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Les réformes de Tokugawa Yoshimune vues d’Ôsaka

PAYS, VILLE ET THÉÂTRE À L’ÉPOQUE DE NAMIKI SÔSUKE

3. L’espace urbain : la ville d’Ôsaka

3.3 Les réformes de Tokugawa Yoshimune vues d’Ôsaka

Pendant les années 1730, le ressentiment à l’égard de l’ingérence du régime central sur le marché du riz provoqua la colère d’un grand nombre de marchands d’Ôsaka. Bien que le bakufu des Tokugawa laissât peu de place à la critique ouverte de ses politiques, ces événements nous

33. Pour une étude approfondie de Saikaku, voir Daniel S

TRUVE, Ihara Saikaku : un romancier japonais du

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permettent d’entrevoir le rapport et les tensions sous-jacentes entre les citadins d’Ôsaka et le régime de Yoshimune, qui semble avoir contesté l’autonomie de la classe marchande.

Les affrontements éclatèrent au sujet des tarifs du riz. Il s’agissait de l’une des principales préoccupations politiques du régime sous Yoshimune, qui cherchait à rehausser le statut de la classe guerrière dont les allocations étaient versées sous forme de riz, considéré comme plus digne que l’argent. À partir des années 1720, la politique de Yoshimune visant à accroître les recettes du riz grâce à l’imposition plus importante des villageois et à la création de nouvelles rizières porta ses fruits, et une grande quantité de riz afflua dans les villes. La baisse du prix du riz qui en résulta impliqua une diminution du pouvoir d’achat de la classe privilégiée des samouraïs, menaçant le régime de désagrégation.

La violence des saccages (uchi-kowashi 打ち毀し) à Edo en 1733 qui résultait des prix élevés dus à la pénurie de riz suite à des catastrophes naturelles, puis la chute des prix du riz en 1735 (voir p. 124) poussa le bakufu à mettre en œuvre plusieurs mesures coercitives visant les marchands d’Ôsaka. Celles-ci comprenaient :

1. L’imposition d’un tarif minimum pour le riz qui était relativement élevé, avec une surtaxe pour les transactions effectuées à ce prix minimal.

2. L’obligation pour les marchands d’acheter du riz (kawase-mai 買わせ米) issu des réserves détenues par le régime du bakufu et les seigneurs, souvent à des prix excessifs, afin de retirer le riz excédentaire du système. Au douzième mois de 1735, par exemple, les magistrats municipaux d’Ôsaka, représentants du bakufu, ordonnèrent à un groupe de marchands de riz et de cambistes d’acheter la somme phénoménale de 130 000 koku 石 de riz, somme qui suffirait à loger et habiller le cinquième de la population d’Ôsaka pendant une année entière.

3. Des prêts forcés au régime de la part des marchands, le riz détenu par le régime servant de garantie.

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4. Des retards forcés dans le transport du riz des autres villes vers Ôsaka afin de réduire la quantité de riz disponible sur le marché de cette ville34.

Toutes ces mesures étaient préjudiciables aux marchands concernés ; cependant, les achats forcés furent considérés comme la principale mesure impossible à honorer, et soulevèrent le mécontentement d’un grand nombre de bourgeois. Les marchands suivirent d’abord les procédures établies en dressant une pétition qu’ils présentèrent aux anciens de la ville, représentants de la classe bourgeoise, pour qu’ils la communiquent aux magistrats municipaux ; mais les anciens refusèrent cette demande. Les personnes concernées prirent donc la décision inhabituelle et risquée de présenter leur pétition directement aux magistrats municipaux issus, rappelons-le, de la haute classe guerrière et nommés par le bakufu35. Selon les estimations, quelque 1 200 représentants officiels des citadins d’Ôsaka se rassemblèrent devant les bureaux des magistrats municipaux le matin du 8 du sixième mois de 1736, action collective sans précédent, afin de présenter de façon directe des pétitions de protestation aux magistrats36.

34. U

CHIDA Kusuo, « Protest and the Tactics of Direct Remonstration: Osaka’s Merchants Make Their Voices Heard », in, Osaka: The Merchants’ Capital of Early Modern Japan, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1999, pp. 84-85.

35. La « pétition directe » (jikiso 直訴) était une entorse sérieuse à la procédure administrative, si théâtrale

qu’elle figura comme motif dans les pièces de ningyô-jôruri de l’époque. Son adoption par les marchands de riz témoigne de leur désespoir. Les magistrats municipaux relayèrent néanmoins les préoccupations des marchands aux autorités à Edo. Cependant, le bakufu refusa d’examiner la proposition, car il avait besoin d’obtenir l’argent des marchands par tous les moyens possibles afin de poursuivre sa politique de refonte de la monnaie utilisée dans la région Kyôto-Ôsaka en argent. Les magistrats municipaux parvinrent à organiser un système de paiement acceptable pour les marchands concernés (UCHIDA, op. cit., p. 87).

36. U

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Ces événements nous en disent long sur la situation socio-politique d’Ôsaka à l’époque de Sôsuke. D’abord, on remarquera l’affirmation de leur autonomie par les marchands. Confrontés à des politiques coercitives de la part du régime d’Edo, ils estimèrent que leurs voix étaient dignes d’être entendues, et qu’ils pouvaient s’organiser et se rassembler pour y parvenir, même si cela nécessitait qu’ils contournent la procédure officielle. Il est clair que les marchands n’avaient aucunement l’intention de renverser le système, car la stabilité de la pax Tokugawa était une condition préalable au commerce : ils se sentirent toutefois obligés de signaler aux autorités ce qu’ils perçurent comme un déséquilibre ou une injustice au sein du système politique.

Ensuite, des documents relatifs à cet événement montrent que le régime à Edo s’intéressa de très près aux événements d’Ôsaka, utilisant le réseau de communication des courriers du Tôkaidô pour donner des ordres aux magistrats municipaux. Cela aide à corriger l’idée reçue selon laquelle le régime des Tokugawa aurait toujours adopté un principe de laisser-faire envers cette ville marchande. S’il est vrai qu’Ôsaka bénéficia généralement d’une surveillance moindre qu’Edo, elle faisait néanmoins partie du groupe des métropoles majeures du pays sous l’autorité directe des Tokugawa37.