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Choix méthodologiques

1. Les stratégies de recueil de données

1.6. L’entretien semi-directif : un outil transversal

1.6.7. Le processus de transcription

Bulcholtz (2000 : 1461) s’appuie sur la récente émergence de la réflexivité dans les sciences sociales pour promouvoir une analyse du discours qui soit elle aussi réflexive. Pour elle, ce changement dans l’analyse du discours oral ne peut advenir qu’en faisant apparaitre les choix de transcription du chercheur. Ces choix ont en effet des implications idéologiques et des conséquences sur l’analyse des phénomènes, c'est-à-dire sur les résultats de la recherche. Elle déclare ainsi :

It is, moreover, undesirable to purge all traces of the transcriber from the transcript. We are not machines, but interpreters of texts and our transcripts must necessary select out the details most important for our analysis. Our goal should not be neutrality but responsibility. Ultimately, what is needed is a reflexive discourse analysis in which the researcher strives not for an unattainable

self-effacement but for vigilant self-awareness.1 (Bulcholtz, 2000 : 1461)

En appelant le chercheur à prendre la responsabilité de sa transcription, Bulcholtz l’encourage à expliciter ses choix, à les discuter et à présenter leurs limites. C’est cette démarche que je vais m’efforcer de suivre en présentant l’activité de transcription qui m’a permis d’obtenir un corpus écrit à partir d’entretiens.

Parmi la multitude de conventions de transcription utilisées dans la recherche, il me fallait choisir un système conforme aux pratiques scientifiques des deux disciplines auxquelles je me rattache. Or, au sein même de la sociolinguistique et de la didactique des langues, les systèmes de transcriptions sont tellement diversifiés que Maurer évoque l’image d’une « Babel universitaire » (Maurer, 1999 : 150). Cette extrême diversité illustre le fait que les

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Trad. pers. : « Par ailleurs, il n’est pas souhaitable de purger la transcription de toute trace du transcripteur. Nous ne sommes pas des machines, mais les interprètes de textes et nos transcriptions doivent nécessairement sélectionner les détails les plus importants pour notre analyse. Notre objectif ne doit pas être la neutralité, mais la responsabilité. Finalement, ce dont nous avons besoin est une analyse du discours réflexive, dans laquelle le chercheur ne recherche pas un impossible effacement de soi, mais plutôt une conscience de soi vigilante ».

choix de transcription sont bien souvent individuels et propres à un chercheur, voire à une enquête menée par ce chercheur. Comment expliquer une telle dispersion au sein de disciplines qui sont en pleine recherche d’unification et de légitimité ? Il semblerait que cette diversité ne soit pas liée aux disciplines en question, mais plutôt à l’activité même de transcription. Examinons donc plus précisément les caractéristiques de cette activité afin de mettre en évidence les possibilités qu’elle offre au chercheur.

La transcription est une étape incontournable de toute recherche qui s’appuie sur du matériau oral. Le passage de l’oral à l’écrit révèle alors toutes les tensions qui existent entre deux modes de communication singulièrement distincts. Maurer (1999 : 151) parle d’une rupture sémiologique grave. Selon lui,

la voix, par sa force, sa chaleur, ses inflexions, ses pauses, véhicule de façon simultanée bien des données que la successivité de l’axe syntagmatique et la pauvreté relative du support papier sont bien incapables de restituer. (Maurer, 1999 : 151)

Les contraintes exercées par l’axe syntagmatique et le support papier, ou le logiciel de traitement de texte, s’accompagnent de pertes d’information conséquentes. Rispail va également dans ce sens : « travailler sur l’oral ne peut se faire que si on accepte qu’on travaille avec des pertes (…) et que, paradoxalement, on va passer par la mémoire de l’écrit » (Rispail, 2011 : 174). Puisque toute transcription va de pair avec une perte d’informations, le transcripteur doit tenter de préserver les informations qu’il juge les plus importantes. Cela nécessite qu’il opère une sélection parmi les phénomènes se manifestant sur l’enregistrement. Par différents choix de transcription et en fonction de ses objectifs, il peut ainsi décider de privilégier l’intonation, les variations phonétiques, les phénomènes d’interaction au niveau des tours de parole, etc. Si l’enregistrement a été réalisé sur support vidéo, il peut également choisir de faire apparaitre gestes et mimiques dans le corpus écrit. Au-delà de la fidélité à l’enregistrement, le transcripteur doit également se soucier de la réception du produit écrit par un lecteur potentiel. La lisibilité est un critère essentiel de toute transcription. La mise au point d’un système de transcription demande donc d’effectuer un ensemble de choix qui constitue déjà un premier pas dans l’analyse. Mondada, qui a travaillé sur la transcription dans le cadre de la linguistique interactionnelle, met en évidence la complexité du processus lorsqu’elle écrit :

La transcription est une activité pratique qui « incorpore » littéralement le travail d’analyse, d’interprétation et de sélection dans des choix techniques, dans des

activités perceptives -auditive ou visuelles-, dans des gestes

d’inscription. (Mondada, 2008 : 78)

Transcrire un objet oral en objet textuel, c’est donc élaborer des choix qui sont déjà de l’ordre de l’analyse et de l’interprétation. Mes choix ont ainsi été guidés, en cohérence avec les objectifs de la recherche, par une volonté d’analyser davantage le contenu que la forme des entretiens.

Afin d’éviter d’apporter ma contribution à l’ « éparpillement » des pratiques, j’ai tout d’abord décidé de m’appuyer sur des normes de transcription existantes. Je me suis basée sur la convention ICOR1, utilisée par le groupe de recherche ICAR (Interactions, corpus, apprentissages, représentations) de Lyon rattaché au CNRS, à l’Université Lumière Lyon 2 et à l’ENS LSH. Le groupe développe une approche interdisciplinaire de l’interaction qui englobe notamment la linguistique interactionnelle, la linguistique de corpus et la didactique des langues. Il a développé ses propres standards afin de constituer une banque de données numérique nommée CLAPI (Corpus de langue parlée en interaction). En raison de thématiques convergentes et dans un souci de diffusion de ma recherche, j’ai donc choisi de m’appuyer sur le système de transcription élaboré par le laboratoire ICAR. Le texte de la convention ICOR stipule que, chaque projet de recherche ayant ses exigences en termes de transcription, il est possible d’utiliser la convention pour différents usages si l’on précise les modifications qui sont effectuées.

Conformément à la convention ICOR, j’ai donc respecté les critères suivants :

 La police utilisée est Courier, taille 10.

 Toutes les productions verbales sont transcrites en minuscule. Les majuscules sont réservées pour la notation des saillances perceptuelles.

 Les participants sont anonymisés. Ils sont identifiés en début de tour à l’aide de deux ou trois caractères.

 Chaque tour de parole constitue un paragraphe.

 L’orthographe française est utilisée pour représenter les structures segmentales phoniques.

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Convention disponible en ligne : http://icar.univ-lyon2.fr/ecole_thematique/tranal_i/documents/ Mosaic/ICAR_Conventions_ICOR.pdf (mise à jour : novembre 2007).

 Lorsque les caractéristiques phoniques le requièrent, l’orthographe peut être adaptée.

 Les structures segmentales incompréhensibles sont représentées au moyen d’une

série de caractères « X ».

 Le son allongé est noté par des « : » en respectant l’orthographe.

 Le son tronqué est suivi par « - ».

 Les segments caractérisés par une intensité accrue sont notés en majuscules. Dans un souci d’adaptation de la convention à mes propres objectifs de recherche, j’ai décidé d’omettre un certain nombre de critères. De nombreuses catégories proposées par la convention ICOR auraient été trop couteuses à intégrer en termes de temps et d’énergie. Mes enquêtes de terrain ayant pour objectif une étude des pratiques et des représentations des enseignants par une analyse de l’interaction, il n’était pas nécessaire d’alourdir la transcription avec des détails inutiles. J’ai ainsi volontairement laissé de côté les indications se rapportant : à l’enchainement immédiat, au chevauchement, au silence à valeur de tour, à l’action à valeur de tour, à l’aspiration et l’expiration. Par ailleurs, je n’ai pas jugé utile de chronométrer la durée des silences à l’aide d’un logiciel. Les pauses ont donc été mesurées par estimation perceptuelle et je distingue les micro-pauses des pauses en utilisant deux signes différents (« / » et « // »).

Afin d’améliorer la lisibilité du corpus, j’ai également effectué des modifications substantielles des indicateurs proposés dans la convention ICOR. Les phénomènes intonatifs ne sont pas indiqués avec les signes « / » et « \ » mais avec les signes utilisés traditionnellement pour l’écrit. Ainsi les montées intonatives sont notées par le signe « ? » tandis que les chutes intonatives sont indiquées avec le signe « . ». Les productions vocales sont encadrées par les signes « < » et « > » et les commentaires du transcripteur sont effectués entre crochets. De plus, les changements de langue n’étant pas prévus par la convention ICOR, ils seront mis en évidence dans la transcription à l’aide de caractères italiques.

Le système de transcription retenu tente donc de ménager les deux objectifs de fidélité et de lisibilité1. Il s’appuie sur la convention ICOR, tout en lui apportant quelques modifications essentielles destinées à faciliter la lecture du corpus. La transcription est effectuée en ayant recours à un système orthographique, bien que quelques-unes des caractéristiques majeures de

l’oralité soient conservées. La variation phonétique, elle, est effacée par l’utilisation de la norme orthographique.

Les entretiens étant destinés à l’analyse des représentations construites en interaction par les sujets, la transcription choisie correspond aux besoins d’une analyse de contenu prenant en compte les aspects interactionnels. L’indication des pauses permettra de mettre en évidence les possibles hésitations. Les sollicitations, les non-dits, pourront également être porteurs de sens dans la construction du discours pour illustrer les représentations des intervenants. Les attitudes physiques des participants, incluant la position du corps, les mimiques et la gestuelle, auraient pu apporter des informations complémentaires au discours lui-même, mais elles n’ont malheureusement pas pu être annotées dans le cadre d’enregistrements audio. En ce qui concerne la spécificité des entretiens bilingues, celle-ci est prise en compte par la mise en évidence des changements de langue. Les entretiens sont transcrits dans leur(s) langue(s) originale(s) afin que soient préservées la richesse des propos et les marques d’alternance codique. Le choix de la non-traduction a été fait pour les entretiens présentés en annexe et cités dans le corps du texte.

La discussion des choix de transcription vient clore la présentation des modalités de recueil des données sur le terrain. La transcription étant déjà un premier pas vers l’analyse, examinons maintenant quelles stratégies ont été mises en place pour poursuivre l’analyse et traiter l’ensemble des données recueillies.