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NAMIKI SÔSUKE ET SON MILIEU

LA TRADITION DU RÉCIT KATARI-MONO ET LE DÉVELOPPEMENT DU JÔRURI JUSQU’AU DÉCÈS DE CHIKAMATSU MONZAEMON

4. Le théâtre de l’Est : le Toyotake-za, jeune rival du Takemoto-za

4.1 L’établissement du Toyotake-za

Toyotake Wakatayû naquit sous le nom de Kawachiya Kan.emon 河内屋勘右衛門 dans une famille marchande habitant le quartier de Minami Senba 南船場 d’Ôsaka. Il tomba sous le charme des récits ningyô-jôruri à un âge précoce et renonça à travailler dans l’entreprise familiale pour devenir récitant au Takemoto-za sous le nom de Takemoto Uneme 竹本采女. Il étudia sous l’égide de Takemoto Gidayû, son aîné de 30 ans. Au troisième mois de 1702, il reçut la distinction de remplaçant de Gidayû lors de son départ en tournée, et pour cette occasion, il commanda une nouvelle pièce à un certain Ki no Kaion, Keisei Futokorogo 傾城 懐子 (La Courtisane et le nourrisson) ; cette représentation rencontra toutefois peu de succès. L’année suivante, il rassembla un groupe de camarades pour effectuer le récit du jôruri sans poupées (le su-jôruri 素浄瑠璃), mais ce projet se solda également par un échec.

Il partit en tournée, probablement après avoir quitté le Takemoto-za. Au printemps de 1703, il arriva dans la ville de Sakai, au sud d’Ôsaka. C’est là que, durant le septième mois, il rencontra son premier grand succès avec l’œuvre originale Shinjû namida no tama-i 心中泪の 玉井 (Double mort dans le puits de larmes), écrite par Ki no Kaion. Tenant compte de l’important succès de Double suicide à Sonezaki de Chikamatsu, montée deux mois auparavant au Takemoto-za à Ôsaka, la pièce est un sewa-mono (tragédie bourgeoise) traitant d’un autre double suicide récemment survenu dans le village voisin de Mozu 百舌鳥. Les méthodes dramatiques de Kaion dans cette pièce se démarquent déjà de celles de Chikamatsu, comme nous le verrons plus loin.

Uneme revint à Ôsaka où il changea de nom de scène pour devenir Toyotake Wakatayû. Encouragé certainement par son succès, il fonda en 1703 un théâtre de ningyô-jôruri en partenariat avec un certain Nagato Kurôbê 長門九郎兵衛 et rejoua Double mort dans le puits

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un succès tel que les citadins de toute la ville d’Ôsaka se mirent à fredonner les phrases du texte. Watanabe Tamotsu fait observer que cette popularité résulte probablement de l’interprétation de Wakatayû plutôt que de la qualité du texte100. Suivit une autre pièce à succès

concernant l’amour illicite de l’acteur de kabuki Kanaya Kingorô 金屋金五郎 (?-1700). Une troisième pièce connut moins de succès et, peut-être contraint par les dettes, Wakatayû vendit le théâtre à l’influente maison des Takeda 竹田家. Il retourna travailler au Takemoto-za, ce qui laisse supposer qu’il avait maintenu des relations cordiales avec ce théâtre. Il participa à l’interprétation du projet Yômei Tennô Shokunin kagami 用明天王職人鑑 (L’empereur Yômei,

modèle pour les artisans, 1705), et sa technique progressa à tel point qu’il aurait été impossible

de distinguer sa voix de celle de son maître Gidayû.

Wakatayû ne semble pas avoir été affecté par ses échecs et, vers la fin de l’année 1707, il établit un second théâtre, probablement avec le soutien financier d’un parent. Ki no Kaion s’établit alors comme l’auteur attitré du théâtre (za-tsuki sakusha 座付作者) et le resta jusqu’à sa retraite, en 1723. Le manipulateur de poupées Tatsumatsu Hachirôbê, dont nous avons souligné plus haut le succès remarquable au Takemoto-za, accompagna Wakatayû pour travailler au nouveau théâtre, occupant le poste élevé de co-gestionnaire (ai-zamoto 相座元) avec Wakatayû.

Pendant les vingt années qui suivirent, le Toyotake-za renforça sa position de principal concurrent du Takemoto-za. Pendant cette période, Kaion écrivit au moins 10 sewa-mono (tragédies bourgeoises) et 40 jidai-mono (pièces historiques), soit un rythme de deux à trois nouvelles pièces historiques par an, reflétant le calendrier théâtral de l’époque. Pendant cette période, Kaion et Chikamatsu s’empruntèrent mutuellement des thèmes, pratique répandue dans le milieu théâtral de l’époque, où la création des textes reposait sur une intertextualité sans

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rapport avec la conception moderne des droits d’auteur. Comme nous le verrons plus loin, les mérites littéraires des œuvres de Kaion sont discutables, mais le public apprécia la qualité dramatique de ses textes, et il réussit à établir sa propre tradition de dramaturge.

La consolidation du nouveau théâtre fut mise à l’épreuve durant le troisième mois de 1724, lorsque les deux théâtres principaux de ningyô-jôruri furent détruits par un incendie101. Le Toyotake-za parvint à sauver une partie des équipements et le théâtre se déplaça de façon temporaire, d’abord dans la ville de Sakai, ensuite dans le quartier de Sonezaki 曾根崎 à Ôsaka. Durant le onzième mois, Watakayû acheta le grand théâtre kabuki Arashi-shibai 嵐芝居 dans le quartier de Dôtonbori, et le Toyotake-za renaquit à temps pour l’important programme

kaomise 顔見世, premier spectacle de l’année théâtrale. La capacité de Wakatayû à tirer le

meilleur de ce programme et à faire croître le prestige de son théâtre démontre son ambition et son sens commercial.

Le grand succès de la première pièce de Sôsuke, Hôjô-jiraiki 北条時頼記 (Chronique

de Hôjô Tokiyori), en 1726 permit enfin au Toyotake-za d’acquérir une assise financière stable.

Le théâtre continua sur ce site jusqu’à son déclin en 1765, l’année suivant le décès de Wakatayû.

101. L’incendie se déclara à Minami Horie 南堀江, quartier proche du quartier de Dôtonbori, et détruisit

environ les deux tiers de la ville d’Ôsaka. On l’appela l’incendie de Myôchi (Myôchi-yake 妙知焼け), d’après la vieille femme Myôchi 妙知, supposément à son origine. Le Takemoto-za, pour sa part, reprit assez rapidement : il ouvrit à partir du quatrième mois dans un théâtre temporaire, et trois mois après parvint à mettre en scène une nouvelle œuvre (relativement coûteuse) dans le théâtre reconstruit à Dôtonbori. Cette reconstruction rapide semble devoir beaucoup au soutien financier de la maison des Takeda.

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