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Les socles empiriques et théoriques de la sociologie des inégalités scolaires Les enquêtes d’envergure des années 1960-70 constituent le socle empirique qui décrit les Les enquêtes d’envergure des années 1960-70 constituent le socle empirique qui décrit les

2. S’interroger sur les inégalités scolaires

2.2. Expliquer la persistance des inégalités scolaires par la sociologie

2.2.1. Les socles empiriques et théoriques de la sociologie des inégalités scolaires Les enquêtes d’envergure des années 1960-70 constituent le socle empirique qui décrit les Les enquêtes d’envergure des années 1960-70 constituent le socle empirique qui décrit les

inégalités d’accès aux différents niveaux de formations selon les groupes (sociaux, raciaux, nationaux, de genre, etc.) et sur lequel se développent les modèles théoriques explicatifs des inégalités scolaires.

Les résultats de ces études d’envergure menées aussi bien en France, aux États-Unis qu’en Angleterre, viennent ébranler « la croyance « libérale » selon laquelle l’expansion des systèmes d’enseignement, la facilitation (légale ou matérielle) de l’accès aux études, la diffusion des croyances et des attentes

« méritocratiques » étaient en elles-mêmes des facteurs suffisants de « démocratisation » » (Forquin, 1979a, p. 91). En France, l’enquête longitudinale réalisée au sein de l’INED (basée sur un échantillon représentatif de 17000 élèves suivis pendant une décennie) a permis de confirmer la démocratisation limitée de l’enseignement et la transformation et complexification des inégalités scolaires. Les premiers résultats obtenus par Bastide et Girard (1963) mettent en évidence deux principales causes de la non-démocratisation de l’enseignement et donc des inégalités scolaires. Premièrement, ils observent que la réussite scolaire (mesurée par les notes) des élèves dépend dans une large mesure de leur classe sociale. 29% des enfants dont le père est ouvrier et 55% des enfants dont le père est cadre ont des appréciations scolaires bonnes ou excellentes. Selon eux, le milieu familial influence le développement de l’enfant et par la suite la réussite scolaire ce qui constitue la première cause de la non-démocratisation. Ainsi, ils confirment au niveau national des résultats obtenus précédemment par une enquête circonscrite au sein du département de la Seine dans laquelle Girard (1953) observait que plus le niveau social augmente, plus les jeunes réussissent scolairement et, logiquement, plus ils sont orientés dès l’âge de 11-12 ans au sein d’établissement du secondaire (entrée en 6ème). Au contraire, plus le niveau social est bas, moins ils réussissent et plus les jeunes restent au sein des établissements primaires et entrent tardivement en 6ème ou ne poursuivent pas les études au-delà de leurs 14 ans.

Selon Clerc (1964), ces différences de notations selon le milieu social semblent être davantage liées à des composantes d’ordre culturel du milieu social qu’à des différences économiques. Deuxièmement, Bastide et Girard (1963) observent qu’à un même niveau de réussite scolaire (de notes), l’orientation

diffère selon l’origine sociale. L’orientation souhaitée aussi bien par les parents que par les enseignants est également sensible à l’origine sociale et cela à performance scolaire égale (Girard & Clerc, 1964).

Au final, parmi ceux qui ont une appréciation excellente, seulement 42% des enfants d’ouvriers sont orientés au lycée, alors que c’est le cas de 89% des enfants de cadres. « C’est là la seconde cause de non-démocratisation : même à l’égalité des notes, la chance pour l’enfant d’entrer en sixième est en relation avec sa condition sociale. » (Bastide & Girard, 1963, p. 439). Ainsi, l’effet de l’origine sociale ne peut être négligé malgré l’importance des notes scolaires. Clerc (1964) montre d’ailleurs que dans le contexte parisien, les différences de choix à compétences égales expliquent davantage les inégalités scolaires que la différence de performances scolaires mesurées par les enseignants. Nous le verrons plus loin, ces deux effets de l’origine sociale sur les inégalités scolaires sont repris et interprétés de différentes manières. Le premier effet est au centre de la réflexion de Bourdieu et Passeron (1964, 1970) qui ne négligent pas pour autant le second (sous la forme de l’espérance scolaire subjective des familles selon la classe sociale), alors que (Boudon, 1973) et les chercheurs de la théorie du choix rationnel (« Rational Action Theory ») s’intéressent davantage au second effet dans l’explication des inégalités scolaires, en comparant à performances égales l’incidence de l’origine sociale dans le comportement des familles au moment du choix (Ichou & Vallet, 2012). La distinction entre les deux causes de la non-démocratisation proposée par Bastide et Girard (1963), reprise principalement sous cette forme par les théoriciens du choix rationnel, permet donc de décomposer l’impact de l’origine sociale en deux mécanismes distincts et a l’avantage de pouvoir être concrètement testée sur des données empiriques dans un va-et-vient entre théorie et données (voir par exemple Boudon (1973), Breen et Goldthorpe (1997), Erikson et Jonsson (1996) Jackson (2013)). Au contraire, les théories de la reproduction de la structure de classe (et le concept de capital culturel) sont plus difficilement opérationnalisables et davantage abstraites (Bénéton, 1975). Cet antagonisme entre les tenants du premier effet, ceux qui mettent en avant les mécanismes relatifs à l’héritage culturel, et les tenants du deuxième, ceux qui s’intéressent aux mécanismes de choix rationnel, influença grandement la sociologie de l’éducation francophone des années 1960 à nos jours, principalement au profit des premiers. Ces deux thèses sont d’ailleurs dotées d’un pouvoir antagoniste tel que leur remise en question ne pouvait qu’émaner, ou presque, du « camp adverse ». Ce n’est d’ailleurs que tardivement que des chercheurs étrangers s’attellent à confronter systématiquement la théorie de la reproduction aux données empiriques (Duru-Bellat, 2000) ou à tenter de lier/comparer les deux approches antagonistes (Glaesser & Cooper, 2014; Sullivan, 2003).

Aux États-Unis, l’« Equality of Education Opportunity Study », mieux connue sous le nom du rapport Coleman (Coleman, 1966), du nom du sociologue qui l’a dirigé, constitue le principal socle empirique, entre autres, aux théories qui prennent en considération les effets de contextes. Ce rapport a été mandaté par le département de la santé, de l’éducation et de l’assistance sociale des États-Unis au sein du Civil Rights Act de 1964 afin d’évaluer les différences d’accès à l’éducation selon la race, la religion et l’origine national. Il enquête sur plus de 650'000 étudiants et professeurs dans plus de 3'000 écoles sur l’ensemble du territoire. Ses travaux peuvent être considérés comme la pierre fondatrice de la sociologie de l’éducation moderne et de la recherche en politiques de l’éducation aux États-Unis, et cela tant par la méthode novatrice employée que par les résultats obtenus et les débats qu’ils ont suscités par la suite (Gamoran & Long, 2006).

Concernant la méthode, au-delà de la taille importante de l’échantillon, l’étude propose d’aborder la question de l’égalité sous un angle novateur pour l’époque. Les auteurs adoptent l’approche classique qui consistait à comparer l’égalité des ressources, c’est-à-dire à savoir si les écoles disposent des mêmes niveaux de financement étatique (souvent calculé par le coût moyen par élève), du même type et de la même quantité de matériel au sein des écoles, etc., mais en plus de cela, ils

considèrent également l’égalité des résultats, à savoir si les élèves atteignent le même niveau de performances scolaires et le même type de formation selon leur race, leur niveau socio-économique, leur lieu de vie, etc. L’intérêt porté sur les résultats, sur les « educational outcomes » et non sur l’égalité formelle, consiste en un reversement du questionnement sur les inégalités. Pour cela, l’équipe de recherche dispose des résultats de tests de performances standardisés auprès des élèves de 1ère, 3ème, 6ème, 9ème et 12ème années (respectivement à l’âge de 6-7 ans, 8-9 ans, 11-12 ans, 14-15 ans et 17-18 ans). Ces tests, réalisés par les professeurs au sein du cursus scolaire, reflètent les performances en compétences linguistiques, associations non-verbales, compréhension en lecture et mathématiques, mais ne sont pas pour autant considérés comme étant dénoués de jugement social. « Such tests are not in any sense "culturally fair"; in fact, their very design is to determine the degree to which a child has assimilated a culture appropriate to modern life in the United States. Cultural disadvantage should show up most markedly in tests of this sort, because they are designed to measure performance in a highly technical and sophisticated culture. » (Coleman, 1966, p. 218). Sans pour autant mettre cet argument au centre de leur explication des inégalités, comme l’ont fait par exemple Bourdieu et Passeron (1964, 1970), Coleman le considère comme étant l’un des facteurs explicatifs des différences selon l’origine ethnique et sociale. En plus des performances scolaires, les analyses s’appuient sur les caractéristiques des élèves dont l’âge, le genre, la race et l’identité ethnique, le niveau socio-économique, les attitudes envers les études et l’école, les objectifs de formation et professionnels et les attitudes raciales (évaluation de la distance sociale et des stéréotypes). Ainsi, ce rapport propose, plutôt que de se concentrer sur l’égalité formelle, d’étudier l’égalité de résultats, et donc d’évaluer si le système éducatif est capable de diminuer la relation entre origine sociale et résultats scolaires.

Le rapport Coleman est également novateur de par ses principaux résultats qui ont influencé les politiques éducatives des États-Unis pendant plus d’une décennie. En premier, les résultats confirment l’importance fondamentale de l’origine sociale sur le niveau de formation atteint mais aussi sur les compétences scolaires. Ils mettent en avant que les différences de performance scolaire entre les groupes ethniques sont avant tout liées aux différences de niveau social : « the racial differences in the dropout rate are thus sharply reduced when socioeconomic factors are taken into account » (Coleman, 1966, p. 28). En deuxième lieu, les chercheurs montrent que le lien entre le niveau de formation et les ressources de l’école (mesurées par le financement par élève, le matériel disponible, etc.) est faible (à origine sociale constante) alors que les politiques éducatives de l’époque basaient leurs actions sur le principe de l’égalité formelle. Au contraire, le rapport met en avant l’importance de l’origine sociale des élèves dans la réussite scolaire (comme étant le facteur explicatif principal), et également, (dans une moindre mesure par rapport à l’origine sociale) de l’importance du contexte de scolarisation, de la composition sociale de l’école et de la classe. « (…) the principal way in which the school environments of Negroes and Whites differ is in the composition of their student bodies, and it turns out that the composition of the student bodies has a strong relationship to the achievement of Negro and other minority pupils » (Coleman, 1966, p. 22). Ainsi, les enfants désavantagés et des minorités ethniques, scolarisés au sein de classes intégrées (ayant un certain niveau de mixité sociale et raciale) ou au sein de classes « blanches », en bénéficient.28 Fréquenter l’école avec des pairs de classes moyennes et supérieures est un avantage alors que fréquenter l’école avec des pairs issus de

28 Sur la base des résultats obtenus, Coleman affirme que la déségrégation n’affecte pas les résultats scolaires des enfants des classes moyennes ou supérieures étant donné que ces derniers sont moins sensibles aux différences de contexte de scolarisation (niveau de financement, composition sociale de la classe, etc.) car les aspirations et performances scolaires des blancs de classes moyennes ou supérieures sont davantage ancrées, entre autre par une meilleure supervision et encadrement des parents par rapport aux familles populaires, d’ailleurs plus souvent monoparentales (Coleman, 1966).

classes modestes est un désavantage. Par exemple, « particular individuals who might never consider dropping out if they were in a different high school might decide to drop out if they attended a school where many boys and girls did so» (Coleman, 1966, p. 201) ou encore le fait que « children who themselves may be undisciplined, coming into classrooms that are highly disciplined would take on the characteristics of their classmates and be governed by the norms of the classrooms. So that middle class values would come to govern the integrated classrooms. » (Coleman, 1975). Ainsi, la déségrégation formelle n’a pas contribué grandement à l’augmentation du niveau de formation dans les zones urbaines étant donné qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une déségrégation sociale réelle, d’une augmentation de la mixité sociale, et donc raciale, au sein des écoles. Les politiques éducatives qui se basaient sur le principe de la compensation (principalement financière) n’ont donc pas eu l’effet escompté sur le niveau de formation atteint et n’ont pas engendré un processus de démocratisation scolaire. Au final, cette étude suggère que le niveau social des étudiants au sein d’une école, plutôt que la composition raciale, est le facteur principal de l’effet d’établissement. Coleman propose donc de créer une plus grande mixité en permettant aux noirs défavorisés d’accéder aux écoles « blanches » de classe moyenne, entre autres par la mise en place de transports par bus d’écoliers. Cette proposition n’a finalement pas obtenu l’effet escompté étant donné que les familles blanches de milieux sociaux favorisés ont préféré (souvent en déménageant) scolariser massivement leurs enfants au sein d’établissements, privés ou non, où le niveau d’exigence n’était pas mis en péril par l’arrivée de populations pauvres et/ou d’une autre origine ethnique (Coleman, Kelly, & Moore, 1975), renforçant au final la ségrégation dans certaines régions. En plus de cet échec, nous pouvons également mentionner le fait que ce travail a été souvent mal interprété lui attribuant faussement la conclusion que l’organisation scolaire n’a pas d’importance dans la détermination des résultats et des inégalités et que seule la famille prime. Beaucoup de chercheurs affirment que pour améliorer l’égalité réelle, il faudrait augmenter le niveau socio-économique, et plus particulièrement le revenu, des familles défavorisées. Cependant, cela correspondrait à dire à tort que seules les ressources financières déterminent les résultats scolaires. Coleman et al. (1966), à l’inverse, mentionnent que les performances scolaires s’expliquent par une superposition de facteurs, dont le contexte social au sein de la classe et de l’école. Ainsi, il était possible de mesurer pour la première fois comment et dans quelle mesure le système d’enseignement est capable de compenser, ou non, les inégalités scolaires entre les élèves, aussi bien au niveau des inputs (entre autres le financement) que des outputs (soit les résultats scolaires et le niveau de formation atteint). Cependant, le rapport Coleman eu un impact limité sur la sociologie des inégalités scolaires en Europe (à l’exception des pays anglo-saxons) et particulièrement dans la sociologie francophone, marquée par l’hégémonie de la théorie de la reproduction ce qui a eu comme conséquence un développement tardif de la prise en considération des effets de contexte sur les inégalités scolaires (Duru-Bellat, 2002).

En Grande-Bretagne, plusieurs rapports et études mandatés par l’État ont démontré, dès les années 1950, des différences scolaires importantes selon l’origine sociale, comme par exemple des taux d’échec plus élevés et des performances moindres chez les enfants de travailleurs manuels (Gurney-Dixon, 1954), ou encore des grandes disparités d’accès à l’enseignement supérieur selon l’origine sociale, un rapport de 1 à 8 est observé entre les enfants d’ouvriers et les enfants de classes moyennes et supérieures (Robbins, 1963). Le rapport Plowden (1967) s’intéresse aux performances à un test scolaire des enfants à l’école primaire et propose de distinguer l’effet des variables d’ « attitude psychologiques » des parents (attitudes relatives au travail scolaire et à l’avenir scolaire de leurs enfants), des variables « objectives » (conditions de vie, revenu et niveau de formation des parents) et des variables scolaires (caractéristiques des maîtres et équipement des écoles). Les résultats montrent un impact plus important des variables d’attitude, puis des variables scolaires et finalement des

variables objectives (qui expliquent seulement un quart de la variance de performance au test). Ainsi, ces conclusions, à l’égal de celles du rapport Coleman (1966) aux États-Unis, peuvent inciter à orienter les politiques vers les familles et non vers une amélioration des conditions de scolarisation qui auront une portée limitée sur les inégalités scolaires. D’autres études sociologiques contemporaines à ces rapports (par exemple Floud, Halsey, & Martin, 1956; Fraser, 1959) montrent également que les encouragements des parents, les stratégies mises en place afin de motiver les enfants ont un impact bien plus important sur les chances d’accès au grammar schools du secondaire I par rapport aux autres caractéristiques matérielles ou des pratiques culturelles du milieu familial (comme par exemple le niveau de formation des parents, le fait de lire ou non des journaux, livres ou revues, la taille de la famille, etc.). Ainsi, les résultats précurseurs obtenus en France par l’I.N.E.D., aux États-Unis par Coleman (1966) ou encore en Grande-Bretagne orientent les débats vers des explications des inégalités scolaires que l’on pourrait qualifier de « culturalistes », liées à des pratiques culturelles familiales (elles-mêmes liées aux milieux sociaux), et dans une moindre mesure vers des explications liées aux conditions de vie ou à l’organisation du système d’enseignement (Forquin, 1979a).

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