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Les programmes de lutte contre la pauvreté: un nouvel élan pour l’agriculture familiale ?

2.2 Qu’est-ce que le Semi-aride ? Un regard sur ses changements

2.2.3 Les programmes de lutte contre la pauvreté: un nouvel élan pour l’agriculture familiale ?

Programme politique phare de la campagne présidentielle, mis en œuvre dès le premier mandat du président Lula, le « Fome Zero » (éradication de la faim) représente une stratégie de combat contre la faim, dont le but est de garantir le droit à la sécurité alimentaire et nutritionnelle. En dernière analyse, cette stratégie du Gouvernement fédéral contribue à la conquête de la citoyenneté de la population la plus vulnérable, et se consolide par le combat contre la pauvreté et l’inégalité sociale, à travers ses trois piliers: l’accès à l’alimentation, la création de revenus, le renforcement de l’agriculture familiale et l’articulation, la mobilisation et le contrôle. Parmi les différents programmes inclus dans ces piliers, nous en présentons deux, d’une plus grande signification institutionnelle et impact social: le Programme Bolsa Família – BF (Bourse Famille), institué en 2004 (Lei 10.836/04) et le Programme National de Renforcement de l’Agriculture Familiale – PRONAF, créé dès 1995113.

La Bolsa Família est le résultat de l’unification de différents programmes de transfert de revenus déjà existants, tels que la Bolsa-Alimentação (Bourse alimentation) (Ministère de la santé), Auxílio-Gás (Aide à l’achat de gaz) (Ministère des Mines et de l’Énergie), Bolsa-Escola (Bourse de scolarité) (Ministère de l’Éducation) ainsi que le Cartão-Alimentação (Carte d’alimentation) (ancien Ministère Extraordinaire de la Sécurité Alimentaire et de la Lutte contre la Faim, et actuel Ministère du Développement Social et de la Lutte contre la Faim - MDS). Une partie des revenus de la Bolsa Família est transférée sans conditions et a

113 Source : http://www.fomezero.gov.br/artigo/juntar-esforcos-contra-a-fome, accès le 05/02/09.

pour contrepartie l’assiduité des enfants à l’école ainsi qu’aux services de santé. A l’heure actuelle, plus de 12 millions de familles sur l’ensemble du territoire national, bénéficiaires de la Bolsa Família, se trouve en situation de pauvreté ou de pauvreté extrême, et dont le revenu de chaque membre est inférieur à R$ 140,00114. La valeur du bénéfice perçu par la famille peut varier de R$ 22,00 à R$ 200,00115 en fonction du nombre et de l’âge des enfants. Les trois axes du Programme - transfert de revenus, contrepartie et programmes complémentaires - visent, respectivement, à répondre à une situation d’urgence, à l’accès à des droits sociaux fondamentaux (éducation, santé et assistance sociale) ainsi qu’à surmonter la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent ces familles. Sa gestion décentralisée est partagée par trois sphères de gouvernement (Union, États et Municipalités)116.

Le 4ème Rapport National de Suivi des Objectifs de Développement du Millénaire (2010), divulgué par le Programme des Nations Unies pour le Développement - PNUD, pointe une réduction de la population en situation de pauvreté extrême, (sur)vivant avec moins de US$

1,25 par jour et par habitant: de 36,2 millions, en 1990 à 8,9 millions, en 2008 (soit une chute de 75%). Autre point souligné par le rapport auquel contribue le BF: l’accès à l’éducation.

Pour les 7 - 14 ans, le taux a augmenté de 81%, en 1992, à 95%, en 2008, et pour les 15 - 17 ans, il passe de 18% à 50%, sur la même période. Selon le PNUD, le meilleur résultat du Brésil s’exprime dans les objectifs de lutte contre la faim, ainsi que l’augmentation de la scolarité. Soutenant que les programmes de protection sociale jouent un rôle important dans la réduction de la pauvreté et de l’inégalité, en plus de diminuer la vulnérabilité des familles, ce document désigne la Bolsa Família comme un programme-modèle servant d’exemple à d’autres pays en développement117.

Outre la Bolsa Família, le PRONAF joue un rôle essentiel dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté au Brésil, notamment en intervenant en milieu rural, là où se concentrent de graves problèmes d’accès aux services publics ainsi qu’aux conditions de production par la population laborieuse, et qui sont responsables de la profonde inégalité sociale. Dans son exposé à la I Conférence National de Développement Rural, Durable et Solidaire (2008)118, Tânia B. Araújo identifie trois problèmes centraux, laissés en héritage au Brésil par le XXème siècle: le déséquilibre macro-économique, la crise fiscale avec un fort endettement et une forte inégalité sociale. Selon la conférencière, la conception d’un nouveau modèle de développement pour le monde rural brésilien implique de surmonter les

114 Environ 47 euros (2009).

115 Environ de 8 euros à 67 euros (2009).

116 Source: MDS, http://www.mds.gov.br/bolsafamilia, accès le 11/07/10.

117 Débora Prado et Marina Pita (2010). Rumo objetivo: Brasil já alcançou algumas das metas estabelecidas nos Objetivos do Milênio, da ONU. Desenvolvimento, março/abril, p. 66-71. São Paulo.

118 Comme une initiative du Conseil National de Développement Rural, Durable et Solidaire- CODRAF, tel Conférence est réalisé en juillet 2008 à Olinda, Pernambouc.

effets de cet héritage. Dans un entretien accordé à Carta Maior (26/06/08)119 l’économiste affirme que pour contribuer à la promotion d’une nouvelle dynamique de l’agro-élevage dans le pays, il faut, dans le cas du Semi-aride, amplifier l’accès à l’eau et garantir son usage durable, consolider une nouvelle base de production, qui soit compétitive et capable de vivre avec la sécheresse et garantir de bons niveaux de revenus, amplifier fortement l’accès à la connaissance et consolider la proposition de développement basée sur la proposition « Vivre avec le Semi-aride ». Ainsi, les deux programmes cités ont un impact fondamental sur la structuration du développement rural, notamment sur la région étudiée, tout comme la proposition « Vivre avec le Semi-aride », sur laquelle nous nous attarderons plus loin (cf.

section 3.2.4).

Bien que les deux programmes cités soient liés à la réduction de la pauvreté, la Bolsa Família cherche à résoudre une situation d’urgence - la faim, la misère - qui frappe de façon indiscriminée tous les travailleurs, tandis que le PRONAF intervient dans le système de production, en ciblant l’agriculteur familial. Les deux programmes ont pour champ d’action tous les États de la Fédération, mais le PRONAF se limite à leur espace rural.

Ces trente dernières années, les problèmes sociaux issus de la « crise » de l’agriculture, face à l’accélération de l’urbanisation ainsi qu’à la réduction des postes de travail, provoquée par l’intensification technologique en milieu rural, sont traités par la démocratisation de la Prévoyance rurale (à partir de la Constitution de 1988) et par les politiques sociales de transfert de revenus, telles que la Bolsa Escola et plus récemment, la Bolsa Família. Bien qu’il ait dynamisé l’économie des petites villes du Semi-aride, dont les personnes âgées et les enfants deviennent des contributeurs décisifs du revenu familial, ce type d’ « économie sans production » est questionné par certains auteurs, qui contestent son caractère durable (Katz et Lima, 1993 cités par Sabourin et Tonneau, 2009). En tentant de consolider un processus de changement substantiel, les acteurs sociaux et les pouvoirs publics revalorisent les politiques centrées sur l’agriculture familiale. Discourant sur l’importance de ces politiques pour le développement rural du Semi-aride, le représentant de l’Asa-PE et de l’ONG Centre Sabiá120 aperçoit une perspective de maintien à la terre.

« Même si la faim n’a pas encore été éliminée, on peut en observer la diminution. On crée de l’espoir, de l’amour-propre, à partir de la valorisation du rôle de l’agriculture familiale dans une perspective non seulement environnementale, mais également économique. Le développement du monde rural participe au développement urbain, non seulement à travers la production d’aliments, mais surtout de la création de revenus et de postes de travail, diminuant ainsi la pression exercée sur les capitales et les villes-pôles. Le développement rural permet aux familles de choisir de rester à la terre dans la dignité, avec le choix de la qualité, l’accès à l’eau et aux aliments » (Aldo Santos, 2007).

119 Carta Maior, 26/06/08, Marco Aurélio Weissheimer. « Idéias para a construção de um novo rural brasileiro ».

120 Aldo Santos, interviewé en juillet 2007.

Sous la responsabilité du Ministère du Développement Agraire – MDA, le Programme National d'Appui à l'Agriculture Familiale-PRONAF, bénéficie de crédit les petits producteurs ruraux développant l’agriculture familiale. Tel programme vise à renforcer les activités de ces producteurs afin de les professionnaliser et de moderniser leur système productif. Il s’agit alors d’apporter une valeur ajoutée à leurs produits et à leur propriété ainsi que de réunir les conditions nécessaires à leur intégration dans la chaîne de l’agro-business. Dans ce sens, le PRONAF permet d’augmenter le revenu familial, d’améliorer les conditions de vie du producteur et de sa famille et aussi d’augmenter l’offre des aliments de base sur le marché national121. Comme le signalent Eric Sabourin et Jean Philippe Tonneau (2009)122 le PRONAF, créé par le gouvernement FHC, en 1995, a été considérablement amplifié et diversifié dans le gouvernement Lula.

En comparant l’évolution du PRONAF, nous constatons que le nombre de contrats sous la première gestion de Lula (2003-2006) double par rapport au nombre de contrats réalisés lors de la seconde gestion de Fernando Henrique Cardoso (1999-2002), tandis que la valeur financière est multipliée par trois. Dans la seconde gestion de Lula (2007-2009), bien que les contrats soient en réduction, le financement continue d’augmenter, et représente une moyenne de R$ 9,6 milliards financés sur trois ans (2007-2009) (cf. tableau 2.7).

Tableau 2.7 : Nombre de contrats et volume du crédit du PRONAF par année fiscale Source: Ministère du Développement Agraire – MDA (2010), http://smap.mda.gov.br/

Dans sa phase récente, avec l’influence des mouvements sociaux, le PRONAF s’est diversifié afin de faire face à la multiplicité des situations de l’agriculture familiale, en variant les modalités de lignes de crédit: Agro-industrie, Agro-écologie, Eco, Forêt, Semi-aride,

121 Source : MDA, http://www.mda.gov.br, accès le 05/06/2010.

122 Jean Philippe Tonneau e Eric Sabourin, « Agriculture familiale et politiques publiques de développement territorial : le cas du Brésil de Lula », Confins, mis en line en 20 mars 2009. Source : http://confins.revues.org/index5575.html, accès le 28/04/2010.

Femme, Jeune, entre autres. Plus spécifiquement, le crédit PRONAF Semi-aride est destiné au financement d’investissements dans des projets « vivre avec le Semi-aride», visant la durabilité des agro-systèmes. La priorité du crédit va à l’infrastructure hydrique et à l’implantation, l’amplification, la récupération ou la modernisation des autres infrastructures, y compris celles liées à des projets de production et de services, de l’agro-élevage ou non (MDA, 2010).

Évidemment, les 15 ans d’existence du programme permettent son évolution tant en termes de couverture géographique, que du montant financé. De plus, l’inclusion de programmes spéciaux est essentielle pour atteindre les différentes catégories, offrir une assistance technique et renforcer l’infrastructure productrice des agriculteurs et des communes concernées. L’incapacité des producteurs familiaux à assumer les financements pratiqués sur le marché sert à justifier en grande partie le montant de l’opération du crédit, ainsi que l’application de taux d’intérêt et de conditions spéciales de paiement. Ainsi, le PRONAF, par principe, se base sur les conditions de financement différenciées du marché et propose une gamme d’actions alternatives pour encadrer les producteurs en fonction de leur capacité d’endettement.

L’évaluation réalisée par Guanziroli (2007)123 au bout de dix ans d’exécution du PRONAF (1995-2005) conclut que la stratégie d’exécution du programme ne priorise pas certaines chaînes de production dans quelques régions du pays, ce qui aboutit à un crédit pulvérisé et provoque le gaspillage et l’indéfinition des impacts sur la production et le social.

« Il ne s’agit pas, donc, d’implanter des politiques à court terme, en fonction des seuls objectifs sociaux d’ordre individuel, mais de secourir et consolider, entre autre choses, les chaînes de production qui forment la colonne vertébrale d’un groupe de communes, de façon à gagner en compétitivité et pouvoir, ainsi, combattre la pauvreté rurale de façon effective » (Guanziroli, 2007).

Cependant, l’auteur reconnaît l’impact considérable sur l’agriculture brésilienne à la période étudiée, favorisé par la possibilité, pour les agriculteurs familiaux, d’investir dans leurs activités et d’amplifier les surfaces cultivées. Selon lui, il est nécessaire de perfectionner et des renforcer les mécanismes de contrôle social, ainsi que de diriger le crédit vers certaines chaînes de ´production sélectionnées a priori dans quelques régions, qui doivent pouvoir bénéficier de « Plans de Développement Territorial»124 bien élaborés.

En ce qui concerne ce sujet, les Plans de Développement Territorial élaborés par le MDA orientent les actions pour appuyer le développement rural et l’agriculture familiale. Sabourin et Tonneau (2009) remarquent qu’au Nordeste, l’appui aux attributs spécifiques des

123Carlos E. Guanziroli (2007). PRONAF 10 ans après: résultats et perspectives pour le développement rural.

Revista de Economia e Sociologia Rural vol.45 no. 2 Brasília. Source: http://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0103-20032007000200004&script=sci_arttext, accès le 02/08/09.

124 Ces instruments de planification ont été adoptés pour orienter les stratégies de développement des zones situées dans le champ d’action du Ministère du Développement Agraire - MDA.

territoires avant que l’Etat n’ait pas garanti les actifs et les infrastructures de base sont les principales contraintes au développement territorial. Ainsi, soulignent les auteurs « les régions qui peuvent valoriser les appuis spécifiques sont celles qui disposaient déjà des infrastructures : les pôles irrigués, les bassins urbains et périurbains dotés d’agro-industries, les zones touristiques…, soit autant de situations où l’agriculture paysanne et familiale est déjà marginalisée ou sans atouts compétitifs face aux entreprises agricoles ». Néanmoins, bien que l'impact des politiques publiques de développement territorial soit mitigé, les processus d'apprentissage et d'adaptation ne sont pas inutiles, car ils représentent les

« seules voies d'actions possibles » (Sabourin et Tonneau, 2009).

Selon Sabourin et Tonneau (2009), pour éviter les entraves normatives de l'Etat il faudra encore attendre l’évolution du PRONAF, car le processus de sa mise en œuvre n'a pas encore réussi à libérer les agriculteurs des modèles dominants, à savoir, « le modèle technique de la modernisation » ou « le modèle bureaucratique de l'élaboration top down » ou encore « le modèle politique de l'assistencialisme ». Néanmoins, le territoire, privilégié par le MDA, met en lumière l'enjeu du développement territorial. Ce dernier, résultant de

« l'interaction entre des dynamiques locales productives, sociales et institutionnelles et les interventions de l'Etat », représente « l'ancrage spatial et rural du développement durable » (Sabourin et Tonneau, 2009).

Les programmes sociaux, tels que la Bolsa Família et le PRONAF, bien que coupés de la base territoriale, ont, sans aucun doute, contribué à la réduction de la pauvreté au Brésil, notamment dans les zones rurales et en particulier celles du Semi-aride. Nous nous pencherons davantage sur les politiques publiques qui unissent leurs efforts à ces Programmes, en maximisant les synergies des acteurs sociaux et en conduisant à des résultats moins pulvérisés et plus référencés sur une base territoriale. Quelles avancées pouvons-nous percevoir dans ce sens? Les stratégies territoriales seraient-elles une évolution conceptuelle et méthodologique des politiques de développement des zones rurales? Ces stratégies contribueraient-elles à la diminution effective des inégalités sociales et régionales?

2.2.4 Du développement rural au développement territorial : l’invention des