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4.1 Les perceptions locales des risques de la culture de proximité sur

l’environnement et sur la santé

Toutes les femmes interrogées sont formelles pour dire que les produits issus de leurs parcelles ne présentent aucun risque pour la santé des consommateurs, nonobstant l’utilisation de substances phytosanitaires par certaines. Une enquêtée du Quartier Natiokobadara est catégorique à ce sujet : « (…) Si c’était dangereux j’allais le constater sur ma santé » ; une autre du Quartier Haoussabougou renchérit : « Non, les produits issus de notre parcelle ne sont pas dangereux pour la santé humaine, puisque nous- mêmes nous en mangeons ». Ces affirmations sont relativisées par les agents de santé qui reçoivent régulièrement des patients victimes d’intoxication alimentaire. Selon eux, ce sont les produits phytosanitaires qui sont responsables de ces cas d’intoxication. Toutes les catégories de personnes sont concernées, mais l’on recense beaucoup plus d’enfants âgés de 6 à 15 ans parmi les patients ainsi que les femmes qui manipulent les intrants chimiques. Selon le responsable du Service de Gastro-entérite du Centre Hospitalier Régional de Korhogo : « Entre 2010 et 2011, tout un village vers la sous-préfecture de Napié a connu une intoxication due à la pollution des eaux de surface que les populations consommaient. Après enquête, il s’est avéré que les eaux de ruissellement ont drainé des résidus d’insecticide et d’herbicide dans le marigot qui sert d’eau de consommation aux villageois et d’arrosage des cultures périurbaines ».

On note clairement que les enquêtées n’établissent aucun rapport entre la survenance de maladies liées à l’ingestion accidentelle de produits chimiques et l’utilisation de ces produits. Toujours selon les agents de santé, la récurrence de l’ulcère gastrique chez les patients est la conséquence des complications causées par la consommation de denrées contaminées de quelque manière que ce soit. Le traitement de cette maladie est à la charge du patient, l’État n’intervenant que lorsque l’intoxication est généralisée, c'est-à-dire lorsqu’elle touche tout ou partie importante de la population. En outre, le constat relevé par les agents de la santé lors du diagnostic auprès des patients est que pendant les périodes de forte activité de la culture intra-urbaine, les populations sont plus exposées aux piqûres des moustiques puisque cette activité agricole favorise la prolifération des moustiques vecteurs du paludisme.

Dans leur majorité, les femmes n’ont aucune idée des dommages et dangers causés par leur activité agricole sur l’environnement. Pour elles, l’utilisation des produits phytosanitaires ne peut être facteur de pollution des sols ou des eaux. Pourtant, l’on assiste avec le temps à l’appauvrissement du sol et par ricochet à son infertilité. De plus, on constate à plusieurs endroits de la ville une accélération de l’érosion et la désertification des sols puisque les espaces verts et autres talus sont détruits pour favoriser une surface agricole plus grande. En cas de fortes pluies2, on assiste à des inondations dans presque tous les quartiers étudiés. Globalement, les femmes qui pratiquent la culture de proximité estiment que leur activité ne comporte aucun risque pour la santé des consommateurs. Cependant, elles admettent que la culture de proximité est profitable aux populations riveraines puisque ces dernières bénéficient des denrées non loin de leur lieu d’habitation, à moindre coût comparativement à celui pratiqué sur le marché, et ont l’avantage de connaitre la provenance des denrées qu’elles consomment.

2 Les relevés pluviométriques de la station de Korhogo montrent que la quantité de pluies tombées au Nord de la Côte d’Ivoire est passée de 1465 mm en 2012 à 1377 mm en 2013.

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4.2 Les difficultés rencontrées dans la pratique de la culture de proximité

Les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes dans l’exercice de leur activité sont de plusieurs ordres : la destruction des cultures par les insectes et par la divagation d’animaux domestiques (bœufs, moutons, chèvres, etc.). Il y a aussi l’incertitude liée à l’exploitation prolongée de la parcelle puisqu’elle constitue un terrain potentiel pour une opération immobilière. On note également un manque de matériels agricoles tels que les arrosoirs, les pulvérisateurs mécaniques et les mécanismes d’attelage nécessaires à la mise en valeur de surfaces plus étendues. Cette agriculture n’est pas aussi mécanisée, elle est dépendante de la pluie. Et pendant les périodes de saison sèche après tarissement des eaux des puits, les femmes sont obligées d’estomper cette activité ou d’utiliser des eaux non conventionnelles pour arroser leurs cultures. C’est le cas de l’eau usée contenant des produits chimiques toxiques en provenance de la station de traitement des eaux de la Société de Distribution de l’Eau en Côte d’Ivoire (SODECI). Selon le chimiste en charge du traitement de l’eau : « Cette eau n’est pas consommable parce qu’elle contient de la boue après le traitement. Même si on y trouve des éléments nutritifs comme du phosphore, d’azote, de chlore, leur excès provoque une baisse d’oxygène qui peut étioler les cultures. Ces éléments nutritifs ne sont plus contrôlés après le rejet de l’eau par la SODECI. En plus, lors du ruissellement, les déchets comme les poubelles des habitants à proximité, les défections des animaux qui divaguent, les éléments polluant comme l’huile de vidange sont versés. La chloration et les paramètres de l’eau tels que l’oxydabilité organique qui doit être inférieure ou égale à 5 ; hydrogène sulfurée inférieure ou égale à 0,05 ; la couleur de l’eau inférieure ou égale à 15 admis par l’OMS ne le sont plus. N’étant pas protégée, cette eau peut être toxique car lors du ruissellement, les subsistances toxiques comme les matériaux lourds peuvent s’infiltrer ».

Cette eau dont se servent les femmes pour arroser les cultures ne respecte pas donc pas les normes de potabilité admises par l’OMS ; son utilisation peut alors être un danger pour les consommateurs de ces cultures.

Photo 5 : L’eau blanchâtre du château de la SODECI de Korhogo

Source : cliché Affessi, 2017.

Par ailleurs, l’enquête a révélé que très peu de femmes, hormis celles qui évoluent en associations, ont bénéficié de formation sur la manipulation et l’utilisation rationnelle des produits phytosanitaires.

5.

DISCUSSIONS

L’étude montre que la culture extensive de proximité dans la ville Korhogo au Nord de la Côte d’Ivoire est une activité essentiellement féminine. Les logiques sociales et culturelles qui sous-tendent la mise en pratique de cette agriculture intra-urbaine définissent sa multifonctionnalité : économique, alimentaire, sociale, etc. Cette multifonctionnalité de l’agriculture « urbaine » est relevée aussi par d’autres auteurs. Aubry (2013) affirme que productrice d’aliments, l’agriculture « urbaine » est aussi productrice de fonctions économiques et sociales pour la ville, à travers les emplois directs et indirects qu’elle procure, les liens sociaux qu’elle favorise, à travers certains circuits courts, ou dans les jardins associatifs urbains, voire

Culture intensive de proximité et dommages environnementaux dans la ville de Korhogo en Côte d’Ivoire 81

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à travers des formes agricoles de réinsertion sociale. La culture de proximité développée par les femmes à l’intérieur de la ville de Korhogo leur permet de contourner des lois traditionnelles proscrivant l’accès à la terre à la femme Sénoufo. La fonction de réinsertion ou réintégration sociale des femmes est mise en évidence à travers cette activité. L’agriculture de proximité est donc une sorte de réponse sociale au bouleversement engendré par la tradition. Si ailleurs, d’autres études ont montré que l’agriculture « urbaine » joue des fonctions environnementales propices aux riverains, comme la protection contre les inondations par la rétention des eaux pluviales dans nombre de villes tropicales (Aubry, 2013), la nôtre montre que la culture de proximité urbaine permet l’accélération de l’érosion et la désertification des sols car les espaces verts et autres talus sont détruits au détriment d’une surface agricole plus étendue. Tel est le cas des inondations observées dans presque tous les quartiers étudiés en cas de pluies. Des études s’inscrivant dans cette même perspective ont aussi mis en évidence que l’agriculture urbaine est fréquemment confrontée à la suspicion de pollution des produits par différents vecteurs (air, sol, eau) et déchets organiques urbains mal maîtrisés surtout dans les pays du Sud (Parrot et al., 2009). Les consommateurs de ces produits sont donc exposés à des dangers. À Antananarivo par exemple, deux types de pollution des eaux à effets néfastes sur la production agricole ont été mis en évidence, ceux liés aux rejets industriels non ou mal contrôlés dans les canaux d’irrigation des rizières péri et intra-urbaines (Aubry et Pourias, 2013) et ceux liés aux rejets domestiques, entrainant surtout une contamination bactérienne dans des zones dépourvues de tout-à-l’égout et se répercutant directement sur la contamination d’une production phare de l’agriculture urbaine locale, le cresson (Dabat et al., 2012). Des efforts doivent donc être engagés tant du côté des acteurs de développement nationaux comme les ONG que du côté des institutions d’aide au développement pour permettre aux femmes de mener avec acuité leur activité. Leur engagement aux côtés des femmes pourra envisager des solutions aux dangers environnementaux et sanitaires et aux difficultés qu’elles rencontrent dans la mise en œuvre de leur activité. Le transfert de technologie et/ou d’expertise des pays du Nord constituera une innovation pour les femmes en complément de leur savoir local en matière de culture de proximité urbaine.

CONCLUSION

La culture intensive de proximité se développe dans les quartiers à forte concentration humaine et sur des espaces initialement occupés par la verdure, à proximité et au sein des cours habitées, dans les rues ainsi que les bas-fonds. On note également une forte féminisation de cette activité, du fait que la femme sénoufo n’a pas culturellement accès à la terre. Les espaces agricoles de proximité se présentent ainsi tout à la fois comme des moyens de contournement de la loi foncière traditionnelle et comme des activités génératrices de revenus. Sur le plan économique, les revenus générés par la commercialisation des produits issus des parcelles agricoles de proximité permettent aux femmes de faire face aux charges domestiques et de contribuer à la scolarisation des enfants. L’utilisation des produits phytosanitaires n’est pas systématique pour toutes les femmes ; cette utilisation est fonction des moyens financiers dont elles disposent. Sur le plan environnemental, l’érosion et la désertification des sols sont accentuées par la destruction des espaces verts. En saison pluvieuse, les barrières naturelles au ruissellement des eaux n’existant plus, on assiste à des inondations. Sur le plan sanitaire, les intrants chimiques, utilisés à faible ou à forte quantité, engendrent progressivement des problèmes de santé au sein de la population. Les plus concernés par ces contaminations sont les femmes, en tant qu’utilisatrices directes des produits phytosanitaires et du fait qu’elles résident à proximité des cultures, et les membres de leurs familles, singulièrement les enfants. Les consommateurs sont également touchés en raison de la persistance des pesticides dans le vivrier issu des espaces de culture intensive et écoulé sur le marché local. Cette activité entraine aussi la prolifération des moustiques vecteurs du paludisme. Ainsi, la pratique de la culture intensive de proximité à Korhogo induit des conséquences tant sur l’environnement que sur la santé humaine, même si elle se présente comme une activité socialement justifiée.

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Relier la conservation de la biodiversité cultivée et la sécurité

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