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La jurisprudence du tribunal fédéral en droit de la responsabilité civile

Alexandre Guyaz *

C. La position de la doctrine

IV. La jurisprudence du tribunal fédéral en droit de la responsabilité civile

A. Généralités

L’abondante jurisprudence rendue en matière de traumatisme d’accélération cranio­cervical par le Tribunal fédéral des assurances ne se retrouve pas en droit de la responsabilité civile, où le Tribunal fédéral applique sans autre

118 Particulièrement intéressante à ce sujet est la remarque du Dr. Hungerbühler (p. 113), qui relève à juste titre que l’expert médical est fréquemment amené à se prononcer sur l’adéquation des symptômes à l’événement accidentel, rôle qui est en principe dévolu au juriste.

119 Voir sur ce point le récent article de Vermot, p. 83 ss.

120 Pour un exemple récent, voir l’arrêt U.150/2006 du 7 février 2007 c. 5. La Ire Cour de droit social du TF a relevé dans cette décision que l’avis des médecins reposait en l’espèce davantage sur des considérations d’ordre général que sur les données individuelles du cas et n’emportait ainsi pas entièrement la conviction. Elle a précisé cependant que des considérations reposant sur l’expérience médicale et le cours ordinaire des choses ne sont pas dénuées d’importance dans une évaluation médicale. Sans doute, mais il appartient au juge seul de déterminer où se trouve la limite entre causalité naturelle et adéquate.

Lésions cervicales : enjeux pour la victime les principes généraux concernant les rapports de causalité naturelle et adé­

quate, sans développer de règles particulières pour ce type d’accidents. Une certaine jurisprudence mérite néanmoins quelques développements de notre part dans le cadre de la présente étude : il s’agit des règles appliquées par le TF en matière de prédispositions constitutionnelles, qui jouent un rôle im­

portant dans les cas de traumatisme de type « coup du lapin », sans pour autant leur être spécifiques121.

1. La causalité naturelle

Selon la pratique bien établie de notre Haute Cour, un fait est la cause natu­

relle d’un résultat s’il en constitue l’une des conditions sine qua non. Autre­

ment dit, la causalité naturelle est toujours donnée lorsque l’on ne peut faire abstraction de l’événement en question sans que le résultat ne tombe aussi122. Il n’est à cet égard pas nécessaire que cet événement constitue la cause ex­

clusive et directe de l’atteinte à la santé, si bien que le rapport de causalité naturelle peut être admis même dans les cas où une seconde cause a été né­

cessaire, conjointement à la première, pour arriver au résultat considéré. On parle alors de cause partielle123.

L’examen du lien de causalité naturelle relève du fait, si bien que les constatations y relatives effectuées par l’autorité cantonale lient le Tribunal fédéral124, sauf s’il s’avère qu’elle a méconnu la notion même de causalité na­

turelle telle que posée par le droit fédéral12.

Incombant au lésé, la preuve du lien de causalité naturelle ne doit pas nécessairement être apportée avec une exactitude scientifique. La jurispru­

dence se contente en effet d’un degré de vraisemblance prépondérante lors­

que la preuve stricte n’est pas possible ou n’est pas raisonnablement exigible, spécialement lorsque les faits allégués ne peuvent être établis qu’indirecte­

ment et par des indices126. Par « vraisemblance prépondérante », on entend un degré de preuve supérieur à la simple vraisemblance, qui est quant à elle déjà acquise lorsque certains éléments parlent en faveur de l’existence du fait

121 Le sujet vient de faire l’objet d’un très complet exposé de jurisprudence de la part de Müller (Kausalzusammenhang), auquel nous renvoyons le lecteur qui cherche une vue d’ensemble concernant les lésions non objectivables.

122 ATF 96 II 396 c. 1 ; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 3.1.

123 Arrêt 4C.222/2004 du 12 septembre 2004 c. 2.1, non publié in ATF 131 III 12. Voir aussi Werro, ch. 208.

124 ATF 113 II 89 c. 1 ; ATF 123 III 111 c. 2.

125 ATF 128 III 25 c. 2d ; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 2.2 ; arrêt 4C.108/2005 du 20 mai 2005 c. 3.

126 ATF 130 III 324 c. 3.2 ; arrêt 4C.222/2004 du 12 septembre 2004 c. 2 non publié in ATF 131 III 12.

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considéré, même si le tribunal tient encore pour possible qu’il ne se soit pas produit. La notion de vraisemblance prépondérante n’exclut certes pas que les choses se soient déroulées autrement, mais cette alternative ne doit pas revêtir une importance significative en l’espèce, ni entrer raisonnablement en considération127.

Il convient de relever à ce stade de notre exposé que la notion de causa­

lité naturelle en droit de la responsabilité civile est strictement identique à celle ayant cours en droit des assurances sociales128, en droit des assurances privées129 ou en droit pénal130.

2. La causalité adéquate

La définition classique de la causalité adéquate que donne régulièrement le Tribunal fédéral est la même en droit de la responsabilité civile qu’en droit des assurances sociales : le lien de causalité est adéquat lorsque l’acte incri­

miné est propre, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit, de sorte que la survenance de ce résultat paraît de façon générale comme favorisée par l’acte en question131.

Il s’agit par là de fixer une limite raisonnable à l’étendue de la respon­

sabilité civile, en apportant un correctif à la notion de cause telle qu’elle est comprise en sciences naturelles, dans le but de rendre supportable la respon­

sabilité sur le plan juridique132. En d’autres termes, le juge doit vérifier dans chaque cas individuel si le dommage peut encore être équitablement imputé à l’auteur d’un acte illicite ou à celui qui en répond en vertu d’un contrat ou de la loi133. Cette fonction limitative se retrouve dans son principe en droit des assurances sociales134. Par voie de conséquence, la question de la causalité adéquate ne se pose que si un rapport de causalité naturelle a pu préalable­

127 ATF 130 III 325 c. 3.3.

128 Voir notamment l’arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 3.1, qui se réfère expressément à l’arrêt paru aux ATF 119 V 337 c. 1, lequel souligne également le fait qu’une cause partielle peut consti-tuer une cause naturelle.

129 L’arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 concerne précisément un cas d’assurance complémen-taire contre les accidents.

130 Voir par exemple l’arrêt publié aux ATF 122 IV 23, qui donne une définition de la causalité natu-relle identique à celle exposée ci-dessus.

131 ATF 96 II 396 c. 2 ; ATF 123 III 112 c. 3a ; arrêt 4C.324/2005 du 5 janvier 2006, c. 2.2.

132 ATF 96 II 397 c. 2 ; ATF 107 II 276 c. 3 ; ATF 123 III 112 c. 3a.

133 ATF 123 III 112 c. 3a ; arrêt 5C.156/2003 du 23 octobre 2003 c. 3.1 ; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 4.3 ; arrêt 4C.222/2004 du 12 septembre 2004 c. 3 non publié in ATF 131 III 12 ; arrêt 5C.88/2004 du 26 octobre 2004 c. 4.1.

134 Voir entre autres ATF 123 III 112 c. 3a.

Lésions cervicales : enjeux pour la victime ment être admis entre le fait incriminé et le dommage dont il est demandé réparation13.

L’examen de la causalité adéquate relève donc du jugement de valeur, dans le cadre duquel le juge doit user de son pouvoir d’appréciation136. Comme cette question doit être appréciée sous un angle strictement juridique, elle doit être tranchée par le juge seul et non par les experts médicaux137. Il s’agit clairement d’une question de droit138.

En examinant si le lien de causalité adéquate est réalisé dans un cas par­

ticulier, le juge doit procéder à un pronostic rétrospectif objectif139. On exa­

mine la prévisibilité objective du résultat140, ou en d’autres termes si une telle conséquence demeure dans le « champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles »141. Le Tribunal fédéral a admis en 1970 déjà que l’exigence de la causalité adéquate ne signifie pas que le résultat doit apparaître comme sur­

venant régulièrement ou fréquemment après un événement du type de celui qui est survenu, ni que seules peuvent être retenues les conséquences mé­

dicales d’un accident auxquelles on doit généralement s’attendre au vu de son déroulement et de son impact direct sur le corps du lésé142. Ainsi un lien de causalité adéquate peut­il être admis même si le résultat apparaît comme une conséquence singulière, c’est­à­dire une conséquence rare, ou une consé­

quence qui n’apparaît comme extraordinaire qu’aux yeux d’un profane, mais non pas à ceux de l’expert143. Comme la prévisibilité du résultat doit être réa­

lisée uniquement sur le plan objectif, il n’est pas nécessaire que les parties, que ce soit l’auteur ou la victime, aient pu effectivement réaliser que ce résul­

tat se produirait144. 5 janvier 2006 c. 2.2 ; arrêt 4C.368/2005 du 26 septembre 2006 c. 3.1, non publié in ATF 133 III 6.

140 ATF 101 II 73 c. 3a ; ATF 112 II 442 c. 1d ; ATF 119 Ib 345 c. 5b ; arrêt 5C.88/2004 du 26 octobre 2004 c. 4.1 non publié in ATF 131 III 61.

141 ATF 119 Ib 345 c. 5b ; arrêt 4C.324/2005 du 5 janvier 2006 c. 2.2 ; arrêt 4C.368/2005 du 26 sep-tembre 2006 c. 3.1, non publié in ATF 133 III 6.

142 ATF 96 II 396 c. 2.

143 ATF 119 Ib 345 c. 5b ; arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 4.2 ; arrêt 5C.88/2004 du 26 oc- tobre 2004 c. 4.1 non publié in ATF 131 III 61 ; arrêt 4C.368/2005 du 26 septembre 2006 c. 3.2, non publié in ATF 133 III 6. Ce principe selon lequel une conséquence singulière peut néanmoins être adéquate vaut en soi également en droit des assurances sociales : ATF 107 V 177 c. 4b ; ATF 112 V 38 c. 4b.

144 Arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003, c. 4.6.

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Ces précisions démontrent parfaitement à quel point le jugement de va­

leur effectué par le juge au cours de l’examen de la causalité adéquate dif­

fère de celui auquel se livrera l’expert chargé de déterminer s’il y a causalité naturelle, outre le fait qu’il porte sur une autre question. Cet expert, se fon­

dant sur un degré de vraisemblance scientifique prépondérante, ne retiendra que les résultats qui ne se seraient probablement pas réalisés sans l’événement considéré, alors que le juge vérifiera dans un second temps et sur la base de critères plus généraux si, en outre, les résultats en question étaient objective­

ment prévisibles.

Il convient de souligner que les critères utilisés par le Tribunal fédéral pour examiner l’existence d’un lien de causalité adéquate en matière de res­

ponsabilité civile sont strictement identiques à ceux utilisés en droit pénal. Il n’est en effet pas rare qu’il se réfère expressément dans le premier domaine à la jurisprudence développée dans le second14. En outre, la causalité adéquate est un concept interprété de la même façon en droit des assurances privées et en droit des obligations146. C’est dire que concrètement, cette notion est strictement identique en droit criminel, en droit des assurances privées et en droit de la responsabilité civile. Comme nous allons le voir, le droit des assurances sociales, dans un domaine bien déterminé, s’écarte sensiblement de cette pratique.

B. La pratique en matière de traumatisme d’accélération