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Le problème général de la confiance à accorder ou refuser

Bénédict Winiger *

D. Le problème général de la confiance à accorder ou refuser

Le même problème de l’influence psychologique a parfois été posé par rapport à la « fiabilité » du conseiller. En effet, notamment par rapport aux conseils donnés dans un cadre extracontractuel, on peut se demander dans quelle mesure la personne conseillée peut se fier à son conseiller. Est­ce qu’elle peut s’en remettre aux recommendations de quiconque ou doit­elle faire preuve d’un sens critique dans le choix de ses conseillers ? En termes de causalité psychologique, la question est de savoir si la personne peut se réclamer du simple fait d’avoir été influencée ou doit­elle examiner de manière critique si cette influence émane d’une personne qui mérite d’être écoutée ?

Une partie de la doctrine considère que la crédibilité d’un conseiller doit se justifier objectivement pour que la personne conseillée puisse se prévaloir de la protection de la loi2. Toutefois, à notre avis il faut préciser ici le point suivant. Si l’incompétence de celui qui donne un conseil est manifeste, par exemple parce qu’il s’agit d’un enfant en bas age ou parce que la personne est évidemment dérangée d’esprit, on peut naturellement s’attendre à ce que la personne qui cherche conseil s’en rende compte et ne suive pas ses recom­

mandations. Si elle le suit néanmoins, elle en endosse le risque. En revanche, si cette incompétence n’est pas immédiatement manifeste et, notamment, s’il faut disposer de connaissances approfondies pour la déceler, on ne peut en principe pas reprocher au lésé d’avoir suivi un conseil. A fortiori, si le conseiller dispose de compétences particulières en la matière, par exemple un avocat ou un médecin qui donne un conseil dans un cadre extra contractuel, le crédit qui lui est accordée est ipso facto justifié objectivement. Cela signifie que, dans ce cas, on ne pourrait reprocher au lésé d’avoir suivi le conseiller et exclure ce dernier de toute responsabilité.

Dès lors, la question est de savoir dans quelle mesure le conseiller qui n’est pas lié par un contrat répond de ses conseils. De manière générale, la doctrine semble admettre que, en dehors d’un contrat, celui qui a été lésé par un conseil a comme moyen à sa disposition l’art. 41 al. 2 CO qui vise les dom­

mages infligés intentionnellement et par des faits contraires aux mœurs. Par ailleurs, on peut éventuellement considérer qu’il s’agisse d’un acte contraire à la bonne foi qui serait, par conséquent, illicite26. Notons que les deux moyens sont particulièrement étroits et offrent au lésé une protection très limitée.

Toutefois, le Tribunal fédéral a développé, il y a quelque temps déjà, une jurisprudence où il accepte, à des conditions restrictives, la responsabilité pour conseil en dehors d’un rapport contractuel. Ainsi, la personne qui agit

25 Oftinger / Stark, Haftpflichtrecht II/1, 44 s., n. 127 ss.

26 Voir notamment Brehm, BK 41, n. 46.

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pour rendre un service (Gefälligkeitshandlung) et donne, en vertu de ses compétences professionnelles, des informations non vérifiées ou des infor­

mations dont elle sait qu’elles sont fausses, ou encore en taisant des éléments essentiels dont elle connaît l’importance pour la prise de décision finale, ré­

pond en vertu de l’art. 41 CO27. Pour notre propos, nous retiendrons dans cette formulation, qui vise par ailleurs aussi l’illicéité de l’acte, surtout l’ex­

pression « qui donne des indications fausses ou passe sous silence des faits qu’il connaît et dont il doit se dire que la révélation pourrait influencer la décision de l’autre partie ». Notre haute cour vise ici explicitement l’influence – et, en d’autres termes, l’influence psychologique – qu’une information peut exercer sur la personne conseillée28. Notons par ailleurs que le fait de res­

treindre cette responsabilité aux conseils liés à la compétence profession­

nelle confirme l’idée d’une confiance objectivement justifiée exprimée par la doctrine.

On pourrait se demander si la responsabilité fondée sur la confiance a pris le relais de cette jurisprudence. Cette question est d’autant plus perti­

nente que, depuis le fameux arrêt « Swissair », les juristes contrôlent presque systématiquement si, en matière extra contractuelle, on ne pourrait pas faire valoir un rapport de confiance entre le lésé et un tiers. A titre personnel et étant donné les conditions toujours plus restrictives qui pèsent sur la respon­

sabilité fondée sur la confiance, il me paraît judicieux de garder à l’esprit la jurisprudence du Tribunal fédéral au sujet des « Gefälligkeitshandlungen » qui offre un champ d’application beaucoup plus large.

III. La place dogmatique de la causalité psychologique

On peut se demander comment situer la causalité psychologique sur le plan dogmatique. Sous l’angle de la causalité, sa place est sans doute à la fois dans le causalité naturelle et adéquate.

27 ATF 116 II 295 c. 4.

28 ATF 116 II 295 c. 4. Voir aussi ATF 96 V 100, 108 c. 5a : « Das Bundesgericht wertet Gefälligkeiten, welche weder in Ausübung eines Gewerbes noch gegen Entgelt erfolgen, als ausservertragliches Handeln (BGE 112 II 350 E. 1a mit Hinweis). Es hat dabei den Grundsatz entwickelt, dass aus Art. 41 OR schadenersatzpflichtig wird, wer aufgrund seines Fachwissens in Anspruch genom-men wird, wunschgemäss Auskünfte erteilt oder Gefälligkeitsleistungen erbringt und dabei wider besseres Wissen oder leichtfertig unrichtige Angaben macht oder wesentliche Tatsachen verschweigt, die ihm bekannt sind und von denen er sich sagen muss, dass ihre Kenntnis den in Frage stehenden Entschluss beeinflussen könnten (BGE 111 II 474 E. 3). », Voir notamment Heinrich Honsell, Die Haftung für Auskunft und Gutachten, insbesondere gegenüber Dritten, in Robert Waldburger et al (Hrsg.), Wirtschaftsrecht zu Beginn des 21. Jahrhunderts. Festschrift für Peter Nobel zum 60. Geburtstag, Bern 2005, 939 ss, 942 s.

Causalité : influence psychologique en droit suisse a. Causalité naturelle. Dans un premier temps, le juge doit décider s’il avait existé, dans le cas qui lui est soumis, un lien de causalité psychologique entre celui qui a exercé une influence et l’attitude de la personne influencée. Nous avons vu les difficultés qui peuvent surgir, dues notamment au fait que la réception ou le rejet de l’influence est un phénomène purement interne à la personne. Par conséquent, on ne connaîtra jamais avec certitude le motif qui a déterminé l’attitude de la personne sous influence. Pour pallier à ce pro­

blème, le juge a évidemment la possibilité de travailler avec des présomp­

tions, en inférant, par exemple à partir des pressions qu’il a pu établir, une influence sur la personne qui y était exposée.

b. Causalité adéquate. Dans un deuxième temps et si un lien de causalité naturelle a été admis, le juge se trouvera devant la délicate question de sa­

voir si l’influence exercée répond aux conditions élaborées notamment par la jurisprudence du tribunal fédéral. Ici, la formule du « cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie » utilisée couramment par notre haute cour peut être particulièrement utile, notamment pour décider si le destinataire de l’influence aurait dû résister aux sollicitations, auxquelles il avait été exposé.

IV. Conclusions

Ce bref parcours montre que la causalité psychologique est un phénomène largement reconnu en droit suisse. Dans certains cas – comme à l’art. 0 du CO pour l’instigateur ou à l’art. 271a al. 1 c CO pour le rapport entre le bailleur et le locataire – le législateur lui­même règle certains problèmes d’influence psychologique. Dans d’autres cas – par exemple en matière de responsabilité médicale ou pour certains rapports extra contractuels – le Tribunal fédéral propose des solutions jurisprudentielles.

Selon les situations, dans lesquelles elle prend place, la causalité psy­

chologique entraîne la responsabilité civile de l’auteur. Tel est notamment le cas pour l’instigateur qui répond de son acte dès qu’il a influencé autrui à causer un dommage. Dans d’autres situations, la causalité psychologique est considérée comme admissible, à condition qu’elle ne dépasse pas un certain seuil. Ainsi, le médecin peut chercher à exercer une influence sur le patient, à condition que ce dernier garde toute sa liberté psychologique pour prendre sa décision. Au­delà du seuil d’influence autorisé, on considère que le mé­

decin n’a pas obtenu le consentement éclairé du patient et répond des dom­

mages qui résultent de son intervention, et cela indépendamment de toute autre faute médicale. La conjonction des deux éléments, selon lesquelles le médecin peut influencer le malade, mais tout en laissant intacte sa liberté de

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se décider indépendamment, risque de poser des problèmes délicats d’éva­

luation. Dans la pratique, il sera difficile de savoir jusqu’où l’influence du médecin peut aller, sans que la liberté du patient ne soit diminuée.

Dans un troisième cas de figure, la personne qui reçoit un conseil doit s’y conformer. Si elle ne le fait pas, elle engage sa responsabilité. Tel était notam­

ment le cas du plongeur qui avait été averti du péril de son entreprise. N’ayant pas tenu compte des conseils reçus, c’est­à­dire, ayant rejeté l’influence psy­

chologique qui lui avait été offerte, son assureur était libéré de son obligation de couvrir l’événement dommageable consécutif.

Un cas à part concerne les influences psychologiques qui se produisent dans le cadre de conseils donnés par des experts en dehors d’un contrat. Si le conseil conduit à un dommage, le lésé est en principe mal protégé. Toutefois, pour des cas spécifiques, où le conseiller agit en vertu de certaines compé­

tences professionnelles, manque de la diligence nécessaire et doit savoir que son conseil peut avoir une influence sur la prise de décision, le Tribunal fédé­

ral admet la responsabilité basée sur l’art. 41 CO.

Dans certains cas, nous l’avons vu, la jurisprudence admet ouvertement que des influences psychologiques puissent se produire en toute légalité.

C’est notamment le cas du médecin qui a le droit et parfois même le devoir d’influencer le patient. Dans d’autres cas, en revanche, la jurisprudence rend responsable des influences les plus infimes. Ainsi, l’instigateur répond en cas de dommage de la moindre influence qu’il a exercée sur le tiers.

Pour les cas d’instigation, nous l’avons vu, le Tribunal fédéral a fixé un seuil de tolérance extrêmement bas, l’instigateur répondant en principe de l’influence la plus infime. Cette solution laisse peut­être miroiter un certain effet préventif contre toute forme d’instigation. Toutefois, il serait à mon avis illusoire de vouloir rendre responsable un individu de la moindre influence exercée sur autrui. La réalité quotidienne nous contraint à exiger, sur le plan juridique, de l’individu une certaine résistance face aux sollicitations aux­

quelles il est constamment exposé. Comme nous l’avons vu, nos ordres ju­

ridiques s’appuient sur le discernement des sujets de droit et supposent, par conséquent, que l’individu soit en mesure de s’opposer, dans une certaine mesure, aux sollicitations auxquelles il est constamment exposé.

L’objection du comportement de substitution licite

L’objection du comportement de substitution