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L’irrigation comme alternative pour le développement

3.2 Le conflit d’usage de l’eau dans le Semi-aride brésilien : le fleuve São Francisco au centre des disputes

3.2.1 L’irrigation comme alternative pour le développement

D’après une étude de la Banque Mondiale (2003), du total de l’aire cultivée dans le monde (1.4 milliards d’ha.) seul 18% sont irrigués, mais répond pour 44% des 5,5 milliards de tonnes d’aliments produits. Par ces données, nous pouvons vérifier que la production agricole irriguée a une productivité de presque quatre fois supérieure à la production non-irriguée, ce qui prouve son importance, surtout si l’on considère un déficit alimentaire mondial significatif et en progression constante. La pression pour augmenter la productivité agricole se justifie également comme alternative pour réduire la pauvreté dans des zones rurales, à travers l’augmentation du revenu des agriculteurs168. Mais l’expansion de l’irrigation se heurte principalement aux limites de la durabilité des ressources hydriques, destinés à des usages divers. Si l’agriculture irriguée utilise en moyenne 72% des ressources hydriques disponibles, les secteurs industriel et domestique, n’en utilisent que

168 Selon les plus récentes estimations de la Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture - FAO (2008), le nombre de personnes affamées serait de 923 millions, soit une augmentation de plus de 60 millions par rapport à 1990-92. Plus de 70% des pauvres de la planète vivent en milieu rural. La plupart des ménages ruraux pauvres étant tributaires de l’agriculture pour une part significative de leurs revenus, accroître la productivité agricole est fondamentale pour réduire la pauvreté en milieu rural. Source : FAO, ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/i0765f/i0765f04.pdf, accès le 27/07/10.

9% et 9%, respectivement. En termes de distribution territoriale, en 2003, la majeure partie de l’aire totale irriguée au Brésil (3.150 mil ha.) se situe dans la région Sul (39%), suivie par le Sudeste (29%) puis par le Nordeste (21%) (MI, 2004).

Au Brésil, l’acte légal spécifique concernant l’irrigation vient avec la Loi Lei nº 6.662 de 25/06/79169. Dans le Nordeste, le Gouvernement fédéral l’introduit comme mesure atténuante des effets de la sécheresse, en l’associant à l’approvisionnement en eau du Semi-aride, ainsi qu’aux plans de développement de la Vallée du São Francisco. Ainsi, l’utilisation des eaux du São Francisco afin de viabiliser certains pôles agro-industriels a pour objectif d’ajouter de la valeur au produit par le biais de la mise à profit du potentiel économique de l’irrigation.

D’après le Plan du Bassin Hydrographique du São Francisco – PBHSF (2004) le fait que l’agriculture est la principale activité de ce bassin fait de l’usage de ses eaux pour l’irrigation, un atout stratégique, notamment devant la possibilité de réduction de la pauvreté. Le Bassin du São Francisco compte 342.712 ha. irrigués, parmi lesquels un peu plus du 1/3 est concerné par des projets publics (137.364 ha. entre CODEVASF et DNOCS). Dans les périmètres irrigués, ont été adoptées des cultures de plus grande valeur économique et de plus grande réponse à l’eau en tant que bien de production: céréales, fruits, légumes) et, plus récemment, le café.

Les bénéfices directs de l’irrigation sont pour le PBHSF (2004) la création significative d’emplois dans le Semi-aride: de 0,8 à 1,2 emploi direct et de 1 à 1,2 emploi indirect par ha.

irrigué, contre un peu plus de 0,2 emploi direct dans l’agriculture sèche. Outre l’amélioration de l’offre d’emplois, on constate également une amélioration du revenu170 des familles qui pratiquent l’agriculture irriguée sur lots d’irrigation. C’est pour cela que la CODEVASF estime que les programmes d’irrigation peuvent contribuer à l’équation d’un large ensemble de problèmes structurels, dans la mesure où l’agriculture irriguée du Nordeste est plus créatrice d’emplois que dans les autres régions du pays, et contribue à l’augmentation de la productivité agricole.

Les actions de la CODEVASF concernant l’irrigation sont à l’origine des 26 périmètres d’irrigation implantés et en opération dans la Vallée du São Francisco ainsi que des programmes de réhabilitation de périmètres irrigués, incluant la construction de barrages, de canaux, de puits tubulaires et « amazonas », de citernes simplifiées. Les lignes de distribution d’électricité et les routes sont des actions de caractère structurant et complémentaire. Le modèle d’implantation diversifiée des lots d’irrigations (petits lots,

169 La « Loi sur l’Irrigação », comme est intitulé le premier texte légal sur l’irrigation au Brésil, a été règlementée par le Décret nº 89.496 du 29/03/84. Source: CODEVASF, http://www.codevasf.gov.br, accès le 15/12/07.

170 Le revenu obtenu dans l’agriculture sèche traditionnelle dans la région semi-aride se situe dans les seuils les plus bas, de l’ordre de US$ 260,00/ha/an, et est extrêmement vulnérable au climat (grandes périodes de sécheresse). Dans les zones irriguées, le revenu agricole est d’environ US$ 2.500 à US$ 3.000/ha/an. (PBHSF, 2004)

destinés aux colons, et moyens et grands, acquis par des entreprises) vise à favoriser la synergie entre petits et grands producteurs. La CODEVASF coordonne l’implantation du complexe agro-industriel de la fruiticulture irriguée, tournée vers l’export, dans le Pôle Petrolina/Juazeiro.

Quelques instruments importants de planification, avec la participation d’autres institutions fédérales, renforcent la stratégie d’action dans ce Pôle, tels que le Plan Directeur pour le Développement de la Vallée du São Francisco – PLANVASF (CODEVASF / SUDENE / OEA, 1989), qui souligne la nécessité de son développement urbain et les "Études sur l’Agro-industrie dans le Nordeste » (BNB, 1990). Les études réalisées en 1990 et revues en 1998 par la BNB ont adopté le concept d’ « entreprise intégrée », c’est-à-dire, l’ensemble articulé d’activités ayant pour objectif la promotion du développement économique et social, construit et appuyé par des partenariats et coopérations entre la société et l’État.

La BNB identifie donc dix pôles de développement agro-industriel dans le NE, parmi lesquels les pôles « nord de Minas Gerais », « ouest de Bahia » et « Petrolina / Juazeiro »171, situés dans la partie semi-aride du Bassin du São Francisco. Sur le plan des investissements du gouvernement du président FHC, intitulé « Le Brésil en Action », dix « Pôles de Développement Intégré » sont considérés comme prioritaires, parmi lesquels celui de Petrolina /Juazeiro. Les avantages compétitifs du Pôle Petrolina/Juazeiro sont les suivants:

la mise à disposition de terre et d’eau de bonne qualité, une main-d’œuvre abondante, une infrastructure d’irrigation implantée et en expansion, la proximité des marchés européens et nord-américains, un cycle de production plus précoce et à haut niveau de productivité (BNB, 1998).

Quant à la viabilité d’une augmentation de la surface totale irriguée, la Loi sur l’Eau préconise en effet l’équilibre entre les différentes demandes, comme par exemple entre l’irrigation et l’électricité. La directive sur l’usage multiple de l’eau est donc le principal facteur limitant l’expansion de l’irrigation dans le Bassin du São Francisco. L’étude du PLANVASF (1989) conclut que les possibilités d’expansion des zones aptes à l’agriculture sèche sont supérieures à celles des zones irrigables, puisque que seulement 1,5 millions d’ha. sont irrigables parmi les 64 millions d’ha. du Bassin du São Francisco. C’est pourquoi l’analyse recommande de donner la priorité à l’approvisionnement des potentialités de croissance dans les zones sèches à partir de la gestion intégrée des terres, ainsi que du système hydrographique du Bassin. Toutefois, la CODEVASF, ELETROBRAS et la CHESF ont établi 800 000 ha. comme aire maximale pour l’irrigation, considérant la grande consommation d’énergie qu’exige cette activité, ainsi que la nécessité d’équilibrer les usages multiples. De surcroît, du point de vue de l’environnement, l’expansion de l’irrigation favorise la substitution de la couverture végétale, provoquant une pression sur l’usage du sol et de l’eau, et l’usage

171 Avec 24.385 km!, le Pôle Petrolina /Juazeiro abrite les communes de Lagoa Grande, Orocó, Petrolina et Santa Maria da Boa Vista, dans le Pernambouc, et Casa Nova, Curaçá, Juazeiro et Sobradinho, dans l’État de Bahia.

de produits agrochimiques dans l’agriculture irriguée peut contaminer le sol et l’eau s’ils sont utilisés de façon inadéquate9:;<

Par ailleurs, le rapport élaboré conjointement par la CODEVASF, VALEXPORT et la Banque Mondiale (2003) estime à 3,5 millions d’ha. la surface irriguée au Brésil, dont près de 500.000 ha. situés dans le Semi-aride. Parmi ces derniers, 150 000 ha sont du domaine public et sur 140 000 ha les systèmes d’irrigation sont « en opération ». L’investissement public coûte en moyenne US$ 10.531 par ha., atteignant un total US$ 2 milliards investis au long des trente dernières années, sur 200 000 ha. dans le Semi-aride. Quant à l’irrigation dans le Bassin du São Francisco, l’étude apporte quelques indicateurs: investissements réalisés de US$ 950 millions, valeur brute de la production de l’ordre de US$ 455 millions / an, revenu familial (lot de 8 ha) près de US$ 18.000 / an et 360.000 emplois créés. Le rapport conclut que ce n’est que 10 à 15 ans après l’implantation d’un périmètre bien planifié que les effets positifs se font sentir et que la complexité de l’action ne réside pas tant dans l’installation de l’infrastructure que dans la durabilité de la production, dans la participation effective des agriculteurs et dans leur insertion dans l’agrobusiness.

Le représentant de la Commission Pastorale de la Terre - CPT173 Ruben Siqueira (2007), qui a appuyé les familles déplacées pour la construction du barrage de Sobradinho par la CHESF (1974), critique la priorité accordée à l’irrigation par les politiques publiques. À son avis, ces entreprises de la CHESF concernant le PISF, ont pour objectif final l’irrigation. Ce représentant, questionne le « développement du Semi-aride programmé par et pour l’irrigation », étant donné les limites de l’expansion de cette dernière. Sur la base des résultats de l’étude financée par la Banque Mondiale (2003), citée plus haut, il souligne que sept des onze projets étudiés par l’institution sont déficitaires et « désastreux du point de vue social et environnemental ».

La critique de Siqueira nous invite à réfléchir sur le fait que si les investissements réalisés dans l’irrigation, la production d’énergie, et le transporte ont contribué à améliorer les indicateurs économiques dans la Vallée du São Francisco, ceux-ci n’ont pas été suffisants pour créer un impact positif effectif sur l’ensemble des communes de la Vallée, qui reflète toujours la même fragilité sociale du NE dans son ensemble, corroborant l’inégalité régional du pays. Les pôles de développement et plus particulièrement celui de Petrolina/Juazeiro, constituent-ils alors des exceptions?

172 Source: CODEVASF, http://www.codevasf.gov.br, accès le 15/12/07.

173 ONG liée à l’Église Catholique. De Sobradinho à la Transposition: vers où coule le fleuve São Francisco?

Texte présenté au I Encuentro Ciencias Sociales e Represas e II Encontro Ciências Sociais e Barragens, Salvador , em 22/11/07. Source: http://www.ecodebate.com.br/2007/, accès le 20/12/2007.

3.2.2 La fruiticulture irriguée et la construction du mythe de la « Californie