie française s’apprêtait, en effet, à devenir une maçonnerie cosmopolite avec le début de la colonisation britannique.

CHAPITRE 3. L’avènement de la colonisation

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