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Choix méthodologiques

2. Les stratégies d’analyse des données

2.1. Un corpus complexe

A l’issue du travail de terrain, les données obtenues ont été organisées au sein d’un ensemble qui constitue le corpus de la recherche. Les données, recueillies avec des méthodes diverses, présentaient une véritable hétérogénéité. Il s’agissait donc de les ordonner afin de construire un corpus cohérent qui soit à même de répondre aux objectifs de la recherche.

Pourtois, Desmet, Lahaye, dans leur réflexion sur les démarches épistémiques, évoquent la multiplicité des cheminements possibles : « dans la pratique de recherche et vue la complexité humaine, le chercheur est souvent amené à utiliser des formes hétérogènes au sein d’une même recherche » (Pourtois, Desmet, Lahaye, 2006 : 189). Olivier de Sardan, de son côté, souligne l’intérêt que présente l’éclectisme des données pour la recherche :

L’éclectisme des sources a un grand avantage sur les enquêtes fondées sur un seul type de données. Il permet de mieux tenir compte des multiples registres et stratifications du réel social que le chercheur étudie. (…) Tout plaide au contraire pour prendre en compte des données qui sont de référence, de pertinence et de fiabilité variables, dont chacune permet d’appréhender des morceaux de réel de nature différente, et dont l’entrecroisement, la convergence et le recoupement valent garantie de plausibilité accrue. (Olivier de Sardan, 1995)

Que l’on parle d’éclectisme, d’hétérogénéité ou de diversité des sources, il s’agit de prendre en compte la complexité des faits sociaux en s’appuyant sur des données multiples. Ces données sont alors croisées dans le cadre d’un dispositif d’analyse réfléchi.

Le type de données recueillies sur le terrain est directement lié aux méthodes de recueil utilisées. Recherches documentaires, procédés de recension, observations directes et entretiens semi-directifs m’ont permis de recueillir respectivement ressources documentaires, données de recension, notes d’observation (sous forme de journal d’enquête ou de prises de notes dans des grilles d’observation), et transcriptions d’entretiens. Mon corpus est ainsi constitué de :

 multiples ressources documentaires (imprimées et numériques) ;

 8 grilles de recensions ;

 un journal d’enquête ;

 34 grilles d’observation ;

 26 transcriptions d’entretiens, correspondant à 5 heures et 8 minutes

d’enregistrement.

Ce corpus forme un système comportant une double articulation. Chacun des éléments constituant le corpus correspond à un degré d’implication du chercheur sur le terrain. Les différents éléments peuvent également être mis en relation avec le contexte macroscopique ou microscopique duquel ils sont issus. Ils peuvent se rapporter d’une manière globale à la situation historique ou sociologique de l’Inde. Je parlerai alors de données contextuelles. Ils peuvent aussi être liés à des situations plus délimitées telles que l’école, la classe ou la dyade

Ressources documentaires Données de recension Notes d'observation Transcriptions d'entretiens Ressources documentaires Données de recension Notes d'observation Transcriptions d'entretiens

chercheur-enseignant. Ces différentes situations sont imbriquées les unes dans les autres, ce qu’illustre le schéma suivant :

MACRO Degré d’implication du chercheur sur le terrain MICRO

Fig. 4 Structure du corpus

Dans une volonté de mettre en place une démarche complexe, il est important de souligner les différents niveaux qui composent le corpus et de mettre en relation ces niveaux avec le tout. Mon corpus comprend ainsi quatre niveaux, dont les deux premiers (transcriptions d’entretien et notes d’observation) sont liés à l’environnement-classe et constituent le noyau du corpus. Les deux niveaux suivants (données de recension et ressources documentaires) se rapportent à l’environnement-école et société et constituent la périphérie du corpus.

Je me positionne ainsi dans ce que Blanchet appelle une « méthodologie de la complexité » (Blanchet, 2000 : 60). Le dispositif que j’ai mis en place utilise des procédés souvent considérés comme antagonistes : macro et micro, qualitatif et quantitatif, interdisciplinarité entre sociolinguistique et didactique. Je m’appuie sur l’interaction entre différents types de données pour procéder aux analyses. Ma problématique met en relation différents niveaux articulant : la situation sociolinguistique de l’Inde, les politiques

linguistiques éducatives, les stratégies individuelles dans la classe et les représentations des enseignants.

Le traitement des données ne pourra pas faire l’économie de ce que Morin appelle des « opérations de simplification »1 : séparation, unification, hiérarchisation et centralisation. Ces opérations, utilisées dans la démarche dite simplifiante, trouvent également leur place dans une démarche complexe. Elles s’avèrent essentielles pour parvenir à créer du sens à partir du foisonnement des données. La structuration des données au sein d’un système organisé permet cependant de mettre en évidence leur articulation complexe, et donc ce qui les « tisse ensemble ». Les données ainsi hiérarchisées ne peuvent pas être traitées de manière cloisonnée, en dehors de tout contexte. La mise en perspective des résultats obtenus par une opération de contextualisation fera l’objet d’une synthèse interprétative. Ainsi, loin de nier les simplifications opérées au cours de l’analyse des données, je place la complexité de ma démarche dans la construction d’un protocole de recherche qui me permet d’élargir les résultats des enquêtes dans les classes à un fonctionnement social plus général.

Pour Blanchet (2000 : 59), la réalisation d’une synthèse interprétative constitue l’un des aboutissements de la démarche ethno-sociolinguistique. Le procédé que j’ai choisi pour opérer une telle synthèse est identifié par le sociolinguiste comme une « mise en relation triangulaire » des données langagières. Il s’agit alors de mettre en relation :

[les] données langagières « objectives » observées, avec d’une part le contexte perçu de leur production et avec d’autre part les données « subjectives » recueillies auprès des locuteurs concernés (y compris l’observateur), à savoir leurs interprétations de ces données, leurs intentions prétendues, leurs motivations justificatives explicites, leurs raisonnements à ce propos, leurs croyances et leurs valeurs. (Blanchet, 2000 : 59)

Aux appellations des trois pôles proposées par Blanchet, je substituerai celle de « données langagières " objectives" » par celle de « données recueillies en milieu naturel », celle de « contexte » par celle de « données contextuelles » et celle de « données "subjectives" » par celle de « données suscitées ». Je privilégie ainsi l’opposition existant entre situation de communication naturelle et situation de communication suscitée, plutôt que celle existant entre objectivité et subjectivité, qui pourrait faire référence au concept positiviste d’objectivité. Voici donc la figure représentant la triangulation opérée dans ma recherche :

1 Cf infra, p. 33.

Fig. 5 Technique de triangulation des données

Dans mes analyses seront donc confrontés trois types de données : les données contextuelles, correspondant aux ressources documentaires, les données recueillies en milieux naturel, comprenant les grilles de recension, le journal d’observation et les grilles d’observation, et enfin les données suscitées, représentées par les transcriptions d’entretien1

.

Groulx (1997) décrit la méthode de triangulation des données comme une forme de pluralisme méthodologique. La complémentarité des méthodes est ainsi utilisée « pour réussir à comprendre les phénomènes sociaux caractérisés par leur complexité, variation et indétermination » (ibid.). Selon Groulx, l’objectif de la triangulation est de faire converger des cheminements méthodologiques différents afin de réduire les biais propres à chacune des méthodes. Mon utilisation de la triangulation ne vise cependant pas à l’objectivation de résultats simplifiants. Il ne s’agit pas de s’arrêter à une description univoque de la réalité. Dans une perspective constructiviste et complexe, j’ai fait le choix d’intégrer la triangulation dans ma démarche afin de mettre en évidence la variété des constructions possibles de la réalité. Dans cette démarche, je rejoins Olivier de Sardan lorsqu’il déclare que :

1

La correspondance entre le type de données et les axes de recherche est détaillée plus loin, sous forme de schéma, dans la figure 6, p. 84.

Données contextuelles

Données recueillies

La triangulation complexe entend faire varier les informateurs en fonction de leur rapport au problème traité. Elle veut croiser des points de vue dont elle pense que la différence fait sens. Il ne s’agit donc plus de « recouper » ou de « vérifier » des informations pour arriver à une « version véridique », mais bien de rechercher des discours contrastés, de faire de l’hétérogénéité des propos un objet d’étude, de s’appuyer sur les variations plutôt que de vouloir les gommer ou les aplatir, en un mot de bâtir une stratégie de recherche sur la quête de différences significatives. (Olivier de Sardan, 1995)

Dans mon traitement de la problématique, il ne s’agira donc pas uniquement d’identifier une tendance générale dans la gestion éducative du plurilinguisme en Inde. Il sera également important de mettre en évidence les zones de frottements, les tensions et les antagonismes existant dans les différents modes d’appréhension du plurilinguisme au niveau de la société, de l’école ou de l’individu.

La réalisation de cette triangulation des données s’appuiera sur des stratégies d’analyse qui privilégient le contenu des informations tout en prenant en compte la forme de leur émission.