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Choix méthodologiques

1. Les stratégies de recueil de données

1.5. Des observations directes avec implication douce

1.5.4. Le processus de négociation de l’observation

Une fois la grille d’observation construite, le chercheur doit préparer son entrée sur le terrain afin de pouvoir réaliser ses observations dans les meilleures conditions possibles. L’entrée et le séjour sur les lieux d’enquête font l’objet d’une négociation avec les acteurs et les responsables institutionnels du terrain.

Afin de pouvoir mener des observations dans les établissements scolaires de Chennai, j’ai dû rencontrer les directeurs/trices et leur demander une autorisation. Cette phase de

présentation de ma personne et de mon projet a été répétée dans chaque nouvelle institution. Les rendez-vous ont souvent été difficiles à obtenir et ont parfois donné lieu à des refus. Une lettre de présentation rédigée par ma directrice de thèse en Inde a grandement facilité les démarches. Cette lettre officielle, avec l’en-tête de l’Université de Madras, sollicitait pour moi un accès aux classes de langues tout en présentant rapidement mon sujet d’étude sous l’intitulé “Method and scope of teaching languages in South Indian Schools”1. Il s’agissait d’expliquer à mes interlocuteurs l’objet de mes observations tout en restant suffisamment évasif pour ne pas influencer les pratiques des enseignants. Il m’a été très difficile d’accéder aux niveaux supérieurs de la hiérarchie et de rencontrer les directeurs ou directrices des établissements. Une demande de rendez-vous par téléphone ne suffisait pas et il fallait que je me rende directement dans les locaux afin de montrer ma détermination. Lorsque je parvenais à obtenir un rendez-vous, les directeurs/trices se montraient généralement curieux de ma nationalité et de mon intérêt pour l’enseignement des langues dans leur établissement. L’explication de ma nationalité française et de ma double affiliation universitaire franco-indienne semblait susciter à la fois intérêt et méfiance. La présence d’une chercheure étrangère apportait un certain prestige à l’établissement, mais certains responsables affichaient de la réticence à ouvrir leurs portes à une personne extérieure. A l’issue d’une première étape de négociation, j’ai ainsi obtenu l’autorisation de mener des enquêtes dans huit établissements d’enseignement secondaire, auxquels s’ajoutent l’Alliance française de Madras et le Lycée français de Pondichéry.

Après avoir obtenu les autorisations nécessaires auprès des responsables d’établissements, j’ai dû choisir le rôle social que je souhaiterais occuper au sein des classes observées. Comme je l’ai expliqué dans la présentation de ma posture, j’ai opté pour une « observation à découvert » (Arborio, Fournier, 2008 : 29). Ce rôle d’observatrice assumé faisait coïncider mon rôle social avec les objectifs de mon projet de recherche. En me présentant explicitement aux enseignants de langue comme chercheure, je pouvais négocier avec eux les conditions de mes observations. Les enseignants qui acceptaient que j’observe leurs cours le faisaient alors dans le cadre d’un contrat tacite. Ils pouvaient choisir d’accepter ou de refuser ma présence en connaissant les enjeux de mes observations. Cet effort de clarification de mon rôle m’a permis de faire la transition avec une autre méthode d’enquête : les entretiens. J’avais la possibilité de poser des questions aux enseignants observés après la classe pour éclaircir certaines de leurs

pratiques. Ces échanges informels postérieurs à l’observation me permettaient de leur demander leur accord pour poursuivre mes investigations à l’aide d’un entretien enregistré. La posture à découvert a donc facilité mon introduction dans les établissements. Les enseignants observés, connaissant globalement mes objectifs de recherche, me conduisaient naturellement vers leurs collègues et me présentaient à leur manière, ce qui me permettait d’instaurer des contacts multiples et éventuellement de faire discuter les enseignants entre eux. La spontanéité des discussions entre collègues d’un même établissement m’offrait l’opportunité de confronter plusieurs sources, plusieurs regards, lorsque je m’interrogeais sur une pratique qui m’interpellait.

Il me semble important de préciser maintenant la relation que j’entretenais avec les observés à l’issue de la négociation. La négociation s’était déroulée avec les responsables institutionnels puis avec les enseignants eux-mêmes. Les observations de classes me plaçaient en face de deux catégories de personnes observées : les enseignants et les apprenants. Si la situation avait été définie à l’avance avec les enseignants, les apprenants, eux, découvraient ma présence au début de chacune des séances d’observation. Ces derniers faisaient preuve d’une grande curiosité à mon égard. Selon la manière dont l’enseignant m’avait présentée, mon statut était pour eux plus ou moins indéfini : je n’étais pas leur enseignante, j’étais assise avec les élèves dans la classe. Mon origine et la distance culturelle qui nous séparait venaient brouiller les pistes. Mon statut dans la classe variait grandement selon le cours de langue observé. Lorsque j’observais un cours de français, ma nationalité française m’apportait le prestige de la connaissance de la langue et de la culture française. L’attitude de l’enseignant à mon égard était alors souvent marquée par l’envie de montrer ses connaissances en français et par la crainte de faire des erreurs. J’occupais alors la place d’une observatrice qui possède des compétences privilégiées dans la matière enseignée. La relation avec les observés changeait lorsque j’observais un cours d’anglais. Mes compétences en anglais n’étant pas attestées par ma nationalité, les observés étaient beaucoup plus incertains quant à mon positionnement dans la classe. Ma place d’observatrice était plus neutre qu’en cours de français. J’étais moins susceptible d’être perçue comme celle qui possède la connaissance et peut porter des jugements sur la situation d’enseignement/apprentissage. Dans le cas des cours de tamoul et d’hindi, la situation s’avérait radicalement différente. Mon origine européenne laissait présager de mon absence de compétences en langues indiennes. Dès lors, la plupart de mes interlocuteurs s’interrogeaient sur ma volonté d’observer des cours dans ces deux langues. Ma place dans les cours de tamoul et d’hindi était celle d’une observatrice extérieure. J’étais

extérieure par la nationalité, par la langue, par les connaissances littéraires dans la langue et par l’ensemble des références culturelles partagées. J’occupais donc, de fait, une place à l’écart du groupe-classe. La relation avec les enseignants et les apprenants d’hindi et de tamoul était donc elle-aussi marquée par la curiosité, mais cette curiosité portait principalement sur le pourquoi de ma présence dans la classe.

La question de la relation avec les personnes observées ne peut pas être traitée sans que n’entre en compte une dimension éthique. Pour conclure cette présentation de ma méthodologie d’observation, je vais donc aborder les considérations éthiques que m’a inspirées mon séjour sur le terrain.