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Problématique et hypothèses

3. Étudier les inégalités scolaires par une approche de parcours de vie

3.5. Problématique et hypothèses

Nos questionnements relatifs aux inégalités de trajectoires de formations selon l’origine migratoire et de leurs déterminants sont largement orientés par notre volonté d’adopter une approche en parcours de vie (voir partie 0 à la page 85). Nous nous fixons deux principaux objectifs :

a) Dans un premier temps, nous désirons étudier, observer et décrire l’étendue des inégalités de parcours scolaire selon l’origine migratoire en Suisse par l’analyse de la base de données longitudinale TREE. Nous pouvons comparer les différentes trajectoires empruntées par les jeunes scolarisés en Suisse selon leur origine migratoire.

b) Dans un deuxième temps, nous désirons identifier et étudier les principaux déterminants et mécanismes qui expliquent les inégalités de trajectoires scolaires selon l’origine migratoire. Nous focalisons notre attention sur un cas précis, les descendants d’immigrés albanophones d’ex-Yougoslavie, par une approche qualitative, par l’analyse d’entretiens biographiques et de calendriers de vie, ce qui nous permet d’identifier certaines tendances, certains caractéristiques (individuelles, familiales, institutionnelles) et mécanismes qui expliquent les trajectoires de formations empruntées.

Nous nous intéresserons spécifiquement à l’impact du cumul des différentes ressources et, au contraire, des manques de ressources, des limites et freins relatifs aux trois dimensions théoriques avancées précédemment (dimensions individuelles, familiales et institutionnelles).

La problématique et les hypothèses de ce travail sont structurées autour de deux axes principaux. Le premier axe de la problématique de cette étude pose les questions suivantes : comment sont les parcours scolaires en Suisse et vers quels diplômes mènent-ils ? Sont-ils continus ou discontinus, ponctués par des réorientations ? Quelle est l’étendue des inégalités de parcours de formations entre les natifs et les descendants d’immigrés selon leur origine migratoire ? Notre volonté est donc d’approcher les inégalités scolaires non seulement par les inégalités de diplômes obtenus mais également et principalement par une approche en termes d’inégalités de parcours qui mènent vers ces diplômes ou vers une non-certification du post-obligatoire. Selon nous, les inégalités de diplômes ont bien entendu un impact considérable sur le futur des individus, mais le parcours scolaire emprunté pour atteindre un niveau de formation donné également. Nous rejoignons Pollien (2010, p.

123) dans l’idée que « la perspective classique, articulée sur l’indication du diplôme ne reflète pas les caractéristiques des parcours effectivement suivis. Le diplôme peut être l’aboutissement d’un itinéraire sinueux, oscillant entre plusieurs filières, redoublant ou s’interrompant. Il peut aussi résulter de la reconnaissance de compétences acquises lors d’expériences professionnelles ou s’ajouter à un diplôme inférieur. Il peut enfin ne jamais être obtenu, malgré plusieurs années de formation. » Ce premier axe de la problématique est de l’ordre du descriptif. Il permet d’observer et de comparer les trajectoires de formations selon le genre, le type de filière du secondaire I et selon l’origine migratoire.

Dans cette partie, nous nous intéressons particulièrement à la distinction entre les trajectoires continues (qui mènent directement vers un certain type de formation) ou au contraire aux trajectoires discontinues (ponctuées de réorientations, d’années de pause, etc.) qui retardent l’âge moyen d’obtention d’un diplôme donné.

Le deuxième axe de la problématique questionne « comment se construisent les inégalités de parcours scolaires » et s’interroge sur les déterminants des trajectoires de formations, sur les raisons (configurations spécifiques) et les mécanismes qui expliquent (en tout cas en partie) les inégalités de parcours scolaires selon l’origine migratoire. Dans ce deuxième axe de la problématique, nous nous posons les questions suivantes : qu’est-ce qui fait qu’un individu ou un groupe emprunte un certain

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type de parcours plutôt qu’un autre ? Quels mécanismes et quelles ressources individuelles, familiales ou institutionnelles font qu’un individu ou un groupe d’individu emprunte un type de trajectoire donné ? Au contraire, quels manques de ressources, quelles barrières ou obstacles impactent sur les parcours scolaires. Des approches multivariées (explicatives) permettent d’identifier les relations statistiques entre les parcours empruntés et différents facteurs explicatifs pertinents. Grâce aux analyses quantitatives, nous interrogeons l’existence d’une polarisation des parcours scolaires en Suisse, soit le fait qu’une frange des descendants d’immigrés emprunte des trajectoires de formations problématiques qui mènent vers une insertion au bas de l’échèle des certifications ou vers la non-certification. De manière complémentaire, l’utilisation de données qualitatives permet d’étudier la construction progressive des parcours scolaires et des inégalités en portant l’attention sur les étapes de formation et particulièrement sur les moments de transition institutionnalisés (par exemple la transition entre le secondaire I et le secondaire II) ou non (par exemple lors de réorientation, de changement de formation). La partie qualitative de ce travail permet d’aller plus en profondeur dans l’identification, la compréhension et l’observation de l’imbrication de différents mécanismes relatifs aux jeunes, à la famille et aux institutions qui influencent la construction des parcours scolaire.

En s’appuyant sur les deux axes de la problématique, nous émettons les hypothèses suivantes : (H1) Les parcours de formations sont largement dépendants de l’origine sociale des groupes migratoires comme cela a été démontré à maintes reprises en Suisse (voir par exemple (Bolzman et al., 2003; Hutmacher, 1993; Meyer, 2003a; Murdoch et al., 2016). Si certains groupes migratoires empruntent davantage des trajectoires discontinues et menant vers les formations professionnelles, c’est essentiellement à cause d’une origine sociale modeste. Ainsi, à origine sociale égale, les inégalités de parcours scolaires selon l’origine migratoire devraient diminuer, voir disparaître.

(H2) L’impact de l’origine sociale ne se fait pas uniquement au sein du milieu familial, entre les parents et les enfants, mais également au sein des institutions scolaires qui orientent et qui sélectionnent les élèves précocement selon leurs compétences scolaires mais aussi selon le genre, l’origine sociale et l’origine migratoire au sein des mécanismes de discrimination institutionnelle (Buchmann et al., 2016;

Haeberlin et al., 2004; Hupka & Stalder, 2004; Kronig, 2007; Meyer, 2011; Stalder & Nägele, 2011). Une fois que l’orientation est réalisée, l’organisation du système scolaire influence grandement les aspirations et les choix scolaires des jeunes et même définit les opportunités de formation (l’univers subjectif et objectif des formations accessibles). Cette deuxième hypothèse questionne l’existence d’une discrimination institutionnelle (Gomolla & Radtke, 2009) envers certains groupes de descendants d’immigrés. L’analyse des entretiens qualitatifs permettra d’identifier certains mécanismes discriminants plus ou moins institutionnalisés dans le fonctionnement du système scolaire.

(H3) Lorsque le jeune, sa famille et les agents institutionnels ont le même objectif et entreprennent des actions dans une même direction, c.-à-d. lorsqu’il y a une concordance ou un alignement entre les trois dimensions, les choix sont plus rapidement faits et les trajectoires de formations sont plus directes (Kim & Schneider, 2005). Les efforts et les actions se concentrent tous sur la réalisation d’un même objectif et forment une synergie. Au contraire, lorsque l’individu, la sphère familiale et les institutions (et leurs agents) aspirent ou orientent vers des directions différentes et entreprennent des actions afin d’atteindre des objectifs différents, les choix de formation sont plus complexes, le jeune

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doit négocier avec deux acteurs (au moins) et se retrouve tiraillé entre deux « influences » et

« soutiens » distincts au sein d’une situation antagoniste. Dans ce cas, les parcours sont davantage marqués par des difficultés et/ou des réorientations. Cette notion d’alignement entre les aspirations, l’orientation et les actions n’a été que peu étudiée dans sa relation triangulaire (l’individu, la famille et l’institution scolaire) et revêt donc un caractère résolument novateur.

En résumé, notre volonté est d’observer, de comparer les parcours scolaires selon l’origine migratoire en Suisse et d’expliquer ce qui peut créer les inégalités par l’analyse de données quantitatives longitudinales et qualitatives rétrospectives. L’analyse de récits de vie de jeunes descendants d’immigrés albanophones d’ex-Yougoslavie permettra de comprendre comment se construisent les trajectoires, les parcours de formations des individus sous l’influence de la famille, des institutions et des contextes.

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