• Aucun résultat trouvé

Problèmes liés à la causalité A. Causalité naturelle et adéquate

Vincent Brulhart *

B. Relations avec les troubles à caractère non objectivables : un phénomène de société ?

III. Problèmes liés à la causalité A. Causalité naturelle et adéquate

En bonne logique et en bonne doctrine juridique, le rapport de causalité na­

turelle permet, sur le plan factuel, de statuer sur l’existence d’un rapport de cause à effet. Telle cause invoquée a­t­elle provoqué tels effets20 ? Voilà l’enjeu de la question.

Dans le cas des lésions bénignes du rachis cervical, le problème tient à l’impossibilité de statuer dans les faits sur la causalité naturelle et ce, en rai­

son de l’absence de constatations de lésions organiques. De plus, la question est très disputée dans la science médicale de savoir si le tableau clinique men­

tionné plus haut correspond effectivement à une réalité. La difficulté provient notamment du manque de spécificité des symptômes dont se plaignent les victimes, lesquels symptômes peuvent apparaître aussi bien auprès de per­

sonnes qui n’ont pas subi d’accidents. Les médecins s’accordent sur ce dernier point, ce qui a du reste conduit certains spécialistes alémaniques à affirmer que « das typische Beschwerdebild sei schlicht ein Trugbild21 » !

On sait, en théorie juridique, les difficultés que pose la délimitation entre causalité naturelle et causalité adéquate22. Il est impossible parfois de déter­

19 ATF 132 V 65. Art. 4 et 28 LAI (dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002) : Diagnostic de « fibromyalgie » ; évaluation de l’invalidité. Il n’existe pas de motif pour l’administration ou le juge de remettre en cause le diagnostic de « fibromyalgie » bien que celui-ci fasse l’objet d’une controverse dans la communauté médicale (consid. 3). Selon la jurisprudence, les troubles so-matoformes douloureux n’entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la capacité de travail pouvant conduire à une invalidité (ATF 130 V 354 consid. 2.2.3). Il existe une présomption que les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 131 V 50). Pour les raisons qui viennent d’être exposées ci-dessus, il y a lieu de poser la même présomption en présence d’une fibro-myalgie. Voir également H. Landolt, Auswirkungen der 5. IV – Revision auf die Schadenminde-rungspflicht, Personenschaden-Forum 2007, Zurich 2007, 217 ss.

20 K. Oftinger / E. w. Stark, Schw. Haftpflichtrecht, I, Zurich 1995, 108, no 10 ss.

21 Schnider / Annoni / Dvorak / Ettlin / Gütling / Menzel / Radanov / Regard / Sturzenegger / Waltz, Beschwerdebild nach kraniozervikalen Beschlemigungstrauma, Schw. Aerztezeitung 2000, 2219 ; E. Murer, HWS – Distorsionstrauma ohne sichtbare Folgen : konstruktive Ansätze statt Schleuderkurs, Journées du droit de la circulation routière de l’Université de Fribourg, Fribourg 2002, 8.

22 V. Roberto, Schadensrecht, Bâle, 1997, 49 ss ; pour une approche originale de la notion de causalité adéquate, M. Vermot, La causalité, HAVE/REAS 2/2006, 83 ss, pour lequel la causa-

Lésions cervicales : enjeux pour le responsable et l’assureur miner si, en l’absence de l’événement considéré, le dommage se serait produit de la même façon au sens de la condicio sine qua non ; il faut en pareil cas recourir à des règles générales ; la délimitation entre causalité naturelle et adéquate perd alors son apparente clarté et l’on doit à l’extrême envisager des situations où le rapport de causalité est admis au nom d’un critère tiré de l’ex­

périence quand bien même la causalité naturelle n’existerait pas. Cela peut se présenter dans divers domaines, en matière d’atteintes à l’environnement par exemple23.

Ces situations de causalité peu claires, à l’orée desquelles on trouve aussi la causalité hypothétique24, rappellent certaines controverses dogma­

tiques relatives à l’imputabilité. D’aucuns se demandent par exemple s’il fau­

drait en tenir compte dans la détermination de la responsabilité ou dans ce­

lui du dommage réparable2. Il pourrait être intéressant dans notre contexte de rappeler la théorie ancienne dite du « champ de protection de la norme » (Schutzzwecktheorie)26, selon laquelle une règle (de responsabilité) ne viserait pas à couvrir tous les dommages possibles et envisageables. Cette concep­

tion se distingue de la théorie de la causalité notamment en ceci qu’elle ne table pas sur une probabilité. Il s’agirait, selon cette approche, de répondre à trois questions : (1) La victime fait­elle partie du cercle des personnes pro­

tégées ? (2) La disposition en question vise­t­elle à protéger le bien juridique concerné ? (3) Le dommage relève­t­il de la catégorie de ceux que la norme en cause vise à prévenir ? Par ailleurs, la prévisibilité est appréciée différem­

ment : dans la causalité, on renvoie à une prévisibilité toute générale réfé­

rence prise de l’expérience de la vie, tandis que selon la théorie du champ de protection, la prévisibilité est déterminante au moment d’adopter la dis­

position en question. Cette conception a connu plus de succès en Allemagne qu’en Suisse où elle ne trouve guère à s’appliquer qu’en matière de préjudice de fortune découlant d’actes illicites27. A y regarder de plus près, il se pourrait bien qu’il s’agisse là d’un procédé qui n’a rien d’étranger à notre discussion.

En matière d’assurance­invalidité, ne faut­il pas admettre que déterminer

lité serait « adéquate » en ce qu’elle permettrait d’apprécier la relation causale dans « un cadre particulier, soit répondant à une question à résoudre » (85 in medio).

23 Cf. p. ex. P.-H. Moix, Atteintes à l’environnement et remises en état, RVJ 1997, p. 325 ss. Pour les allégements de preuve de causalité en matière de dommages écologiques, cf. p. ex.

A.- S. Dupont, Le dommage écologique, Zurich 2005, 269 ss.

24 Cf. sur cette notion en particulier, F. Werro, La responsabilité civile, Berne 2005, 47, no 187 ss.

25 En ce sens qu’à défaut de pouvoir démontrer à satisfaction l’existence d’une relation de cau- salité naturelle, la responsabilité pourrait être partielle (voir p. ex. art. 56 II AP RC et Werro, CO-CR, ad art. 41, no 45 ss).

26 Roberto, cité supra n. 22, 83 ss.

27 Roberto, cité supra n. 22, 86 ss.

140

le champ de la prise en charge passe par une détermination du domaine de protection des normes ? Dire par exemple que la fibromyalgie n’entraîne pas d’invalidité au sens de l’AI, sans nier pour autant l’existence de troubles, n’est­ce pas définir en même temps l’étendue de protection de cette loi28 ? A la réflexion, il est raisonnable de procéder ainsi dans le ressort d’activité d’une institution d’assurance sociale dont l’intervention n’est pas fondée sur une cause, mais bien sur un résultat. Un tel système de prise en charge, où la cause est reléguée au profit du résultat, appelle nécessairement et ouverte­

ment des questions relatives à l’étendue de la protection garantie29. Dans des régimes reposant sur la causalité, on peut tenter d’échapper à la question, plus politique que juridique, du champ de protection garanti, bien qu’il ne faille pas se cacher que cela soit un leurre parfois ; on pense ici particulièrement à l’assurance­accidents.

Un leurre en effet dans le domaine de l’assurance­accidents, car enfin la question se pose également en cette matière, par exemple au moment d’inter­

préter certaines conditions de base qui fondent l’intervention de l’institution.

Cela vaut spécialement pour l’appréciation de la causalité là où les éléments objectifs font défaut. On doit donc sérieusement se demander si le même pro­

cédé – soit celui qui tend ouvertement à définir le champ de protection des normes – ne serait pas préférable à des formes de raisonnement embarrassées reposant sur de pures suppositions relatives à une causalité indéfinissable.

Et, à y regarder de plus près, par l’adoption de critères d’imputation objectifs, dépendant notamment de la gravité de l’accident, c’est bien la voie que pa­

raît avoir choisie le Tribunal fédéral des assurances en matière d’assurance­

accidents30. On se demande aussitôt s’il ne doit pas en aller de même en ma­

tière de droit de la RC.

28 ATF 130 V 352 ; ATF 131 V 49 ; ATF 132 V 65.

29 Sur la différence entre les modalités de prise en charge fondées sur la cause et sur le résul-tat, cf. p. ex. A. Rumo-Jungo, Haftpflicht und Sozialversicherung, Fribourg 1998 ; 87, no 158 ss ; U. Kieser, ATSG Kommentar, Zurich 2003, 18 : « Die Sozialversicherung kennt kausale und finale Versicherungszweige. Die finalen Zweige (insbesondere die IV und die berufliche Vorsorge im Obligatoriumsbereich) erbringen beim Eintritt eines bestimmten Schadens Leistungen, ohne auf die Ursache abzustellen ; demgegenüber verlangen die kausalen Zweige (z.B. die Unfallversiche-rung) zwischen dem schädigenden Ereignis (z.B. dem Unfall) und dem eingetretenen Schaden einen Kausalzusammenhang. Der Kausalzusammenhang bezeichnet insoweit eine bestimmte Abhängigkeit zwischen einer eingetretenen Wirkung (z.B. der Arbeitsunfähigkeit) und einem Sachverhalt (z.B. einem Unfallereignis) ».

30 ATF 117 V 359 ; U.147/03 (arrêt du 20 janvier 2005) ; U.101/05 (arrêt du 12 avril 2006) ; U.412/05 (arrêt du 20 septembre 2006).

Lésions cervicales : enjeux pour le responsable et l’assureur

B. Deux notions de causalité : droit social