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PAYS, VILLE ET THÉÂTRE À L’ÉPOQUE DE NAMIKI SÔSUKE

5. Les espaces théâtral et scénique du théâtre ningyô-jôrur

5.5 Les programmes

Dès l’époque de Chikamatsu et jusqu’au déclin des deux principaux théâtres d’Ôsaka pendant les années 1760, ce sont principalement des œuvres nouvellement écrites qui étaient mises en scène, ce qui montre la vigueur créative et commerciale du ningyô-jôruri, ainsi que le caractère exigeant des « connaisseurs » (mi-gôsha 見巧者) d’Ôsaka. Jusqu’en 1736, le Takemoto-za

donnait de trois à six pièces par an (y compris les plus courts sewa-mono 世話物, pièces se déroulant dans la société contemporaine). Le Toyotake-za, plus jeune, opérait initialement à plus petite échelle, proposant seulement deux pièces par an, mais grâce aux recettes générées au moment de Chronique de Hôjô Tokiyori (1726), la première pièce de Sôsuke, il parvint à suivre le même rythme que son aîné, avec trois à quatre pièces par an. Des reprises de pièces plus anciennes eurent également lieu, et celles-ci constituaient le répertoire des troupes lorsqu’elles partaient en tournée75.

ce passage ne s’est produit que pendant l’ère Meiwa 明和 (1764-1772) ou même plus tardivement, et que les poupées de l’âge d’or ressemblaient davantage aux poupées plus simples de l’époque de Chikamatsu. Pour plus de détails sur ce débat, voir KURATA, Bunraku no rekishi 文楽の歴史, Tôkyô, Iwanami Shoten, 2013, pp. 56-66.

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Le programme annuel du théâtre kabuki se caractérisait par des productions dont le titre aussi bien que la pièce correspondaient à des thèmes saisonniers. Ces spécificités étaient moins répandues dans le théâtre ningyô-jôruri, mais le rythme du kabuki l’influença d’une manière plus subtile, comme le montre le spectacle kaomise 顔見世 (« présentation des visages ») du onzième mois, introduit dans le ningyô-jôruri par Takeda Izumo au début du XVIIIe siècle76. Il s’agit probablement d’un dispositif commercial qui profita de l’afflux de spectateurs dans le quartier de Dôtonbori pendant la période hivernale.

Sans publicité, l’échec d’une production était garanti. Même si on dispose de peu de sources sur les dispositifs publicitaires employés, on suppose que des panneaux publicitaires étaient installés devant les théâtres quelques jours avant la première représentation, à l’image du kabuki. D’autre part, un tambour taiko 太鼓 circulait dans les quartiers entourant Dôtonbori et les détails de la production étaient donnés, afin d’allécher les résidents77. Les théâtres

organisaient également des promotions : on sait que lors de la production de Sugawara denju

te-narai kagami 菅原伝授手習鑑 (Modèle de calligraphie, la tradition secrète de Sugawara,

1746) au théâtre Hizen-za 肥前座 à Edo, les enseignants des écoles terakoya 寺子屋 (évoquées dans la pièce) reçurent des cartes en bois (kiri-otoshi-fuda 切り落とし札) qui leur permettaient de bénéficier, à la date figurant dessus, d’une place au parterre à prix réduit78.

Dans l’ensemble, les théâtres se consacraient à une seule pièce principale pendant une période donnée, mais les kiri-jôruri 切 浄 瑠 璃 (« pièce de jôruri finale »), courtes représentations données après les pièces principales, pouvaient varier79. La période de la

76. Voir le chapitre 1, p. 63. 77. Ibid.

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ATANABE, Edo engeki-shi, op. cit., p. 379.

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représentation pouvait être prolongée le cas échéant : Les Batailles de Coxinga de Chikamatsu, par exemple, furent jouées pendant une période de 17 mois et aidèrent à consolider les finances du Takemoto-za. Les pièces sans succès pouvaient en revanche entraîner des pertes considérables, se trouvant vite remplacées par des reprises de pièces plus anciennes. Les interruptions entre les séries de spectacles pouvaient être d’à peine deux jours, ce qui laisse supposer un certain degré de planification des pièces et de la mise en scène.

Ces rythmes étaient variables. Asahi Shigeaki Bunzaemon 朝 日 重 章 文 左 衛 門 (1674−1718), samouraï passionné de théâtre, note dans son journal qu’un cycle de deux pièces se déroulant dans le même univers (sekai) du Soga monogatari 曾我物語 (Récit de la vendetta

des frères Soga) fut joué sur deux jours consécutifs ; un programme du début du Toyotake-za

constate que trois pièces courtes furent jouées au cours d’une journée.

Au début de l’époque du ningyô-jôruri classique, une séance comprenait des intermèdes entraînants, sans rapport avec le spectacle des poupées (ai-kyôgen 間狂言 ou « intermèdes comiques »). La pièce Les Batailles de Coxinga (1715) de Chikamatsu fut la première à rompre avec cette coutume ; les textes du ningyô-jôruri commençaient alors à s’allonger. Certains aspects de ces intermèdes étaient intégrés à la trame de la pièce.

Jusqu’à l’époque moderne, les contraintes dues à l’éclairage obligeaient à donner les représentations durant la journée. Au début du XVIIIe siècle, les représentations commençaient tôt, généralement autour de l’heure du Dragon (l’équivalent de 8 heures, selon la saison), pour se terminer généralement à l’heure du Bélier (l’équivalent de 14 heures, selon la saison), ce qui signifie que le spectacle durait six heures80.

Jusqu’au début du XVIIIe siècle, les troupes des deux théâtres permanents effectuaient de nombreuses tournées régionales, en particulier dans la région du Kamigata. Au cours de

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l’année 1695, par exemple, le Takemoto-za joua dans au moins cinq endroits différents, y compris dans les actuels départements d’Aichi, Wakayama et Kyôto, la plupart de ces sorties coïncidant avec les fêtes locales81. Les déplacements durant cette période étaient sûrs grâce à la pax Tokugawa, et les réseaux routiers se développaient, mais la plupart des voyages se faisaient à pied ou dans des palanquins peu confortables, et les auberges étaient rudimentaires. Des voyages s’effectuaient également par bateau, en particulier sur le fleuve Yodo et sur la mer intérieure de Seto. Il semble que lors de ces tournées, les troupes interprétaient non seulement les dernières pièces à succès d’Ôsaka, mais également des pièces plus anciennes. Au XVIIIe siècle, des voyages occasionnels à Edo étaient également organisés pour apporter soutien et conseils aux théâtres de ningyô-jôruri de cette métropole. Ce fut notamment le cas du Toyotake-za, qui entretenait des liens commerciaux et artistiques étroits avec le Hizen-za, fondé par un disciple de Toyotake Wakatayû.