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La franc-maçonnerie anglaise au cœur des tensions de la vie coloniale et vingt années de latence coloniale et vingt années de latence

développement de ses loges

4.2. La franc-maçonnerie anglaise au cœur des tensions de la vie coloniale et vingt années de latence coloniale et vingt années de latence

Néanmoins, hors des loges et des cérémonies placées sous le symbole de la maçonnerie, la trêve voulue par le gouverneur commença à fléchir après des débuts prometteurs de pacification. En effet, malgré les liens diplomatiques, sociaux et maçonniques qui se tissaient, les Britanniques ne se contentèrent pas, a contrario, d’être les législateurs d’une île française indocile et souvent hermétique aux changements. Alors qu’au début de la colonisation, les tentatives d’angliciser la population se firent avec parcimonie et que le gouverneur Farquhar fit de son mieux pour que la population ne se sentît pas lésée en maintenant certaines institutions de l’ancien régime, dans la pratique il y avait quand même des poches de contestation qui étaient pénibles à gérer, comme la question politique. En effet, malgré les largesses de Farquhar envers certains habitants, des Franciliens espéraient encore qu’une victoire de Napoléon les ramenerait dans le giron français. Leurs espoirs furent balayés quand ce dernier abdiqua en avril 1814. De plus, un des sujets litigieux sous l’administration britannique fut sans conteste l’abolition définitive de la traite des esclaves qui se profilait et elle fut votée en Grande Bretagne en 1807. Pourtant, la traite était tolérée à Maurice, étant donné que le gouverneur «préféra agir par persuasion»427 au lieu d’appliquer la loi à la lettre. Farquhar écrivit au Bureau des colonies en 1811 pour justifier la nécessité de cette population servile pour les planteurs locaux.

En septembre 1815, Londres imposa un « Registry of Slaves » (un Bureau des Esclaves) et Farquhar dut s’y plier428, ce qui souleva des conflits menant à une «haine»429 des Français envers le pouvoir ainsi qu’à des actes d’insubordination car ils étaient « (…) avides de main-d’œuvre servile pour assurer le développement d’une industrie sucrière revigorée»430. Alors que certains Français affichaient leur réticence à perdre leurs liens avec la France et

426 Robert Furlong, « Et pendant ce temps en littérature… » dans Serge Rivière, Kumari Issur, Baudin-Flinders

dans l’Océan Indien [L’Harmattan, 2006] p.116.

427

Jean Claude de L’estrac, Mauriciens. Enfants de mille combats. La période anglaise [Editions Le Printemps, 2007] p.25.

428 Jean Claude de L’estrac, Mauriciens. Enfants de mille combats. La période anglaise [Editions Le Printemps, 2007] p.26.

429 Ibid. Dans l’avant-propos.

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nourrissaient encore des espoirs, dès 1817, ils durent faire face à la réalité. La Chambre des Députés en France leur répondit que, selon l’article 8 du Traité de Paris, l’île avait été rétrocédée à l’Angleterre et que les questions législatives (ici sur la Traite des esclaves) ne pouvaient plus être confiées à la France. L’article 8 de la Capitulation devenait, de ce fait, caduc et, même si les lois en vigueur dans l’île restaient françaises de tradition, les Britanniques pouvaient y apporter des changements. La loi du 21 septembre 1815 entraîna la fermeture du port de commerce étranger et mit fin au libre-échange431, toléré jusqu’alors. La colonie étant privée « de tous les avantages qu’elle [devait] à sa position géographique»432, certains commerçants et propriétaires terriens envisagèrent de partir avec leurs capitaux car « ils étaient menacés par la dépréciation prévue des produits de leurs travaux »433. Cette situation fut vécue comme « un mal plus grand » que l’abolition de la Traite. La création de la Lodge Faith and Loyalty se fit donc au cœur de ces frustrations et conflits au sein de la population locale.

Quand le gouverneur Farquhar s’absenta de la colonie de 1817 à 1820, il fut remplacé par trois gouverneurs par intérim. Son remplaçant à la tête de la colonie de 1817 à 1818, le Major Général Gage John Hall, ne fut pas aussi tolérant et convivial envers la population. Il supprima certains postes : dans le camp des Britanniques, celui de George Smith en tant que président de la Cour Suprême434 et chez les Français, celui de Virieux en tant que procureur général435 (les deux étaient francs-maçons). Les réformes du gouverneur par intérim menèrent à des plaintes des habitants qui étaient persuadés que ses actions furent menées contre les non-britanniques436. Hall critiqua de même, plus tard, le fait que Farquhar avait toléré la traite négrière et qualifia son action de « honte pour l’administration »437. Suite à ces plaintes contre l’administration par intérim de Hall, le ministère en Angleterre prit « (…) des mesures pour faire cesser un état de choses qui paraissait diamétralement opposé au système de bienveillance qu’il avait adopté à l’égard de cette colonie »438

. La gouvernance de Hall

431

Sydney Selvon, A comprehensive history of Mauritius from its beginnings to 2001 [M.P Specialists Ltd, 2001] p.181.

432 Antoine Marrier D’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 3 [Paris: Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.37.

433

Ibid., p.38.

434 Antoine Marrier D’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 3 [Paris: Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p 67.

435

Ibid., p 68.

436 Ibid., p.65.

437

Jean Claude de L’estrac, Mauriciens. Enfants de mille combats. La période anglaise [Editions Le Printemps, 2007] p.25.

438 Antoine Marrier D’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 3 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.67.

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différait tellement de celle de Farquhar que «(…) ses actions (…) avaient rompu les liens qui s’étaient formés entre les colons et les Anglais; et ce ne fut pas sans peine et sans soin que sir R. Farquhar, pendant les trois années de sa seconde administration, était parvenu à ramener les esprits »439. Alors que le remplaçant de Farquhar, le Colonel Dalrymple (qui ne fut en poste que quelques mois) ne créa pas d’hostilité et qu’il restaura le Conseil des Communes abrogé par Hall, le troisième remplaçant, de 1819 à 1820, fut très strict et son intransigeance envers la traite des esclaves lui apporta les sentiments belliqueux des propriétaires terriens440. Les deux décennies qui suivirent la création de la Lodge Faith and Loyalty marquèrent non seulement l’abolition de la Traite à Maurice en 1817 mais entraîna aussi la colonie au cœur des revendications politiques des Français et de certains gens de couleur, frustrés par leur manque de pouvoir politique au sein du durcissement de l’anglicisation des institutions, et par les débats sur l’abolition de l’esclavage. Ils étaient contrariés, entre autres, par les conséquences qu’aurait l’abolition de l’esclavage et par leur incapacité à relever leur Eglise catholique coloniale chancelante (malgré l’article 8 du Traité de Capitulation qui maintenait leur religion) face à l’arrivée des missionnaires protestants. Le gouverneur Farquhar, qui était à la tête de l’exécutif et du législatif, dut puiser dans ses réserves de diplomatie pour être un médiateur entre les intérêts de la Grande Bretagne et ceux des anciens colons qui se considéraient comme ayant des droits légitimes dans les affaires de l’état. Il devait simultanément encourager les colons français, qui nourrissaient souvent un sentiment antibritannique, à adhérer à la politique coloniale, tout en les encourageant à participer à l’administration anglaise441. Pourtant, le mot d’ordre au niveau de Londres était de les maintenir à une distance raisonnable afin d’éviter une ingérence dans les affaires internes. La création d’un Conseil des Communes le 8 septembre 1817442

, abrogé par Hall puis réinstauré, ne fut qu’une tentative pour calmer les ardeurs politiques. Il regroupait douze membres britanniques et français443 mais ces derniers n’avaient pas de réels pouvoirs décisionnels, ce qui mena à sa suppression le 29 janvier 1821444.

Dans ce contexte tendu, le rôle de la franc-maçonnerie fut décisif pour afficher une cohésion sociale et culturelle. Les tenues interobédientielles se perpétuaient lors des

439 Antoine Marrier D’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances V 1 (1838). [USA: Kessinger Publishing, 1838] p.274.

440Dayananchand Napal, British Mauritius 1818-1948 [Vacoas: Le Printemps, 1994] p.6.

441

Veejaya Teelock, Mauritian History. From its beginning to modern times [Moka: MGI, 2001] p.170.

442 Antoine Chelin, Une île et son passé [Mauritius Printing Cy. Ltd, 1973] p.135.

443 Dulari Prithipaul, A comparative analysis of French and British colonial policies in Mauritius. (1735-1889) [Port-Louis: Imprimerie Idéale, 1976] p.82.

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installations annuelles de loges avant et après la création de la Lodge Faith and Loyalty en 1816. Ces liens étaient facilités par le fait que certains maçons étaient affiliés à plusieurs loges des deux obédiences et, comme le souligna le livret souvenir du bicentenaire de La Triple Espérance, ce rapprochement « se faisait dans l’esprit même de la Constitution andersonienne qui recommande aux francs-maçons un œcuménisme vrai s’inspirant avant tout de la plus franche sincérité »445. Les inaugurations, par exemple, donnèrent aussi à Farquhar des occasions de s’afficher avec d’autres maçons et des dignitaires coloniaux en public. Lors de l’inauguration de la New Royal Exchange en 1817, Farquhar défila en tête en tant que Grand Maître Provincial446 et posa la première pierre selon les rites maçonniques. Il invoqua le Grand Architecte de l’Univers « (…) pour permettre au bâtiment de devenir une réalité et en symbole de prospérité, il enterra une sélection des dernières pièces frappées dans une pierre spécialement préparée»447. Les surveillants lui offrirent la corne d’abondance, le vin et l’huile qu’il versa sur la pierre. Le discours de Farquhar448

fut suivi par les trois « cheers » (santés) et par l’hymne maçonnique. Cette inauguration, placée sous le parrainage de la maçonnerie, donna l’image prégnante des maçons réunis sous la bannière de la fraternité mais aussi sous les drapeaux des nations participantes, qui flottaient côte à côte.

Farquhar réitéra cet événement le 29 septembre 1820449 avec la pose de la première pierre du théâtre de Port-Louis. Bien que ces moments de cohabitation réussie ne fussent qu’isolés, ils apportaient des paliers de répit au cœur de l’escalade des revendications. Raymond Baillache analysa le personnage de Farquhar comme un gouverneur qui était magnanime envers les habitants et qui faisait même preuve de sentiments de fraternité. Selon lui, les décisions prises sous les auspices de la maçonnerie eurent pour conséquence, au cours des 150 années qui suivirent, la transformation d’une île française en «une des plus loyales possessions britanniques » de l’hémisphère sud450. La franc-maçonnerie se dota de

445

R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.64.

446 Michael Allan, Mary Allan, The Man and the island. Sir Robert Townsend Farquhar Bt. First British

Governor of Mauritius. 1810-1823 [Cambridge: Victoire Press Ltd, 2010] p.68: « in his capacity of Governor and Provincial grand Master».

447

Ibid., p.68-69: « He called on the Grand Architect of the Universe to enable the building to become a reality

and as a token of its hope for prosperity, buried a selection of all the latest coinage within a specially prepared stone.” Asiatic Magazine Vol.6.

448 Ibid., p.69 : « (…) called on the Grand Architect of the Universe to enable the building to become a reality

and as a token of its hope for prosperity, buried a selection of all the latest coinage within a specially prepared stone. The Grand Wardens then delivered the Grand Master the Cornucopia, the wine and the oil, which he used to pour over the stone».

449 Antoine Marrier D’Unienville, Statistique de l’Ile Maurice et ses dépendances. Volume 3 [Paris : Gustave Barba, 1838. Republié par Kessinger Legacy Reprints] p.88.

450 Raymond L. Baillache, Lodge Friendship No.439 [Port-Louis: The Mauritius Printing Cy.Ltd, 1972] p.3: «(…) and that momentous decision, made under the auspices of Freemasonry had the effect, in the following 150

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mécanismes pour réunir, même en période de tensions, les différents groupes de la population, principalement les élites. Les Français et les Britanniques eurent la capacité de mettre en avant leur appartenance maçonnique, ce qui permit de maintenir un certain statu quo en loge au cœur des frustrations et conflits qui animaient la société civile locale. Pour Jessica Harland-Jacobs, la fraternité maçonnique était composée « d’hommes de nations variées, professant différents rites de foi, et rattachés à des systèmes de gouvernement opposés »451 et qui arrivaient à éviter les querelles sur la religion et la politique en loge. Après le départ de Farquhar en 1823, les gouverneurs anglais qui lui succédèrent essuyèrent les revers de la fin de la pacification des premières années, qui avait abouti à une certaine tolérance et, même, à un certain laxisme. Londres, par ailleurs, reprocha cet état de fait à Farquhar.

En sus de l’abolition imminente de l’esclavage qui se profilait, les habitants commençaient à se sentir lésés face à l’anglicisation de la colonie, qui s’était accélérée dans les années 1820. La Eastern Enquiry Commission pour les colonies du Cap, de Ceylan et de Maurice, qui arriva à Maurice en 1826, fit des recommandations afin d’angliciser la colonie et provoqua l’antagonisme des habitants qui avaient été calmés, dans une certaine mesure, par Robert Farquhar. Le statut de la langue française fut un sujet délicat au cours de cette période. Il y eut des tentatives faites pour que la langue anglaise remplaçât le français dans l’administration et au tribunal mais elles n’étaient pas viables car cette loi aurait généré une plus forte rebellion des Français qui avaient un pouvoir économique certain. La langue française ne fut donc pas bannie en société. L’administration britannique tenta de ne pas perdre pied face à la population civile qui était française de souche et de cœur. Dans le but d’apaiser les hostilités, le gouvernement Sir Lowry Cole (1823-1828) autorisa un autre corps politique, ayant une lointaine physionomie démocratique, sous la forme d’un Conseil du Gouvernement créé le 12 août 1825452. Dans les faits, le Conseil était constitué du gouverneur comme président et de quatre hauts fonctionnaires anglais453 qui furent nommés pour le conseiller et l’assister. Ce comité n’assouvit les ambitions qui portaient des Français envers une réelle participation à l’appareil administratif du pays. Face à ces frustrations, la question de l’abrogation des clauses du Traité de Capitulation furent régulièrement posée par les Français « à chaque fois que le Pouvoir britannique bousculait quelque peu leurs

451Jessica Harland-Jacobs, «Global brotherhood: Freemasonry, Empires and Globalization» Special Issue UCLA [Grand Lodge of California: REHMLAC, 2013] p. 81. Les franc-maçons expliquèrent au Roi George dans les années 1790: « Their brotherhood was composed « of men of various nations, professing different rites

of faith, and attached to opposite systems of government (…) ».

452

Antoine Chelin, Une île et son passé [Mauritius Printing Cy. Ltd, 1973] p.141.

453 Amédée Nagapen, Histoire de la Colonie. Isle de France - Isle Maurice. 1721-1968 [Port-Louis : Cathay Printing, 1996] p.59.

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habitudes »454, surtout dans les années 1830, au cœur du processus de l’abolition de l’esclavage. Les moments de cohésion grâce à la maçonnerie étaient, par conséquent, importants au fur et à mesure que les tensions s’intensifiaient. Quand la Lodge Faith and Loyalty fut fermée en 1830, aucune loge anglaise ne fut créée dans la première moitié du XIXe siècle. Cet état de fait pourrait s’expliquer par les départs de la colonie et le nombre restreint de Britanniques, mais aussi par le fait qu’il y avait un manque de volonté de la part des maçons à créer une nouvelle loge au cœur des tensions sociales et politiques.

Malgré la mise en sommeil temporaire de la maçonnerie anglaise qui, après avoir apposé son empreinte dans la colonie, s’éteignit entre 1830 et 1858, les maçons des deux obédiences préservèrent des liens cordiaux, bien que plus distants à certains moments. Certains maçons anglais, dont Charles Telfair, s’affilièrent ou revinrent dans les loges du Grand Orient de France. Le Tableau de La Triple Espérance de 1846 montre, par exemple, que la loge comptait 20 membres aglais, 3 Irlandais, 4 Écossais et 2 Gallois455, y compris Charles Telfair (le premier vénérable de la Lodge Faith and Loyalty). Des 32 membres de la loge La Paix de 1828, Charles Telfair aussi était présent456. Les relations maçonniques cordiales permirent de trouver une solution protocolaire lors de la visite de Robert Neave, député Grand Maître de la Grande Loge Provinciale du Bengale, en 1845 alors que la maçonnerie anglaise était en sommeil dans une colonie britannique. Ce dernier, suite à des problèmes de santé, faisait une pause de deux ans et il en profita pour visiter les colonies de l’Océan Indien dans le but de promouvoir un « esprit d’émulation »457

et de créer des liens fraternels avec d’autres pays. Sa visite fut un événement maçonnique singulier puisque, à son arrivée, il fit le constat que la Grande Loge Unie d’Angleterre n’était plus officiellement représentée dans cette colonie de la Couronne. En effet, comme l’expliqua un commentateur local dans le Freemason Quarterly Review de septembre 1845, Robert Neave pensait qu’il y avait « (…) une Grande Loge sous une constitution à laquelle il aurait pu présenter ses lettres, missives, d’Inde»458

. Il présenta, de ce fait, ses salutations au vénérable Léchelle et aux maçons à la loge-mère, La Triple Espérance du Grand Orient de France «(…) avec

454 R.L. La Triple Espérance. Bi-centenaire. 1778-1978 [1778] p.47.

455

FM 2 (581). LTE. Dossier 3. Tableau de 1846.

456 FM 2 (579). La Paix. Dossier 2. Tableaux de loge. 1804-1850. Tableau de 1832.

457 Freemason Quarterly Review. «Mauritius» septembre 1845. p.89: « create a spirit of emulation, and promote

good feelings with other countries ».

458Freemason Quarterly Review. «Mauritius» septembre 1845.., p. 89: « the R.W. Brother had supposed that we had here a Grand Lodge under some constitution, to which he could have presented his letters, missive, from India, but we have no Grand Lodge, nor any English one».

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l’expression Fraternelle d’un désir de leur être présentés»459

. Il fut accueilli par les loges françaises, La Triple Espérance et La Paix et sa visite dans l’île fut qualifiée de réussite d’un point de vue maçonnique460. Robert Neave devint un des affiliés de La Triple Espérance et son nom figura sur la liste des membres de 1846 (comme juge, né à Londres et domicilié à Calcutta)461. Sur le tableau des membres de la loge La Triple Espérance de l’année 1846, qui comporte environ 140 membres, plusieurs nationalités y figurent en plus des maçons français et bourbonnais, confirmant la nature cosmopolite de la maçonnerie mauricienne: 29 Britanniques, 5 Indiens, 1 Russe, 1 Américain, 2 Seychellois et 1 Sud-africain462. Lors de son affiliation en 1845, Robert Neave eut l’idée de faire travailler La Triple Espérance au Rite Anglais (Rite York463) mais cette proposition ne fut pas acceptée « (...) en présence de l’opinion du Grand Orient que les Constitutions des Grandes Puissances et les lois intermaçonniques étaient contraires à l’adoption d’un tel système »464. En effet, selon Jean-Michel Ducomte, chaque loge suit un rite qui «favorise la construction d’identités idéologiques, la détermination de lignes de fracture entre des cultures maçonniques différentes (…) »465

. Bien que l’utilisation de ce rite fût rejetée par le Grand Orient de France, le désir de La Triple Espérance d’harmoniser leurs pratiques avec celles des Britanniques relevait aussi d’un autre projet. En effet, déjà en 1844, « (…) craignant la création future de [Loges] Anglaises»466, elle avait fait la même demande mais n’avait pas eu de réponse. De plus, la pratique de ce Rite aurait été aussi une façon de garder les affiliés britanniques et de maintenir une position de force.

Hors des temples, cependant, les tensions ne s’amenuisaient pas au cours des trois décennies précédant la création d’autres loges britanniques à partir des années 1850. Les gouverneurs successifs, comme Sir Charles Colville (1828-1833) et Sir William Nicolay (1833-1840) eurent à subir les animosités qui régnaient en société depuis la fin des années 1820 et perpétuées dans les années 1830 dans le sillage de l’abolition de l’esclavage (l’abolition eut lieu en 1835). Quand le gouverneur Lionel Smith arriva en 1840, comme

459

Freemason Quarterly Review. «Mauritius» septembre 1845.., p. 89 : « (…) the letters missive were, therefore,

tendered by Bro. Neave to the head Lodge here with the Fraternal expression of a desire to become known to them».

460Ibid., p.89 : «Masonic sensation».

461 FM 2 (581). LTE. Dossier 3. Tableau de 1846.

462 Ibid,.

463

Rite York : voir le lexique en annexe.

464Edouard Virieux, La loge « La Triple Espérance » de 1778 à 1878 [Typography of the Merchants and

Planters Gazette, 1887] p.33.

465

Jean-Michel Ducomte, De l’identité maçonnique [Editions Véga, 2011] p.91.

466 FM 2 (856). LTE. Dossier 2. Correspondance 1858-67. Copie de la lettre adressée au GODF par Vigoureux de Kermorvant. 5ème jour 1er mois 5861. 5pp. p. 2.

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l’expliqua l’historien Bulpin, la relation entre les Britanniques et les Français dans la colonie

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