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La pratique en matière de traumatisme d’accélération cranio-cervical et de névrose de revendication

Alexandre Guyaz *

B. La pratique en matière de traumatisme d’accélération cranio-cervical et de névrose de revendication

S’agissant plus précisément des types d’accidents visés par le présent exposé, on relèvera tout d’abord que le Tribunal fédéral – et c’est là une différence de taille avec la pratique du TFA – considère que la gravité de l’accident n’est pas en soi un critère pertinent pour déterminer s’il y a ou non un rapport de cau­

salité adéquate entre l’accident et l’atteinte persistante à la santé147. A fortiori, on ne saurait nier d’emblée un tel lien de causalité uniquement parce que la violence du choc se situe en dessous d’une certaine limite.

La jurisprudence a également retenu que le fait de savoir si le tableau clinique présenté par le lésé pouvait être relié ou non à un diagnostic clair ne joue aucun rôle en ce qui concerne la causalité adéquate148.

145 Voir notamment les arrêts 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 c. 4.1, 5C.88/2004 du 26 octobre 2004 c. 4.1, 4C.324/2005 du 5 janvier 2006 c. 2.2 et 4C.368/2005 du 26 septembre 2006 c. 3.2, non publié in ATF 133 III 6.

146 Voir par exemple l’arrêt 5C.125/2003 du 31 octobre 2003.

147 ATF 123 III 115 c. 3c ; arrêt 4C.79/2001 du 21 juin 2001 c. 3a non publié in ATF 127 III 403 ; arrêt 4C.222/2004 du 14 septembre 2004 c. 3 non publié in ATF 131 III 12 ; arrêt 4C.327/2004 du 22 dé-cembre 2004 c. 4.2 ; arrêt 4C.402/2006 du 27 février 2007 c. 4.1.

148 ATF 123 III 110 c. 4b non publié.

Lésions cervicales : enjeux pour la victime En réalité, la différence de pratique entre le droit de la responsabilité ci­

vile et celui des assurances sociales en matière de causalité adéquate ne se limite pas aux traumatismes d’accélération cranio­cervicaux, mais s’étend à l’ensemble des cas où des troubles d’ordre psychiatrique apparaissent suite à l’accident, ne serait­ce que plusieurs mois après celui­ci149. Le Tribunal fédéral a souvent parlé à cet égard de « névrose de revendication »10, et considéré qu’un lien de causalité doit être encore admis en pareil cas, sauf s’il s’avère que l’accident ne constitue que le motif extérieur des troubles, mais qu’au surplus, ces derniers ont pour origine un défaut de volonté de la victime. La solution est inverse, et le lien de causalité adéquate réalisé, si le lésé devient invalide parce que l’accident a, en troublant son jugement et en paralysant sa volonté, créé un état dont il ne peut pas se libérer11.

Ainsi, la jurisprudence en matière de responsabilité civile s’écarte de la pratique du TFA dans l’ensemble des cas où ce dernier considère que l’inca­

pacité de travail est due à des troubles qui ne sont pas (suffisamment) établis d’un point de vue organique, soit à chaque fois qu’entre en ligne de compte, dans le cadre de l’assurance­accidents obligatoire, la jurisprudence dévelop­

pée aux ATF 11 V 133 et 117 V 39. Le Tribunal fédéral a ainsi récemment précisé qu’en dehors des cas d’application de la jurisprudence en question, le juge civil pouvait sans autre reprendre le raisonnement tenu par le juge administratif à propos du lien de causalité adéquate. Il s’agissait plus préci­

sément d’un cas de choc émotionnel consécutif à un article de presse révé­

lant le passé criminel du lésé, qui n’avait naturellement subi aucune lésion physique à cette occasion. Comme le TFA examine en pareil cas le rapport de causalité adéquate au regard des critères généraux du cours ordinaire des choses et de l’expérience générale de la vie12, notre Haute Cour a estimé qu’une application différenciée de la notion de causalité adéquate en droit de la responsabilité civile et en droit des assurances sociales ne se justifiait alors pas13. Comme l’ont démontré au moins deux arrêts ultérieurs14, on ne peut voir dans cette décision un début de rapprochement entre ces deux domaines du droit, mais elle surprend néanmoins le lecteur, qui regrette que les différentes instances impliquées n’aient pas abordé la question d’une probable prédisposition constitutionnelle, qui aurait pu expliquer pourquoi,

149 ATF 123 III 113 c. 3b. Pour l’historique de cette différence de pratiques, voir Rumo-Jungo, ch. 755 ss.

150 ATF 123 III 113 c. 3b ; arrêt 4C.50/2006 du 26 juillet 2006 c. 4.

151 ATF 96 II 391 c. 2 ; ATF 102 II 33 c. 3a.

152 ATF 129 V 177.

153 Arrêt 5C.156/2003 du 23 octobre 2003 c. 3.3 et 4.1.

154 Arrêts 4C.327/2004 du 22 décembre 2004 c. 4.2 et 4C.402/2006 du 27 février 2007 c. 4.

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dans ce cas bien précis, une telle cause avait débouché sur des troubles aussi importants1.

La différence de pratique des Tribunaux fédéraux a été longuement mo­

tivée en 1997 aussi bien par le Tribunal fédéral des assurances16 que par le Tribunal fédéral de Lausanne17. Il est rappelé tout d’abord dans ces deux ar­

rêts que l’examen de la causalité adéquate procède d’un jugement de valeur, à l’occasion duquel le juge doit tenir compte non seulement de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, mais également du but de la norme ou du com­

plexe de normes applicable. Ainsi, comme la notion de causalité adéquate constitue une clause générale qui doit être concrétisée, les buts de politique juridique de ces deux domaines du droit doivent être pris en compte18. Cette différence d’objectifs apparaît avant tout en cas de névrose de revendication, pour laquelle le TFA nie l’existence d’un rapport de causalité adéquate et re­

fuse toute prestation, en se fondant sur l’idée que le droit des assurances so­

ciales ne doit pas récompenser les tendances à la revendication, ni les favori­

ser lorsqu’elles dégénèrent en névrose. C’est de cette réflexion qu’ont découlé d’abord la jurisprudence publiée aux ATF 11 V 133 en matière de troubles psychiatriques consécutifs à un accident, puis celle inaugurée aux ATF 117 V 39 en matière de traumatismes non objectivés de la colonne cervicale19.

155 Un autre arrêt, très récent (4C.50/2006 du 26 juillet 2006 c. 4), concerne cette problématique et aurait pu laisser penser de prime abord que le Tribunal fédéral s’apprêtait à modifier sa juris-prudence en droit de la responsabilité civile, pour la rapprocher de celle en vigueur en matière d’assurances sociales. En effet, le TF y relève dans le cadre de son raisonnement que le deman-deur n’a présenté aucun argument, dans le cadre du procès civil, qui soit de nature à invalider le constat d’absence de lien de causalité retenu par le TFA.

Il s’agissait de déterminer en l’espèce s’il existait un lien de causalité adéquate entre un second accident, intervenu en octobre 1992 et un trouble dépressif invalidant intervenu en octobre 2000 seulement, suite à une intervention chirurgicale pratiquée peu avant. La Cour cantonale avait retenu l’existence d’un état maladif préexistant à l’accident d’octobre 1992, dont elle admettait qu’il ne pouvait à lui seul interrompre le lien de causalité adéquate, et principalement une ag-gravation de la pathologie due à la récente intervention chirurgicale, agag-gravation qualifiée de particulièrement déterminante. Ainsi, c’est essentiellement sur la base de ce facteur étranger postérieur à l’événement dommageable que la Cour cantonale et le TF ont retenu que le lien de causalité adéquate avait été interrompu, les circonstances postérieures reléguant l’accident à l’arrière-plan et le faisant apparaître comme lointain dans les causes du trouble dépressif actuel (c. 3.5 de l’arrêt rendu le 16 décembre 2005 par la Cour de justice de Genève).

Ainsi, c’est effectivement sur la base de critères propres au droit de la responsabilité civile que la causalité adéquate a été niée en l’espèce, et aucunement par souci de rapprocher la mise en pratique divergente de cette notion dans les deux domaines du droit concernés. La portée de cet arrêt a d’ailleurs été relativisée par le TF lui-même sept mois plus tard (arrêt 4C.402/2006 du 27 février 2007 c. 4.3).

Lésions cervicales : enjeux pour la victime En conséquence, le TF considère comme parfaitement admissible qu’un même facteur, à savoir les causes étrangères à l’accident, soit pris en consi­

dération sous deux angles différents, pourvu qu’il soit effectivement pris en considération dans les deux domaines. Intervient à ce stade de la réflexion le principe du « tout ou rien » consacré par l’article 36 al. 2 LAA, qui empêche le juge administratif de prendre en considération, par une réduction ap­

propriée des indemnités allouées, l’état maladif antérieur à l’accident si cet état n’avait au préalable aucune influence sur la capacité de gain du lésé. Or, tel n’est précisément pas le cas en droit de la responsabilité civile, où les ar­

ticles 42 à 44 CO permettent de tenir compte d’une telle circonstance dans le cadre du calcul de l’indemnité, circonstance qui n’a dès lors pas à être in­

tégrée à la réflexion au stade du lien de causalité adéquate déjà160. Ce rai­

sonnement étant tenu par les deux Tribunaux fédéraux, nous en déduisons que de façon générale, le TF et le TFA considèrent que la pratique relative­

ment schématique ayant cours en assurances sociales constitue finalement une sorte de pis­aller imposé par la disposition légale précitée, qui barre la route à une solution plus nuancée pratiquée dans les autres domaines du droit.