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de France à l’Isle de France

CHAPITRE 3. L’avènement de la colonisation britannique : la franc-maçonnerie française britannique : la franc-maçonnerie française

3.1. Les liens maçonniques franco-britanniques avant 1810

La franc-maçonnerie, en tant que soupape à des moments-clés de tensions, était déjà un outil qui avait fait ses preuves lors de certaines guerres qui sévissaient à travers le monde depuis le XVIIIe siècle. Dans l’île Maurice des années de transition, elle joua aussi son rôle d’intermédiaire entre les colonisateurs et les colonisés. Les relations maçonniques purent défier certaines rivalités nationales en procurant un espace de partage hors de la société civile. Les premiers liens maçonniques entre les Français et les Britanniques dans la colonie furent d’autant plus facilités car ils avaient déjà commencé à être tissés avant même l’arrivée du nouveau gouvernement. En effet, les deux camps pouvaient s’appuyer sur des précédents qui avaient déjà fonctionné auparavant : les liens avec les maçons d’autres pays du bassin de l’Océan Indien et la fraternité franco-britannique pendant les guerres napoléoniennes. Les exemples de la concrétisation de la fraternité antérieure à la colonisation britannique à Maurice étaient courants à cette période dans la région. Tout comme en Inde, où les loges anglaises avaient des liens avec les loges françaises de Pondichéry et avec les loges hollandaises au Bengale297, les maçons des loges françaises mauriciennes entretenaient une correspondance avec leurs homologues étrangers des pays de l’Océan Indien, d’Afrique du Sud et de l’Inde, avant la prise de l’île. Par exemple, à la fin du XVIIIe siècle, les membres de la loge La Triple Espérance commencèrent à correspondre avec les maçons de la loge anglaise Perfect Unanimity à Madras, « désireux de resserrer de plus en plus les liens (…) »298 qui les unissaient, et ils leur assurèrent qu’ils les accueilleraient s’ils visitaient la colonie qui

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Jessica Harland-Jacobs, Builders of Empire: Freemasons and British Imperialism, 1717-1927 [Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 2007] p.85.

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était alors française299. De plus, comme le raconte George Odo, lors de l’inauguration de La Triple Espérance, en juin 1802300, au cours de la trêve, des maçons étrangers étaient présents « dans un esprit de large concorde »301. Grégoire Cécile, lui, explique que cette «splendide» cérémonie «(…) était rehaussée par la présence de nombreux [frères] des Loges mauriciennes, des Loges d’Europe, des Indes et du Cap de Bonne-Espérance (…)»302

. La loge La Triple Espérance, pionnière de la colonie, parraina même, en 1803, la loge Les Amis Réunis à Chandernagor en Inde303.

Outre ces liens fraternels, les exemples de la protection de maçons britanniques par les maçons français des loges mauriciennes du Grand Orient de France furent nombreux au cœur de la rivalité franco-britannique pour la conquête des Iles des Mascareignes. Les témoignages de maçons qui tendirent la main aux Britanniques, au nom de leur qualité maçonnique, soulignent la prévalence de la fraternité au-dessus des rivalités nationales. Une anecdote d’un officier de la navale racontée dans le Freemasons Quarterly Magazine de septembre 1835, illustre l’ampleur de cette fraternité maçonnique ainsi que la capacité de faire recouvrer la liberté à des prisonniers304. Cet officier raconta qu’il fut fait prisonnier de guerre avec d’autres Anglais et fut enfermé dans un donjon à Maurice. Après quelques mois de conditions misérables, un de ses compagnons de cellule exposa, dans une lettre au gouverneur, les circonstances de leur détention. Le lendemain, quelques gentilshommes français visitèrent leur cellule et prêtèrent une attention particulière à l’auteur de la lettre. Suite à cette visite, ce dernier expliqua que, comme il ne connaissait pas le secret de ce prisonnier, qui était en réalité un franc-maçon305, il fut surpris par les « mystérieux changements »306 de leurs conditions de captivité à tous. Le maçon reçut la faveur d’être libéré et rentra chez lui par bateau alors que les autres restèrent en prison pendant encore deux ans. Bien que l’auteur dise

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Jessica Harland-Jacobs, Builders of Empire: Freemasons and British Imperialism, 1717-1927 [Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 2007] p.86.

300 Grégoire Cécile, « Notes Historiques Sur La Franc-maçonnerie A L’île Maurice, Et en Particulier Sur La

Loge La Triple Esperance, Or. De Port-Louis ». 27 septembre 1934. 3pp. p.2.

301

George Odo, La Franc-maçonnerie dans les colonies françaises. 1738-1960 [Editions Maçonniques de France, 2001] p. 40.

302 Grégoire Cécile, « Notes Historiques Sur La Franc-maçonnerie A L’île Maurice, Et en Particulier Sur La

Loge La Triple Esperance, Or. De Port-Louis ». 27 Septembre 1934. 3pp. p.2.

303 Edouard Virieux, La loge « La Triple Espérance » de 1778 à 1878 [Typography of the Merchants and

Planters Gazette, 1887] p.21.

304 Freemasons Quarterly Magazine. « Review » septembre 1835. p.47: « of breaking asunder the iron bands of

the prisoner, and cheering his sight with the blaze of moon-tide sun; of exchanging the cell of his loathsome dungeon for the possession of liberty (…) ».

305

Ibid., p.47: « This man was a Freemason».

306Ibid., p.47: « (…) what most surprised us all, and me especially, for I was not then in the Secret, was the

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que ce ‘conte’ ne fut jamais vérifié, il illustre un aspect de ce que pouvaient vivre les belligérants pendant la conquête de l’Inde et des îles de l’Océan Indien.

D’autres témoignages apportent une lecture assez précise de la solidarité maçonnique qui existait. Edouard Virieux de la loge La Triple Espérance parla d’un cas signalé en loge par Chasteau, en 1803, qui «crut de son devoir de se rendre près des Autorités pour obtenir la mise en liberté d’un prisonnier de guerre Anglais (sic) qui s’était fait connaître à lui comme Maçon, et qu’il eut le bonheur de réussir dans ses démarches»307

. Jacques Nicolas de Foisy, de la même loge, parla d’un « fait analogue » qui se passa sous son vénéralat (en 1805-1806) : celui du frère Middleton qui « était un prisonnier de guerre détenu à la Grande Rivière »308. La Triple Espérance chargea Chasteau d’adresser une supplique au Capitaine Général et Middleton pût rejoindre sa famille en Inde « grâce à la sollicitude de ses [frères]»309. Plus tard, lors des batailles qui menèrent à la prise de l’île, ces liens purent aussi désamorcer certaines tensions. En effet, selon les archives de La Triple Espérance, « (…) alors que français (sic) et anglais (sic) se battaient autour de l’Isle de France, un fort courant de fraternité maçonnique atténuait les rivalités310. De plus, Matthew Flinders (1774-1814), le navigateur, explorateur et cartographe anglais, fut fait prisonnier à Maurice par les Français, suite au naufrage de son bateau alors qu’il regagnait l’Angleterre. Il fut même initié à la loge Les Amis Cultivateurs pendant sa détention. Dans son journal, il nota qu’il célébra la St Jean de 1807 à 1809 à la loge311.

Le terreau propice à de nouveaux liens maçonniques entre les deux peuples n’était cependant pas une garantie de cohésion après la conquête anglaise. Le contexte de guerre qu’ils avaient vécu pendant plusieurs années n’était pas la seule entrave. En effet, au-delà de cette fraternité cultivée à travers le monde au cours des voyages, des visites de loges et de regroupements exceptionnels de francs-maçons, les Britanniques n’étaient plus des étrangers ou des visiteurs occasionnels de la colonie dès 1810. Ils étaient les ennemis d’hier devenus les vainqueurs. Les deux camps avaient mené de longues batailles et la rivalité était prégnante. Des maçons étaient également présents dans les rangs des soldats des deux armées et certains avaient été des héros de guerre. Dans le registre des marins qui s’étaient battus contre les Britanniques dans l’Océan Indien, il y avait Robert Surcouf (1773-1827) connu comme « le

307 Edouard Virieux, La loge « La Triple Espérance » de 1778 à 1878 [Typography of the Merchants and

Planters Gazette, 1887] p.22.

308 Ibid., p.22.

309 Ibid., p.22.

310

R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.42.

311Freemasonry Today. «Captain Matthew Flinders: The Freemason who gave Australia its name» 4 septembre

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roi des Corsaires»312. Il fut initié à La Triple Espérance en 1796313 par le vénérable Lapotaire de Long Fossés. Surcouf avait choisi l’Isle de France comme port d’attache puisque sa capitale était considérée par les Britanniques comme un « nid de corsaires »314. En sus du fait que les maçons français et britanniques étaient des acteurs de ces guerres, les nouvelles des batailles arrivaient aux maçons métropolitains et amplifiaient une certaine méfiance. Le Freemasons Magazine, par exemple, donnait des nouvelles des batailles qui avaient lieu dans l’Océan Indien à la fin du XVIIIe

siècle. En avril 1797, la lettre du Capitaine Spranger fut publiée et alimenta la société anglaise et les maçons anglais des nouvelles des bateaux de Sa Majesté qui avaient mené des troupes à Madagascar pour détruire les dépôts d’armes et de munitions français. Ces dépôts étant stratégiques à l’Isle de France, il ajouta que leur destruction représenterait une «grande détresse »315 pour l’ennemi (l’Isle de France) car sa principale source d’approvisionnement de vivres était Madagascar. Ces informations montrent que les maçons anglais étaient impliqués et/ou lisaient déjà les avancées de leurs armées avant d’arriver à Maurice et que la situation fut délicate quand ils durent entamer un processus de pacification après la prise de l’île avec leurs ennemis de jadis. Jessica Harland-Jacobs raconta que le Commandant en chef, le Brigadier General Matthew Horne, qui devint le Grand Maître Provincial de la Loge des Anciens en 1785, fut fait prisonnier à l’Isle de France316. Dans l’autre camp, beaucoup de Français furent troublés par le siège des troupes anglaises depuis plusieurs mois autour de l’île. Pourtant, la maçonnerie releva ce défi et certains liens allaient se nouer, dès 1811, malgré les hostilités d’une partie de la population locale et le contexte tendu.

312 Le Mauricien. Yvan Martial, « La Triple Espérance de vie de la doyenne de nos Loges maçonniques » 1er décembre 2013.

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R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.24.

314 Le Mauricien. Yvan Martial, « La Triple Espérance de vie de la doyenne de nos Loges maçonniques » 1er décembre 2013.

315

The Freemasons Magazine. Monthly Chronicle. avril 1797. p.62: «the destruction of which must greatly

distress the enemy, as the island of Mauritius draws its principal supplies of provisions from this settlement ».

316 Jessica Harland-Jacobs, Builders of Empire: Freemasons and British Imperialism, 1717-1927 [Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 2007] p.47.

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3.2. Les relations franco-britanniques des premières années de la

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