Alexandre Guyaz *
B. Les développements ultérieurs
Cette façon de faire a très vite fait l’objet de vives critiques en doctrine, sur lesquelles nous reviendrons plus bas4. Ces objections ont ainsi rapidement amené le TFA à préciser quelque peu sa pratique, limitant fortement à nos yeux la portée de sa jurisprudence.
Dans un arrêt du 18 mai 1993, publié aux ATF 119 V 33, le Tribunal fé
déral de Lucerne a précisé tout d’abord qu’il n’était pas question, en matière de traumatismes de type « coup du lapin », de se contenter de la preuve de ce mécanisme et de vagues indications subjectives de l’assuré, mais que dans ces cas également, les faits constatés médicalement, tels que l’anam
nèse, les constatations objectives, le diagnostic, les conséquences des bles
sures, les facteurs étrangers à l’accident, l’état antérieur, etc., constituent les éléments déterminants pour examiner l’existence d’un lien de causalité na
turelle. Ainsi, un traumatisme d’accélération craniocervicale ne sera consi
déré comme admis que sur la base de données médicales sûres. Le tribunal estime en outre que sa pratique n’induit pas un renversement du fardeau de la preuve, et précise qu’un rapport médical bien étayé peut parfaitement amener le juge à considérer que, dans un cas particulier, des troubles corres
pondant à ceux du tableau clinique typique des traumatismes de type « coup du lapin » n’apparaissent pas avec un degré de vraisemblance prépondérante comme la conséquence de l’accident, mais celle d’un état maladif antérieur
52 ATF 117 V 367 c. 6b.
53 Dans le même sens, Sidler, Adäquanzprüfung, p. 791.
54 Voir notamment pp. 16 s.
55 ATF 119 V 340 c. 2b aa.
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uniquement6. Le tribunal rappelle à cet égard que, y compris en matière de distorsions cervicales, la présence d’une cause concomitante étrangère à l’acci
dent ne permet pas en soi d’exclure le lien de causalité naturelle.
Le correctif sans doute le plus important à la jurisprudence publiée aux ATF 117 V 39 sera mis en place de façon relativement discrète par le TFA, dès le début de l’année 19947, pour être ensuite confirmé sans motivation parti
culière dans un arrêt publié au recueil officiel en 19978. Il consiste à apprécier le lien de causalité adéquate en application des principes développés pour les troubles d’ordre psychique consécutifs à un accident (ATF 11 V 133), et non de ceux en vigueur pour les distorsions cervicales non objectivées (ATF 117 V 39), lorsque les troubles constitutifs du tableau clinique typique des traumatismes de type « coup du lapin » sont certes partiellement réunis, mais qu’ils sont relégués au second plan par une importante problématique de na
ture psychique. Cette restriction est d’importance si l’on sait qu’en matière de suites psychiques d’accidents, seules sont prises en compte, pour l’examen de la causalité adéquate, les composantes d’origine somatique à l’exclusion des troubles, des douleurs et de l’incapacité de travail de nature psychique.
Par la suite, le TFA a précisé que la jurisprudence développée en cas de troubles du développement psychique ne pouvait trouver application que lorsque le problème psychique présente un caractère prédominant déjà im
médiatement après l’accident, sous peine d’appliquer finalement la jurispru
dence des ATF 11 V 133 à la plupart des victimes d’un traumatisme de type
« coup du lapin »9. Ce dernier arrêt reste néanmoins applicable également lorsque l’on peut admettre que, durant toute la phase de l’évolution consé
cutive à l’accident, les troubles physiques n’ont de façon générale joué qu’un rôle de moindre importance60. Pour que des troubles d’ordre psychiatrique
56 ATF 119 V 341 c. 2b bb. Ce raisonnement constitue précisément selon nous un renversement du fardeau de la preuve, dans ce sens où il aura fallu que l’assureur démontre à l’aide de plusieurs rapports médicaux et neuropsychologiques que l’assuré souffrait en l’espèce déjà avant l’acci-dent de la plupart des troubles sur lesquels il fondait ses prétentions. Cette façon de faire ne nous semble pas critiquable dans la mesure où la contre-preuve est elle aussi appréciée selon la règle du degré de vraisemblance prépondérante.
57 Voir les arrêts résumés in RAMA 1995 U 221, et notamment les arrêts U.75/1993 du 25 janvier 1994 (p. 113), U.101/1994 du 9 septembre 1994 (p. 115) et U.185/1994 du 6 janvier 1995 (p. 117).
58 ATF 123 V 99 c. 2a.
59 Arrêt U.164/2001 du 18 juin 2002, in RAMA 2002 U 465, p. 439 c. 3a. On ne peut parler de troubles psychiques immédiats s’ils ne sont diagnostiqués que 6 mois après l’accident : arrêt U.172/2000 du 27 août 2002, c. 4.2.
60 Arrêt U.164/2001 du 18 juin 2002, in RAMA 2002 U 465, p. 439 c. 3b. Même s’il ne le dit pas ex-pressément, le TFA veut manifestement éviter ici que l’assureur puisse, en retardant simplement sa décision, faire application de la jurisprudence publiée in ATF 115 V 133 sous prétexte que, après une longue évolution, seuls les troubles d’ordre psychique subsistent véritablement, alors même que les autres composantes du tableau clinique typique étaient bel et bien réunies au départ.
Lésions cervicales : enjeux pour la victime puissent être considérés comme prédominants, ils doivent être constitutifs d’une atteinte à la santé (secondaire) indépendante, au regard de la nature et de la pathogenèse du trouble, de la présence de facteurs concrets qui ne sont pas liés à l’accident et du déroulement temporel61. Ainsi s’appliquera la juris
prudence développée en matière de troubles du développement psychique si l’accident n’a fait que renforcer les symptômes de troubles psychiques déjà présents avant cet événement62. Le TFA cherche ici à éviter que des consé
quences psychiques d’un accident en soi identiques sur le plan de la causalité naturelle soient examinées différemment sous l’angle de la causalité adé
quate uniquement parce que, dans un cas et pas dans l’autre, une distorsion cervicale ou une blessure analogue peut être constatée63.
L’existence d’un accident de type « coup du lapin » est également niée par le Tribunal fédéral des assurances lorsqu’il existe un temps de latence trop important entre l’accident et l’apparition des plaintes dans la région de la nuque ou de la colonne cervicale. En général, la jurisprudence part du prin
cipe que les douleurs en question doivent apparaître au plus tard dans les 72 heures suivant l’accident pour que l’on puisse encore considérer qu’elles constituent une conséquence directe de la distorsion cervicale ou du trauma
tisme analogue64.
Il convient de relever encore que le TFA applique également pour l’exa
men de la causalité adéquate les principes développés en matière de trauma
tisme de type « coup du lapin » aux traumatismes analogues6 et aux trauma
tismes craniocérébraux66. Naturellement, cette jurisprudence n’a plus cours, et l’on retombe sur le principe général selon lequel la causalité naturelle et adéquate se recoupent dans une large mesure, si les troubles fondant les prétentions de l’assuré peuvent être rattachés à une atteinte à la santé organi
quement objectivable67.
Notre réflexion s’inscrivant en premier lieu dans le cadre du droit privé de la responsabilité civile, nous renonçons ici à procéder à une analyse
61 Arrêt du 12 octobre 2000 in RAMA 2001 U 412, p. 80.
62 Arrêt du 8 juin 2000 in RAMA 2000 U 397, p. 327. Il s’agissait d’un cas où l’assuré présentait déjà avant l’accident des troubles psychiques, que cet événement avait aggravés. En outre, les troubles diagnostiqués après l’accident s’inscrivaient mal dans le tableau clinique typique nor-malement constaté après un traumatisme d’accélération cranio-cervicale. Pour un exemple plus récent, voir l’arrêt U.361/2005 du 16 août 2006 c. 4.2.
63 Arrêt U.93/2006 du 29 novembre 2006 c. 3.2, y compris les références.
64 Voir notamment l’arrêt du 12 août 1999 in RAMA 2000 U 359, p.29.
65 Arrêt du 23 février 1999 in RAMA 1999 U 341, p. 407.
66 ATF 117 V 382 c. 4.
67 Voir notamment l’arrêt U.360/2005 du 21 août 2006 c. 3.4, qui précise en outre qu’un raidisse-ment et une crispation de la musculature ne constituent pas encore en soi un substrat organique aux douleurs en découlant.
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exhaustive de la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances en matière de traumatismes de type « coup du lapin »68. En effet, de nombreux autres as
pects, à commencer par la mise en œuvre concrète des sept critères objectifs en cas d’accident de gravité moyenne, mériteraient une étude plus poussée.
Nous reviendrons plus bas sur certains de ces points, et renvoyons pour le surplus le lecteur aux contributions de Müller69 et Jäger70.