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Influences psychologiques inadmissibles : l’instigation

Bénédict Winiger *

A. Influences psychologiques inadmissibles : l’instigation

A différents endroits du code des obligations, le législateur a réglé certaines formes de causalité psychologique. Ainsi, l’art. 0 du Code des obligations

6 Notamment Heinrich Honsell, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3. Auflage, Zürich 2000, 4, n. 8 ss, n. 11.

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mentionne textuellement l’instigateur. Celui­ci est en quelque sorte le prototype du personnage qui exerce une influence psychologique sur une personne.

La constellation de base envisagée par rapport à l’instigation est, on le sait, celle où A cherche à déterminer B à intervenir dans une entreprise com­

mune. L’art. 0 CO précise que, pour déterminer la responsabilité, il n’y a pas lieu de distinguer entre l’instigateur, l’auteur principal et le complice.

Cela répond évidemment à un besoin pratique. En effet, en cas d’entreprises communes, il est souvent difficile pour la victime de connaître les fonctions précises de chacun des auteurs. La solidarité externe des co­auteurs peut être une protection efficace contre cette opacité qui pourrait former pour le lésé un obstacle pour obtenir réparation.

Le fait que l’instigateur réponde du dommage au même titre que les autres auteurs montre que, pour la responsabilité externe, exercer de l’influence sur autrui n’est pas considéré comme un acte plus anodin que d’avoir causé le dommage matériellement.

Récemment, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de s’exprimer sur la no­

tion d’instigation. En l’occurrence, la demanderesse était titulaire d’un brevet concernant une certaine technologie dans le domaine des machines à tisser.

Elle reprochait à la défenderesse, qui fabriquait également des machines à tisser, non pas d’utiliser directement cette technologie, mais de vendre des machines que les client pouvaient utiliser de telle sorte que le brevet de la demanderesse était violé. Selon le Tribunal fédéral, l’objet du procès n’était donc pas une violation directe d’un brevet, mais une participation à une telle violation7. C’est dans ce cadre que notre haute cour se pencha sur la notion d’instigation qu’elle définit, en s’appuyant sur la doctrine : « Est instigateur celui qui détermine fautivement autrui à commettre un acte objectivement illicite, par exemple, en proposant explicitement des objets, qui ne tombent pas sous un droit protégé, pour une utilisation qui violerait un droit réel immatériel »8. Un peu plus loin, le Tribunal fédéral précisa que l’instigation,

7 « Die Klägerin wirft der Beklagten nicht vor, selbst Erzeugnisse (Stickereien) in Verletzung ihres Verfahrenspatents herzustellen. Sie sieht jedoch eine Patentverletzung darin, dass die Beklagte Maschinen anbietet und vertreibt, welche durch die Abnehmer patentverletzend betrieben wer-den können. Prozessgegenstand ist damit nicht eine unmittelbare Patentverletzung, sondern eine Teilnahme daran im Sinne von Art. 66 lit. D PatG. », ATF 129 III 588 c. 4.

8 ATF 129 III 588 c. 4.1. « Anstifter ist, wer einen andern schuldhaft zu einer objektiv rechtswidrigen Handlung veranlasst (Brehm, Berner Kommentar, N. 24 zu Art. 50 OR), beispielsweise dadurch, dass er Gegenstände, die unter kein Schutzrecht fallen, ausdrücklich für eine immaterialgüter-rechtsverletzende Verwendung anpreist (Hess-Blumer, a.a.O., S. 103 ; Handelsgericht ZH in : SMI 1984 S. 235 ff., 238, in welchem Entscheid das Anpreisen allerdings als Begünstigung gewer-tet wird). ».

Notons que, pour a signification de l’instigation en droit des brevets, le Tribunal fédéral renvoie ici explicitement aux art. 41 ss 50 CO.

Causalité : influence psychologique en droit suisse dans le cas présent, supposait une invitation ou sollicitation directe d’utiliser les machines d’une manière violant le brevet en question9. La simple com­

mercialisation d’un bien qui, entre autres, permettait une violation d’un bre­

vet n’aurait pas été considérée comme instigation.

Notons d’abord que, dans ce cas, le Tribunal fédéral n’analysa pas expli­

citement le rapport de causalité qui se trouve à la base de cette définition.

Rappelons simplement qu’il faut évidemment en premier lieu un rapport de causalité naturelle, dans le sens que le dommage ne se serait pas produit sans l’acte en question (conditio sine qua non). En second lieu, il faut selon le droit suisse également un rapport de causalité adéquate, que le Tribunal fédéral n’évoque ici que furtivement10.

Cette définition de l’instigation énumère cumulativement une faute, un acte objectivement illicite et la détermination (« veranlassen ») d’un tiers de se livrer à un certain acte. C’est le terme « veranlassen » qui nous intéresse en l’oc­

currence. Il désigne une attitude qui cherche à provoquer un acte (ou une abs­

tention) auprès d’autrui, ou bien, sous sa forme plus déterminée, qui provoque effectivement la démarche proposée. Les deux significations se distinguent par rapport au résultat qui est seulement recherché dans la première accep­

tion, alors qu’il est atteint dans la seconde11. Sans doute, le Tribunal fédéral utilisa le terme dans la deuxième acception. Il suppose pour l’instigation que l’instigateur ait atteint son but en réussissant à déterminer la volonté de la per­

sonne visée. Selon cette définition, il suffit que l’instigateur ait exercé une in­

fluence purement psychologique, par opposition à une intervention matérielle ou physique. Si une intervention matérielle parallèle n’est évidemment pas ex­

clue, les conditions pour l’instigation sont remplies si l’auteur a simplement pris ou fait prendre les dispositions nécessaires pour obtenir d’autrui l’atti­

tude souhaitée. Ainsi, l’instigation peut être, par exemple, purement verbale.

La doctrine souligne que la notion d’instigation en droit civil n’est pas identique avec celle du droit pénal12. Une simple négligence suffit. Ainsi, une remarque imprudente qui détermine l’attitude du destinataire peut déjà être

9 « Geht es um das Anbieten oder Inverkehrbringen allgemein im Handel erhältlicher Erzeugnisse, wird diesfalls im Allgemeinen aus dem Erfordernis eines adäquaten Kausalzusammenhangs eine patentrechtsrelevante Teilnahmehandlung zu verneinen sein, es sei denn, die Waren würden ausdrücklich für den patentverletzenden Gebrauch angepriesen, was als Anstiftung im Sinne von Art. 66 lit. d PatG zu qualifizieren wäre (BGE 34 II 362 E. 3 ; Hess-Blumer, a.a.O., S. 103 f. ; vgl. analog § 10 Abs. 2 DPatG). », ATF 129 III 588 c. 4.1.

10 ATF 129 III 588 c. 4.1.

11 Pour les significations du terme voir par exemple Duden, Deutsches Universalwörterbuch A-Z, Mannheim etc. 1989, 1631.

12 Hermann Becker, Berner Kommentar VI/1, Bern 1941, Art. 50, n. 6 ; Oftinger/Stark, Haftpflicht-recht II/1, § 16 n. 324 ss ; Roland Brehm, Berner Kommentar VI/1/3/1, 2. Aufl., OR 50, n. 22 ss.

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considérée comme instigation13. Selon certains auteurs, l’instigateur doit tou­

tefois être conscient du fait que ses actes peuvent avoir une influence sur l’autre personne14. Cela montre que, en droit suisse, le niveau d’intensité de l’influence peut être relativement bas. Une véritable pression psychologique sur la personne influencée n’est pas nécessairement requise.