• Aucun résultat trouvé

TABAC EN ALGÉRIE : TABAC OU CULTURES ALTERNATIVES

2.3 Coût d’opportunité de la culture du tabac par rapport à certains fruits

Si la consommation des légumes augmente du fait de l’essor démographique et de la relative amélioration des niveaux de vie, la consommation de fruits, par contre, n’a cessé de diminuer, passant de 41 à 31 kg/hab./an entre 1981 et 1992 en raison de la cherté des fruits. C’est en effet une conséquence de la diminution de la production fruitière et d’une forte croissance démographique (le recul de l’offre devant la progression de la demande).

Traditionnellement, l’arboriculture concernait l’olivier, le figuier, la vigne, les agrumes et les palmiers- dattiers. À partir des années 1990, l’Algérie a effectué des plantations de pommiers, poiriers, abricotiers, pêchers, cerisiers, amandiers, grenadiers, néfliers, etc. Grâce au Plan National pour le Développement Agricole, les superficies fruitières ont presque doublé depuis 2000 et l’arboriculture fruitière occupe désormais 10% de la SAU (soit près de 850 000 hectares). Entre 2000 et 2011, la production de fruits a plus que doublé (fruits à noyaux et pépins +250%, agrumes + 135%, figues +120%, olives +100%, dattes + 65%), en partie grâce à l’amélioration des rendements, même si ceux-ci restent très faibles, mais surtout grâce à l’extension du verger. Toutefois, l’Algérie reste déficitaire et les importations de fruits ne cessent d’augmenter, passant de 900 tonnes en 1996 à 450 000 tonnes en 2012. Par ailleurs, en raison de la négligence par les producteurs algériens des variétés d’oranges tardives, l’Algérie importe en mars et avril des oranges espagnoles. L’offre d’agrumes est modeste, d’où les prix élevés sur le marché national. L’offre d’oranges étant limitée, sa transformation est également faible car le volume de production ne permet pas à l’industrie de travailler de façon satisfaisante. Ainsi, la quasi-totalité des boissons et des jus est produite à partir de concentrés importés. Les jus d’orange produits en Algérie sont fabriqués à partir de concentrés importés (d’Espagne et du Brésil), parfois mélangés à des pulpes locales. La situation est analogue pour de nombreux fruits, à l’exception de l’abricot (dont une partie est systématiquement dirigée vers les confitureries) et des dattes (dont la production est importante, ce qui permet d’en réserver une partie pour la transformation). De plus, 25% des pommes offertes sur le marché national sont importées (130 000 tonnes en 2011/2012). Les importations de poires sont, en revanche, modestes autour de 8 à 9 000 t/an. Afin de limiter leur dépendance aux importations, plusieurs des producteurs fruitiers en Algérie ont investi dans la culture de la pomme, de la poire, de l’abricot, de la pêche et des prunes.

Par la culture du tabac, l’économie algérienne perd des opportunités en fruits inférieures à celles des légumes mais importantes par rapport à celles des céréales.

La substitution de la culture du tabac en 2000 aurait permis soit une production d’environ 900 000 q de melons pastèques, ou de 270 000 q d’abricots, ou de 460 000 q de pommes ou encore de 437 000 q de poires. En cultivant le tabac en 2002, l’État s’est privé de 700 000 q d’oranges et aurait épargné une facture de 147 000 USD d’importation ou encore 12 000 USD en produisant des pommes et des poires (230 tonnes) au lieu de les importer, ou 135 000 USD en produisant des abricots, des cerises, des pèches et des prunes (403 tonnes) au lieu de les importer.

En 2003, la balance commerciale des produits agricoles enregistre une part très importante des importations de légumes secs à cosse (48,13%), des tabacs bruts (13,62%) et des pommes, poires et coings (8,32%). La substitution du tabac par d’autres cultures aurait coûté 10,6 millionsUSD pour importer 5 674 tonnes de tabac brut. En revanche, à la place de la culture du tabac, l’État aurait pu réduire la facture d’importation des pommes, des poires et des coings de 10,4 millions USD (si 39 000 tonnes avaient été produites localement), ce qui représente une culture alternative opportune d’un point de vue économique et écologique.

En 2005, l’État aurait déboursé 14 millions USD pour importer du tabac brut si cette culture avait été abandonnée. En contre partie, il aurait épargné 13 millions USD si les abricots étaient cultivés localement (soit 1 million USD d’opportunités perdues pour l’économie nationale) ou 15,9 millions USD avec la production de pommes (réalisant une alternative de gain de 1,9 millions USD).

En 2007, le prix d’importation du tabac brut est de 2,62$/kg et celui des abricots de 0,515$/kg. La substitution de la culture du tabac par celle des abricots aurait coûté 15,8 millions USD pour importer les 6 043 tonnes de tabac brut. En revanche, à la place de la culture du tabac, l’État aurait pu réduire la facture d’importation des abricots de 14,4 millions USD (si 280 000 q avaient été produits localement). Même si cette alternative engendrerait un manque à gagner de l’ordre de 1,4 millionsUSD, les gains écologiques et de santé publique (De Beyer, 2005), priment sur les aspects économiques et commerciaux. Les alternatives de la substitution de la culture du tabac en 2011 équivaudraient à 340 000 q d’abricots (+ 21% par rapport à 2007).

En 2013, les cultures qui connaissent les meilleurs rendements sont celles des melons pastèques, des pommes, des poires, des nèfles et des abricots. En les substituant au tabac, l’économie nationale aurait pu

La culture du tabac en Algérie : un coût d’opportunité important sur le développement durable 73

Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde n°33-2018

bénéficier d’une production d’1 million q de melons pastèques (1 kg par personne chaque mois pendant toute sa saison), ou de 450 000 q de pommes, ou de 385 000 q de poires, ou de 490 000 q de nèfles, ou encore de 334 000 q d’abricots.

Depuis mi-2014, la conjoncture pétrolière défavorable a affecté négativement le volume et la valeur (en déclin) des exportations d’hydrocarbures et contraint l’État de prendre des mesures afin de rationaliser les dépenses budgétaires et de maitriser la facture des importations, pour limiter les effets de la crise pétrolière sur l’économie nationale. Cette situation est aggravée par la crise des marchés mondiaux de produits agroalimentaires. Si cette conjoncture perdure, inexorablement les réserves de change s’épuiseront. Dans ce contexte, les perspectives ouvertes par les choix alternatifs en agriculture méritent une attention soutenue.

Figure 4 : Coût d’opportunité de la culture du tabac en Algérie par rapport à certains fruits de 2000 à 2015 (en q)

Source : calculs réalisés par nos soins.

CONCLUSION

Le tabac fut introduit en Algérie au XVIe siècle. La propagation de sa culture remonte au temps de la domination turque et l’essor de son commerce à celui de la domination française. Depuis 1900 et jusqu’en 2015, l’évolution de la culture du tabac en Algérie, en dents de scie, a été affectée par des facteurs naturels, socio-économiques et géopolitiques. Si les superficies que sa culture occupe étaient consacrées à d’autres productions, dans un contexte de dépendance alimentaire aux importations, l’économie nationale aurait bénéficié d’opportunités intéressantes. L’Algérie ne devrait-elle pas abandonner la tabaculture en faveur d’autres cultures (légumes et fruits de large consommation) aux rendements supérieurs ? Ne serait-il pas préférable de privilégier la production de variétés telles que le blé (dur ou tendre), l’orge, l’avoine ou les pois chiches, qui sont respectueuses de l’environnement, maintiennent la souveraineté alimentaire, renforcent l’industrie agroalimentaire et réduisent le déficit du commerce extérieur agroalimentaire ?

BIBLIOGRAPHIE

AGROLIGNE (2015)Le marché des industries alimentaires en Algérie, L’essentiel de l’agroalimentaire et l’agriculture, n°97, novembre/décembre. https://www.agroligne.com/IMG/pdf/agroligne_web_97.pdf

AMAR M. (2014) Organisation de la chaine logistique dans la filière céréales en Algérie : état des lieux et perspectives, thèse en vue de l’obtention de diplôme de haute études du Centre International de Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM), novembre.

BACI L. (1999) Les réformes agraires en Algérie, CIHEAM, Options Méditerranéennes, Série B, Études et Recherches, n° 36, 285-291. http://om.ciheam.org/article.php?IDPDF=CI020488

BESSAOUD O. (1994)L'agriculture en Algérie : de l'autogestion à l'ajustement (1963-1992), CIHEAM, Options

Méditerranéennes, Série B, Études et Recherches, n° 8, 89-103.

http://om.ciheam.org/article.php?IDPDF=CI950540. 0 200000 400000 600000 800000 1000000 1200000 1400000 1600000 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Poire Pomme Nèfle Abricot Melon/Pastèque

74 Nabila KENDI, Younes HIDRA et Nouara KAID-TLILANE

Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde n°33-2018

BESSAOUD O. (1992) L'agriculture algérienne entre la politique d'ajustement structurel et la réforme des politiques agricoles mondiales, Économie rurale, n° 211, 71-73. http://www.persee.fr/doc/ecoru_0013- 0559_1992_num_211_1_4499

BELAID D. (2016) La production de légumes secs en Algérie, collection dossiers agronomiques, Édition 2016. http://www.djamel-belaid.fr/app/download/27576419/LivreL%C3%A9gumes+SecsT1.pdf

CHEVALIER A. (1927) La Coopérative des Tabacs de Bône (Algérie), Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, n° 72, 537-545.

DE VILLERS G. (1980) L'État et la révolution agraire en Algérie, Revue française de science politique, 30ᵉ année, n° 1, 112-139. http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1980_num_30_1_393880

CNIS (Centre National de l’Informatique et des Statistiques) des Douanes (2016) Balance commerciale agroalimentaire ; 2000-2015, Ministère des Finances, direction des Douanes, document interne (banques de données du système d’information douanier).

DE BEYER J. (2005) La crise croissante du tabagisme en Afrique francophone, Revue internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé, Hors série. http://www.iuhpe.org/upload/File/PE_TAB_05.pdf

FAO (2015) Perspectives de récolte et situation alimentaire, n° 1, mars. http://www.fao.org/3/a-i4410f.pdf HOCINE T. (1991) L’agriculture algérienne : les causes de l’échec, Alger, Place Central de Ben-Aknoun,

INESG (Institut National des Études Stratégiques Globales) (1989) In L. Baci (1995) Les contraintes au développement du secteur des fruits et légumes en Algérie : faiblesse des rendements et opacité des marchés, Montpellier, CIHEAM Options Méditerranéennes, Série B, Études et Recherches, n° 14, 265-277. http://om.ciheam.org/om/pdf/b14/CI960055.pdf

LEQUY R. (1970) L'agriculture algérienne de 1954 à 1962, Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n° 8, 41-99. In : http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1970_num_8_1_1081

MADR (Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural) (2003) Recensement général de l'agriculture 2001, Rapport général des résultats définitifs, direction des statistiques agricoles et des systèmes d'information, Alger, juin. MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA RÉFORME AGRAIRE (de 1970 à 2015) Statistiques agricoles :

superficies et productions, Série B.

MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE (2016) Statistiques agricoles : superficies et productions, Série B, Direction des Statistiques Agricoles et des Enquêtes Économiques.

MINISTÈRE FRANÇAIS DE L’AGRICULTURE EN ALGÉRIE (1949) Le tabac en Algérie, n° 63, 30 juin. http://alger-roi.fr/Alger/documents_algeriens/economique/pages/63_tabac.htm

OMS (2015) Atlas du tabac. http://3pk43x313ggr4cy0lh3tctjh.wpengine.netdna-cdn.com/wp- content/uploads/2015/03/Tobacco-Atlas-2015-Arabic-Web.pdf

OMS (2007) Les solutions de remplacement économiquement viables à la production de tabac, Bangkok, Thaïlande, 30 juin-6 juillet.

PERSPECTIVES MONDE (2018) Production de tabac brut en Algérie.

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=DZA&codeThem e=5&codeStat=RSA.FAO.TobaccoUnmanufactured

SI TEYEB H. (2015) Les transformations de l’agriculture algérienne dans la perspective d’adhésion à l’OMC, thèse de doctorat en Sciences agronomiques, option Économie Rurale, Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. http://www.ummto.dz/IMG/pdf/SI-TAYEB_Hachemi.pdf

SMADHI D., ZELLA L. (2009)Céréaliculture en sec et précipitations annuelles : le cas de l’Algérie du Nord, Sécheresse, vol. 20, n° 2, avril-mai-juin.

TOULIT H. (1988) L’agriculture algérienne : les causes de l’échec, OPU, Alger.

TROCHAIN J. (1935) La production du Tabac dans les Colonies françaises, Revue de botanique appliquée et d'agriculture coloniale, 15ᵉ année, bulletin n° 166, juin, 427-446. http://www.persee.fr/doc/jatba_0370- 3681_1935_num_15_166_5511

Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde n°33-2018

Culture intensive de proximité et dommages environnementaux

Outline

Documents relatifs