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Le Projet Pilote de Valorisation de la Réutilisation des Eaux Usées Traitées dans le Périmètre Irrigué de Borj Touil du Gouvernorat de l’Ariana : de la

AMOR : UNE APPROCHE INTÉGRÉE COMME MODÈLE AUX PROJETS DE COOPÉRATION INTERNATIONALE DÉCENTRALISÉE

2.2 Le Projet Pilote de Valorisation de la Réutilisation des Eaux Usées Traitées dans le Périmètre Irrigué de Borj Touil du Gouvernorat de l’Ariana : de la

réutilisation des eaux usées traitées au Festival de la Rose de l’Ariana, un

Projet d’Économie Circulaire

La Tunisie est de façon structurelle un pays en situation de stress hydrique critique. Avec un quota par habitant des ressources hydrauliques renouvelables actuellement de l’ordre de 400 m3/hab/an, la Tunisie

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appartient au groupe des pays les moins dotés en eau douce de la planète. En outre, la pression sur la ressource s’accroit ; elle est liée à la croissance démographique (13 millions d’habitants attendus pour 2030), au développement de l’activité économique et au changement climatique. Il est essentiel d’accompagner les acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement pour sécuriser et renforcer l’approvisionnement en eau potable du pays ainsi que de développer la couverture et les capacités d’assainissement. La Tunisie se situe, précisément, en dessous du seuil dit de « stress hydrique critique » (500 m3/an/hab.). Son niveau de ressources en eau est le plus faible du Maghreb. Dans ce contexte, plus encore que dans d’autres géographies, la protection des ressources hydriques, et particulièrement l’assainissement des eaux usées, correspond à une priorité nationale (AFD). La gestion des eaux usées en Tunisie a commencé dans les années 1970, avec la création de l’Office national de l’assainissement (ONAS). Ce secteur a été progressivement maitrisé, en tenant compte des besoins de l’environnement urbain et des milieux industriels et touristiques et, aujourd’hui, des zones rurales (ITES, 2014).

2.2.1 Le Projet Pilote de Valorisation de la Réutilisation des Eaux Usées Traitées dans le Périmètre Irrigué de Borj Touil dans le Gouvernorat de l’Ariana

Ce projet porte sur les perspectives de développement de l’agriculture locale dans le Périmètre Irrigué de Borj Touil, en se basant sur des techniques de réutilisation des eaux usées traitées en irrigation après avoir subies un post traitement par filtres végétalisés et bassin de maturation, et pour lesquelles le GDA Sidi Amor est partie prenante. Les eaux usées utilisées proviennent du bassin de régulation du CRDA de l’Ariana ; elles vont subir différents traitements destinés de les débarrasser de leurs impuretés, charges polluantes et matières en suspension. La réutilisation des eaux usées traitées en agriculture a pour objectif de fournir des quantités supplémentaires d’eau dont la qualité convient à un usage déterminé, sans avoir à utiliser une eau conventionnelle ; ce qui constitue un bon moyen pour les pays qui vivent une pénurie d’eau chronique, de générer une économie d’eau et en plus, si elle est bien menée, elle protège le milieu et les écosystèmes. La réutilisation en irrigation des eaux usées traitées présente de nombreux avantages, car ces eaux contiennent des éléments fertilisants ; leurs matières organiques contribuent à l’enrichissement de la couche fertilisante du sol et elles sont relativement disponibles, leur volume tendant à augmenter. L’utilisation de ces ressources pour l’agriculture n’est, cependant pas, sans risque. Une gestion intégrée des eaux usées traitées amène à de nouvelles pratiques qui tiennent compte des impacts sanitaires sur les cultures produites, les utilisateurs, le sol, des impacts environnementaux et la protection des réserves en eaux souterraines, des impacts biologiques sur le complexe sol/plante, ainsi que sur le matériel d’irrigation. Cependant, les nouvelles techniques de post-traitement par filtres végétalisés et bassin de maturation, relativement peu coûteuses, appropriées aux conditions locales et adaptables à l’environnement méditerranéen et adéquates pour produire des effluents de qualité semblent permettre une irrigation sans restrictions fermes, voire avec des restrictions sujettes à évolution.

2.2.2 Un plan de développement pour l’agriculture locale

Le projet pilote de valorisation de la réutilisation des eaux usées traitées dans le périmètre irrigué de Borj Touil, en cours de réalisation (SEGOR, 2016), vise à promouvoir l’exploitation rationnelle de ces eaux sur 7,5 ha, en vue de définir un modèle pilote transférable aux périmètres avoisinants et de faire l’analyse des perspectives du plan de développement pour l’agriculture locale. Les différentes étapes du projet sont réalisées en étroite collaboration avec l’association locale de développement agricole, le "GDA Sidi Amor", en concertation avec tous les intervenants dans le domaine et particulièrement le CRDA de l’Ariana, la Direction Générale du Génie Rural et d’Exploitation des Eaux et l’ONAS.

Parmi les bénéficiaires du projet, trois agriculteurs issus du périmètre irrigué de Borj Touil ont mis à la disposition du projet leurs parcelles agricoles sur une aire totalisant 6 ha. Les différents acteurs concernés ont été sollicités à toutes les étapes du projet, pour participer aux choix relatifs aux options de réutilisation des eaux usées traitées ayant subis un post-traitement par filtre végétalisé et bassin de maturation pour fixer les choix des cultures et les modes d’irrigation. Le projet consiste principalement en :

- l’aménagement d’ouvrages de post-traitement par filtre végétalisé et une lagune de maturation ainsi que des filtres à sable en tête de parcelles agricoles ;

- l’équipement d’un périmètre irrigué de 6 ha au niveau des parcelles agricoles dans le PI de Borj Touil, - l’équipement de parcelles de démonstration sur une aire de 1,5 ha dans le domaine du GDA Sidi Amor, - d’autres aménagements annexes à l’instar du Laboratoire (analyse des eaux), une pépinière, une oliveraie, une plateforme de compostage, etc.

Enjeux et perspectives de la coopération internationale décentralisée en Tunisie dans le domaine agricole 155

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2.2.3 Vulgarisation des connaissances et formation au cœur du dispositif de l’irrigation par les eaux usées traitées Lorsqu’on interroge les agriculteurs sur les besoins du secteur, notamment dans le cadre d’un programme de mise à niveau, les principaux thèmes cités sont les suivants11 :

- Améliorer leur savoir-faire, principalement technique par des formations, un encadrement, ou un appui technique compétent et disponible ;

- Améliorer et équilibrer la répartition de la valeur ajoutée. Un fort sentiment d’être « coincé » entre l’amont et l’aval est exprimé, ainsi que le fait que le secteur agricole est délaissé par rapport aux autres secteurs. La question du poids des charges en intrants se pose également ;

- Faciliter l’accès aux crédits, que ce soit par un allégement des procédures et/ou des exigences de garanties ou par la sécurisation foncière ;

- Améliorer l’organisation paysanne, que cela soit à travers des organisations de producteurs, des syndicats, des sociétés de service, de l’approvisionnement et vente en commun, l’organisation autour de la vulgarisation, ou encore l’organisation de la filière…

Il apparait aussi que les relations entre les agriculteurs et leur environnement institutionnel restent faibles, y compris pour des structures de proximité dont le rôle est d’appuyer directement les producteurs. De même, la grande majorité des agriculteurs ressent des impacts du changement climatique sur leurs activités et a conscience des impacts des pratiques agricoles sur l’environnement, notamment sur les aspects qualitatifs et quantitatifs liés à l’eau.

2.2.3.1 Spécificités et conditions de réussite du projet

La réussite de ce projet tient à plusieurs facteurs. La zone retenue se caractérise par une aridité croissante avec de faibles précipitations. Elle concerne une communauté d’agriculteurs de niveau de technicité moyen mais ayant accumulé une ancienne expérience en irrigation avec les eaux usées traitées. Ainsi le projet lui donne l’opportunité de capitaliser son ancienne expérience en matière d’irrigation et de revitaliser ses terres. Les sols sont à texture relativement légère à moyenne ; et les agriculteurs concernés souhaitent y promouvoir les cultures fourragères, céréalières, arboricoles et industrielles. Est présente, également, l’association GDA Borj Touil, qui a accumulé de l’expérience à travers les différents projets réalisés dans la région ayant mobilisé une participation active de la population locale. De plus, la zone du projet fait continuité avec le grand projet du périmètre irrigué Cebela - Borj-Touil.

Le projet est à caractère pilote et jouera le rôle de modèle transférable à d’autres zones. L’environnement se trouvant sérieusement menacé par les rejets des eaux usées et par leur infiltration, l’intérêt commun est bien compris. Au niveau économique, l’avantage le plus significatif, au niveau des coûts, résulte d’abord du prix modique des eaux usée et ensuite des valeurs de substitutions pour des engrais ; un gain significatif en matière de rendement des cultures et d’une façon générale du système de production global (l’élevage, extraction d’huile essentielle…) ; un gain agro-écologique certain et une amélioration de la productivité de l’eau pour tous les groupes de cultures. Le gain environnemental concerne l’ensemble de la société. Cependant l’utilisation des eaux usée traitées ne doit passer comme étant un moyen socio-économique de développement sans contraintes et sans risques et peut être confrontée à des problèmes d’ordre technique et sanitaire, malgré l’épuration des eaux usées ; des directives de précaution en termes environnementaux et sanitaires méritent d’être émises pour la protection des usagers, des consommateurs des produits agricoles ainsi que des ressources eau et en sol. En effet, d’après les directives de la FAO les mesures de protection suivantes doivent être mises en pratique : application des normes de réutilisation des eaux usées ; traitement efficace des eaux usées ; contrôle de la qualité de l’eau épurée ; contrôle de canalisation, de transport, de distribution et de stockage des eaux épurées ; contrôle des personnes exposées.

2.2.3.2 Vulgarisation et co-production de connaissances et de nouvelles pratiques

L’éco-village des arts et métiers du GDA Sidi Amor existe en tant qu’entité juridique distincte et est reconnu comme centre de formation professionnelle depuis mai 2012, certifié par le Ministère de la formation professionnelle et de promotion de l’emploi, pour assurer sa mission de transfert de compétences. Il comporte plusieurs domaines de formations intégrés, répondant aux besoins de création d’opportunités d’emploi en Tunisie. Il présente de nouvelles opportunités d’entreprenariat social permettant la conversion des activités d’économie informelle en économie formelle, et la création

11 Cette synthèse reprend les principales conclusions de l’enquête effectuée dans le cadre de Étude de reformulation concertée du Programme de mise à niveau des exploitations agricoles en Tunisie 1, 2 et 3, Observatoire National de l’Agriculture, 2015.

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d’emplois valorisant le travail et les ressources naturelles locales, en milieu rural, par l’artisanat et les métiers d’art traditionnels ainsi que le développement de nouvelles filières de recyclage. Les formations proposées apportent une première réponse à la problématique du taux important d’inactivité des jeunes, du manque d’esprit/d’opportunité, d’auto-entreprise, du besoin de structuration et d’intégration des activités professionnelles, de la perte de savoir-faire artisanal, ainsi que de la nécessité de la préservation et de la valorisation des ressources naturelles menacées par l’urbanisation galopante, l’accumulation de déchets et la non protection des ressources naturelles locales.

La bonne conduite d’un projet de réutilisation des eaux usées traitées (EUT) demande un suivi quotidien de la qualité de ces eaux et un approfondissement des techniques d’irrigation et des conduites culturales à partir de ces eaux. Pour ce faire, un laboratoire d’analyse des EUT, destinées à l’irrigation, a été aménagé et constitue un facteur clé de la réussite du projet. Un accent particulier est porté sur l’importance de la vulgarisation, la formation et l’étroite collaboration avec les agriculteurs, afin d’aboutir aux objectifs prescrits. Le centre de formation conçu dans le cadre du projet pilote assurera ce rôle.

Pour enclencher ce processus de vulgarisation et de partage des connaissances, divers thèmes de formation, ont été proposés aux agriculteurs locaux : caractérisation agro-écologiques de la région : sol, hydromorphie, salinité, drainage... ; spécificités des EUT : différence et ressemblance par rapport aux eaux conventionnelles ; techniques d’irrigation adoptés aux EUT ; filtration en irrigation localisée ; conduites culturales de nouvelles cultures irriguées par les EUT ; pilotage de la fertigation ; problème de salinité et d’alcalinité des nappes ; suivi de la salinité et de la sodicité du patrimoine sol ; risque sanitaire de l’irrigation par les EUT… La liste ci-dessus n’est pas exhaustive et devra être développée en concertation avec les autorités et associations concernées, notamment l’Agence de la vulgarisation et la formation agricole (AVFA) au sein du Ministère de l’Agriculture.

Par ailleurs, le projet prévoit de créer une pépinière qui servira de verger d’essai pour de nouvelles espèces arboricoles et semi-forestières (cognassier, figuier, pacanier, noyer, pistachier, caroubier, câprier et autres...). Cette unité servira, avec le Laboratoire des EUT, à développer la recherche scientifique agricole et à développer les techniques de la vulgarisation.

En résumé, ce projet pilote englobe l’ensemble des aspects touchant à la réutilisation des eaux usées traitées en irrigation, de l’épuration améliorée jusqu’à la vulgarisation des savoirs et pratiques, et ce à travers le laboratoire d’analyses et le centre de formation. Reste à renforcer et améliorer l’implication des agriculteurs et à connaître la manière dont ils perçoivent la vulgarisation et surtout comment ils pourraient la coproduire, la pérenniser et la partager plus largement. En somme, une recomposition des savoirs visant l’autosoutenabilité !

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