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Influences psychologiques admissibles

Bénédict Winiger *

B. Influences psychologiques admissibles

Dans cette catégorie, il s’agira essentiellement de formes d’influences psycho­

logiques qui sont admises lorsqu’elles remplissent certaines conditions, mais interdites si elles dépassent le cadre fixé par la loi ou la jurisprudence.

(i) Le rapport entre bailleur et locataire. Une des formes d’influence psycholo­

gique est réglée dans l’art. 271a al. 1 c CO. Le législateur y prévoit que le congé est annulable si le bailleur l’a prononcé dans le seul but d’amener le locataire à acheter l’appartement loué. En termes de causalité, cette disposition semble interdire au bailleur d’exercer un certain type d’influence psychologique sur le locataire pour obtenir la conclusion d’un contrat. Le Tribunal fédéral a pré­

cisé la teneur de cet article1. Suite à une offre du bailleur de vendre l’appar­

tement à son locataire, ce dernier a entamé des négociations qui, toutefois, n’ont pas abouti. Le bailleur ayant été en contact avec d’autres personnes in­

téressées, il a résilié le bail. Le locataire s’est opposé à cette résiliation en fai­

sant valoir l’art. 271a al. 1 c CO et s’est notamment plaint d’avoir été mis sous pression par le propriétaire­bailleur16. La haute cour constata, notamment à la lumière des travaux préparatoires, que cette disposition avait un champ d’application très étroit. Ainsi, cet article ne s’applique pas à tous les cas de congé liés plus ou moins à une vente : « Le texte légal ne vise pas tout congé lié à une offre d’achat de la chose louée, mais seulement (…) le congé donné pour faire pression sur le locataire. »17. En d’autres termes, le bailleur ne peut pas menacer le locataire de résilier le bail pour l’amener à acheter son loge­

ment. En revanche, dit le Tribunal fédéral en s’appuyant sur la doctrine, rien n’interdit au bailleur de procéder à une résiliation même après avoir proposé au locataire la vente de l’appartement, si le congé n’a pas comme but direct de faire pression sur le locataire d’acheter le bien locatif. La distinction du Tribunal fédéral concerne ici le type de pression. Il n’exclue pas toute forme

13 Oftinger / Stark, Haftpflichtrecht II/1, § 16 n. 324 ; Roland Brehm, Berner Kommentar VI/1/3/1, 2. Aufl., OR 50, n. 24.

14 Oftinger / Stark, Haftpflichtrecht II/1, § 16 n. 326 qui renvoie à l’ATF 57 II 420.

15 ATF 4C.446/1997.

16 ATF 4C.446/1997 c. 4a.

17 ATF 4C.446/1997 c. 4c.

Causalité : influence psychologique en droit suisse de pression, mais seulement une forme spécifique. Evidemment, tout congé soumet le locataire à une pression. Ceci est le cas a fortiori si le locataire sait qu’il pourrait acheter le logement. Cette forme de pression n’est toutefois pas interdite, si elle n’est pas exercée spécifiquement pour aligner le locataire sur la proposition de vente. En termes de causalité, cela signifie que certaines influences sont interdites, si elles sont spécifiques, alors que d’autres – en quelque sorte diffuses – qui peuvent avoir le même effet, sont admises.

(ii) Le conseil médical. En dehors d’une disposition directe de la loi, la juris­

prudence a reconnu l’existence de certaines autres formes de causalité psy­

chologique. Il s’agit notamment d’influences exercées par des personnes qui se trouvent dans une situation privilégiée par rapport à la personne qu’ils in­

fluencent. Il peut s’agir aussi bien de rapports délictuels que contractuels, par exemple en cas de responsabilité pour des conseils donnés ou, plus particu­

lièrement pour la responsabilité contractuelle, les rapports entre le médecin et son patient.

La figure de base visée ici est celle où le personnel médical, par exemple un médecin, conseille un patient qui se détermine en fonction des informa­

tions obtenues. Ce cas de figure diffère de l’investigation dans la mesure où la personne influencée subit elle­même le dommage, alors que, dans les cas d’instigation visée à l’art. 0 CO, c’est le plus souvent un tiers qui est lésé. En revanche, les deux figures se ressemblent sur le plan causal, dans la mesure où l’influence d’une personne sur une autre a déterminé cette dernière dans sa prise de décision.

Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de s’exprime à ce sujet notamment dans un arrêt de 2002. Il s’agissait en l’occurrence d’un jeune homme qui souffrait de troubles d’équilibre et de vertiges d’origine neurologique. Depuis plusieurs années, il était suivi médicalement dans les Hôpitaux universitaires de X. Suite à une aggravation des troubles, il consulta à nouveau les méde­

cins de son hôpital et notamment un neurochirurgien. Ce dernier exécuta, le lendemain d’une brève consultation qui ne dépassa pas la demi­heure, une opération qui laissa de graves séquelles au patient dorénavant invalide.

Au cœur du procès se trouvait la question de l’information procurée au patient avant l’opération. Cette question nous intéresse ici plus particulière­

ment par rapport au consentement que le patient avait donné pour l’interven­

tion. Plus précisément, la question était de savoir si l’information donnée au patient était suffisante pour que ce dernier puisse se décider en connaissance de cause ou si, par une information qui ne répondait pas aux exigences lé­

gales, il avait été influencé à prendre une décision préjudiciable pour lui. En termes de causalité, le problème était de savoir si, à travers les informations émises ou retenues, le médecin avait exercé une influence indue.

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Le Tribunal fédéral constata que le médecin n’avait pas rendu le patient suffisamment attentif aux risques de l’opération et qu’il avait procédé à l’in­

tervention hâtivement, le lendemain de l’entretien déjà.

Il aborda notamment la nature des informations qui permettent un consentement éclairé du patient et constata : « Le consentement éclairé du pa­

tient doit être donné librement, et pour être valable, il ne doit être entaché ni de tromperies (mensonges du médecin), ni de pressions, et encore moins de menaces »18. En d’autres termes, le Tribunal fédéral part de l’idée que le patient doit notamment disposer de toute la liberté pour prendre sa décision.

Tout acte ou information qui limiterait cette liberté entacherait immédiate­

ment le consentement et le rendrait inefficace, parce que la volonté du patient serait altérée19.

Le Tribunal fédéral se pencha ensuite sur l’influence psychologique en tant que telle pour constater : « Les pressions d’ordre psychologique ne sont pas évidentes à définir ; il peut être en effet difficile de distinguer le conseil et la persuasion dont fait preuve un médecin consciencieux de la pression morale exercée par le praticien dont l’intensité invalide le consentement du malade ». On voit bien le problème pratique que pose ici l’influence psycho­

logique. Tout en admettant la difficulté de l’exercice, le Tribunal fédéral dis­

tingue entre le médecin consciencieux et celui qui, par opposition, violerait son devoir professionnel. Le premier se livre à deux exercices distincts : pre­

mièrement, il doit procurer au patient toutes les informations qui peuvent lui être utiles pour sa décision. Deuxièmement, il peut chercher à persuader le patient. A ce médecin consciencieux, le Tribunal fédéral oppose l’attitude inadmissible du médecin qui exercerait des pressions sur le patient le pri­

vant de la liberté indispensable à sa décision. La doctrine emprunte le même chemin en exigeant, d’une part, une « totale liberté » du patient et, d’autre part, l’obligation du médecin « de ne pas s’incliner trop hâtivement devant un refus » du patient, dont la renonciation à l’intervention pourrait provenir davantage d’une incompréhension ou d’un manque d’information que d’une sérieuse évaluation de sa situation20.

Le Tribunal fédéral nomma ici clairement le point délicat de son raison­

nement. En réalité, la différence entre les deux attitudes réside dans l’inten­

sité de l’influence exercée, où une persuasion modérée est admise alors que des pressions sont clairement rejetées.

18 ATF 4P.265/2002/ech, c. 5.2.

19 Voir ATF 4P.265/2002/ech, c. 5 ; 127 Ib 197. Par ailleurs, dans l’arrêt ATF 114 IA 358 c. 6 le Tribunal fédéral souligne l’importance fondamentale du consentement libre et éclairé du patient, sans cependant aborder la question de l’influence que le médecin serait autorisé à exercer.

20 Dominique Manaï, Les droits du patient face à la médecine contemporaine, Bâle etc. 1999, 120.

Causalité : influence psychologique en droit suisse Signalons en passant que le Tribunal fédéral a aussi spécifié le type de pression à laquelle le patient était exposé en l’espèce : « Surtout, il était indis­

pensable de permettre au malade de faire le point en lui accordant une jour­

née ou deux de réflexion avant d’être opéré, afin qu’il puisse discuter avec ses proches ou ses amis de l’opportunité de subir l’intervention proposée. On voit ainsi que le patient a été mis sous pression, à telle enseigne qu’il a été en pratique détourné de solliciter un second avis médical »21. L’explication four­

nie ici semble indiquer que, pour le Tribunal fédéral, la pression peut prendre les formes les plus diverses, par exemple un simple manque d’information22, mais aussi l’impossibilité de consulter des amis ou de laisser mûrir la déci­

sion dans un milieu extrahospitalier. En l’occurrence, le Tribunal fédéral dé­

nonça par ailleurs explicitement que le médecin ait fixé la date de l’opération pour le lendemain matin déjà, au motif qu’il ne voulait pas laisser vide la salle d’opération qui venait de se libérer pour ce jour23.

La difficulté saute aux yeux. Comment distinguer la persuasion de la pression, étant donné que ces deux attitudes diffèrent parfois seulement par leur intensité ? Où situer la limite entre les deux ? La difficulté s’accroît du reste par la demande du patient qui, la plupart du temps, ne maîtrise pas les aspects médicaux de son dossier et qui est souvent tenté de solliciter l’avis personnel du médecin. Le médecin qui répondrait par exemple « A votre place, je me soumettrais à l’opération ! » franchirait­t­il le seuil de l’influence admissible ? De même, la diversité des types de pressions apparemment en­

visagés par le Tribunal fédéral ne font qu’augmenter la difficulté.

Avec cette jurisprudence, le Tribunal fédéral entreprend une marche sur le fil du rasoir. Il reconnaît à juste titre que le médecin – et probablement même tout autre spécialiste qui agit dans le cadre de sa profession – a entre autres comme fonction d’assister son patient dans la prise de décision. Refu­

ser des conseils que le patient demande expressément reviendrait probable­

ment à une mauvaise exécution du contrat. En même temps, le Tribunal fédé­

ral veut et doit limiter l’intensité de ces influences. Le critère ultime semble être la sauvegarde de la liberté du patient, qui repose d’une part sur une in­

formation médicale suffisante et, d’autre part, sur une liberté entière dans la prise de décision. Evidemment, ce critère laisse, malgré toutes les tentatives de clarification, subsister une importante marge d’appréciation.

21 Voir ATF 4P.265/2002/ech, c. 5.4.

22 Inversement, le Tribunal fédéral souligne aussi que les informations fournies ne doivent pas provoquer chez le patient des états d’angoisse ; à ce sujet clairement par exemple ATF 117 Ib 197, 203 et indirectement 113 Ib 426 c. 2.

23 « L’usage rationnel et planifié des équipements hospitaliers, qui est un but en soi parfaitement louable, ne saurait pourtant être utilisé comme un moyen de pression pour contraindre le malade à accepter une lourde opération », ATF 4P.265/2002/ech, c. 5.4.

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Sur le plan conceptuel, cette jurisprudence semble se démarquer des règles admises pour l’instigation réglée dans l’art. 0 CO. Est considéré comme instigateur, nous l’avons vu, celui qui exerce une influence sur l’autre personne, et cela même, s’il a agi par négligence. La doctrine ne semble pas se demander, dans le cas de l’instigation, si l’influence psychologique a atteint ou dépassé un certain seuil. Il suffit que les agissements de l’instigateur aient influencé le comportement de la personne en question. La jurisprudence du Tribunal fédéral ne semble du reste pas contredire cette vision. En revanche, dans le cas du conseil médical, une certaine prise d’influence est admissible selon le Tribunal fédéral et fait parfois même partie du travail du médecin. Ce dernier peut essayer de persuader son patient, à condition de ne pas dépasser un certain seuil d’intensité dans son influence.