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Franck-Gautier GACHA, Adon Simon AFFESSI et Tano Maxime ASSI

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agriculture est une activité traditionnelle pratiquée dans les localités rurales. Mais aujourd’hui, elle s’implante de plus en plus dans les villes. En effet, 40% des ménages urbains ont des activités agricoles en ville (Dali et al., 2016) et développent la culture intensive. Ce type de culture est un système agricole fondé sur l’optimisation de la production par rapport à la surface cultivée. La culture intensive repose sur une mécanisation poussée ainsi que sur l’usage d’intrants chimiques (Thélémaque, 2014). La population de la ville de Korhogo pratique cette agriculture. Estimée à 286 071 habitants dont 138 491 femmes et 147 580 hommes (INS, 2014), elle développe la culture intra-urbaine sur les terrains non occupés et les lots non construits (Alla, 1991). Cette dernière est faite pour produire des aliments entrant dans la préparation quotidienne des repas, et le surplus vendu sur le marché local. Ces espaces agricoles de proximité sont essentiellement l’affaire des femmes de l’ethnie Sénoufo travaillant individuellement ou en petites organisations. Pour Affessi (2015), les femmes produisent, transforment et alimentent les marchés locaux et urbains. Malgré leur marginalisation dans le secteur agricole, elles continuent de relever le défi de l’autosuffisance alimentaire (Affessi, 2015). Les spéculations pratiquées par ces femmes se résument à du vivrier : salades, choux, concombres, patates, maïs, tomates, gombos, aubergines (Vanga, 2012). Ces femmes et associations de femmes utilisent des produits phytosanitaires pour enrichir l’espace cultivé et protéger leurs parcelles contre les insectes nuisibles afin de maximiser la production. Ce mode de production assure un rendement important des cultures, mais met en péril la biodiversité et la santé humaine, en étant responsable de la pollution des sols et des nappes phréatiques. C’est en effet dans cette même perspective de mise en péril de la biodiversité et de l’environnement de Korhogo que nous menons cette étude pour questionner les logiques sociales et culturelles de telles pratiques dans une ville où cohabitent toujours valeurs traditionnelles rurales et exigences urbaines de la modernité. Cet article a pour objectif de montrer les logiques sociales et culturelles qui sous-tendent l’agriculture intensive de proximité dans la ville de Korhogo et les risques environnementaux et/ou sanitaires liés à cette pratique.

1.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Pour atteindre notre objectif, cinq quartiers de la ville de Korhogo ont été retenus : Sinistré, Kassirimé, Téguéré, Haoussabougou et Natiokobadara. Le choix de ces sites s’explique par la densité des parcelles agricoles de proximité, même si l’on ne peut occulter le fait que des espaces y sont également occupés anarchiquement par des artisans en tout genre. La population cible comprend les femmes prises individuellement et/ou regroupées en association.

1 Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo (Côte d’Ivoire). gachaf@gmail.com, affessi_adon@yahoo.fr, tanass24@yahoo.fr

76 Franck-Gautier GACHA, Adon Simon AFFESSI et Tano Maxime ASSI

Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde n°33-2018

Dans une perspective qualitative, nous avons utilisé l’entretien individuel semi-structuré et le focus group. L’entretien individuel est réalisé avec 21 femmes choisies de façon aléatoire, pratiquant seules le maraicher de proximité et le focus-group avec 4 associations de femmes travaillant sur des surfaces agricoles plus étendues à la périphérie de la ville. En dehors de ces femmes, nous avons interrogé le Responsable du Service de Gastroentérite du Centre Hospitalier Régional de Korhogo et ses 3 collaborateurs sur les cas de maladies liés à l’utilisation des produits phytosanitaires et à la consommation des denrées issues des espaces agricoles de proximité. Nous avons également interrogé de façon aléatoire 3 personnes dans les ménages proches de l’activité intra-urbaine des 5 quartiers où se déroule notre étude. Il est question de recueillir leur avis sur les dangers d’une telle pratique. L’analyse des données a été faite en procédant à la retranscription intégrale des entretiens, puis à une analyse du contenu du discours des enquêtés.

2.

RÉSULTATS ET ANALYSES

2.1 Typologie des cultures intra-urbaines, modalités d’exploitation des parcelles et

utilisation des produits chimiques

2.1.1 La typologie des cultures intra-urbaines

L’agriculture intra-urbaine dans la ville de Korhogo est une autre façon d’occuper le sol urbain. Cette ville est « ceinturée » par différentes cultures maraichères pratiquées par les femmes. On trouve également ces cultures aux alentours des maisons et dans certaines rues. Ces différentes spéculations alignées sur des buttes avec ses verdures donnent un tant soit peu un paysage de couleur verdâtre à la ville (Zouhoula Bi et Assouman, 2016). Les types de cultures les plus pratiquées sont le chou, la salade, la carotte, le persil, le haricot, le piment, le concombre, l’arachide, le gombo et le maïs (voir photos).

La typologie de quelques cultures

Photo 1 : Parcelle d’arachides Photo 2 : Des femmes sur un champ de salades

Photo 3 : La carotte Photo 4 : Le chou associé à d’autres maraîchages

Culture intensive de proximité et dommages environnementaux dans la ville de Korhogo en Côte d’Ivoire 77

Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde n°33-2018 2.1.2 Les modalités d’exploitation des parcelles cultivées

La parcelle cultivée par les femmes est exploitée soit individuellement, soit collectivement (en association). L’enquête a montré que l’exploitation individuelle est la forme la plus répandue à Korhogo du fait que la majorité des femmes entretiennent leurs espaces au sein même de leurs concessions ou dans les rues jouxtant leurs domiciles. D’autres facteurs peuvent expliquer l’exploitation individuelle : éviter les différends qui pourraient survenir lorsque les parties prenantes ne sont pas satisfaites du partage des gains ; l’étroitesse de la parcelle dédiée à la culture ; le fait de ne pas résider dans le même quartier ; l’absence de soutiens financiers et/ou matériels ; le refus systématique de se mettre en association. Dans une autre perspective, quelques femmes exploitent collectivement une parcelle beaucoup plus étendue leur permettant de se faire davantage de profits au moment de la vente des produits récoltés. Selon elles, le travail collectif favorise les affinités et renforce par la même occasion la solidarité entre les membres de l’association. L’option de travailler en équipe est aussi une stratégie pour bénéficier d’une assistance ou d’un projet d’appui à l’autonomisation de la femme à travers la mise en place d’activités génératrices de revenus. Enfin, il est à noter que la parcelle où se déroule l’activité n’est pas définitivement acquise : elle est provisoirement et bénévolement cédée par des tiers aux femmes travaillant en association, sur simple demande, étant entendu que le propriétaire de la parcelle peut en disposer seulement après la période de récolte.

2.1.3 L’utilisation des produits chimiques

À l’exception de 3 enquêtées qui ont déclaré ne pas utiliser de produits chimiques sur leurs parcelles, les autres ont attesté qu’elles ont recours à ces produits, généralement soit pour accroître la production, soit pour protéger leurs parcelles contre les insectes nuisibles. « Nous utilisons ces produits parce que nous sommes en zone de savane et les terres sur lesquelles nous travaillons sont très pauvres. Ces produits chimiques nous aident à enrichir la terre et à éloigner les insectes de nos cultures », atteste une femme enquêtée. Les intrants d’origine biologique ou phytosanitaires les plus utilisés sont l’engrais blanc, les matières fécales d’animaux, les herbicides et les insecticides. La quantité des intrants phytosanitaires évolue en fonction de la taille de la surface exploitée, allant de 20 à 85 kg pour l’engrais blanc et de 35 à 65 litres pour les herbicides et insecticides. Le coût moyen de l’engrais blanc s’élève à 350 FCFA (soit 0.54 euros) quand le litre de l’herbicide/insecticide se vend en moyenne à 1 600 FCFA (soit 2,44 euros). Certains produits chimiques sont vendus dans des pots de 4 litres et coûtent 5 000 FCFA (soit 7.62 euros). Leur spécificité réside dans le fait qu’ils sont utilisables plusieurs fois sur la même parcelle, puisqu’il est conseillé de les utiliser en petite quantité dans les vaporisateurs et à faible dose. Par ailleurs, certaines femmes utilisent de l’insecticide prévu pour la culture du coton, généralement très toxique et non approprié pour le potager. Enfin, les femmes qui n’utilisent pas de produits phytosanitaires sur leurs parcelles avancent qu’elles sont informées des dangers liés à la manipulation de ces produits et des risques encourus en cas d’ingestion accidentelle.

3.

LOGIQUES SOCIALES ET CULTURELLES DE LA PRATIQUE DE

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