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La causalité hypothétique (hypothetische Kausalität)

En rapport avec la causalité naturelle, il est souvent question de faits hypothé-tiques. Ainsi, la causalité dépassante implique l’existence d’une cause dépassée qui, hypothétiquement, aurait pu provoquer – mais en réalité n’a pas provo­

qué – le préjudice41. Similairement, l’objection du comportement de substitu-tion licite invoque un comportement hypothétique (licite) qui est opposé au comportement réel (illicite) de l’auteur du dommage42. Pareillement, la cau­

salité naturelle en cas de comportement dommageable par omission repose sur des considérations hypothétiques43. Ces exemples soulèvent la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure des arguments hypothétiques sont pertinents dans le cadre de la causalité naturelle. La réponse n’est pas uniforme et en partie controversée :

– En ce qui concerne d’abord la causalité dépassante, l’opinion majoritaire considère que le dénouement hypothétique de la cause dépassée n’a pas d’influence sur la responsabilité de l’auteur de la cause dépassante et, par conséquent, que cette cause hypothétique n’est pas prise en compte44. Ce cas de figure amène une partie de la doctrine à poser la règle (plus

37 Brehm, Commentaire bernois, art. 41 N 109a ; Rey, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, N 633, 637, 643 ; Werro, Responsabilité civile, 52 N 208.

38 Werro, Responsabilité civile, 52 N 208.

39 Art. 44 al 1. CO.

40 Cette situation est plutôt rare parce qu’en cas de causes partielles seulement l’ensemble des causes est susceptible de provoquer le dommage. Il est donc peu probable qu’une cause qui, à elle seule, ne peut pas engendrer le dommage soit suffisamment prépondérante pour écarter la pertinence des autres causes partielles. – Voir également ATF 113 II 86, 89 cons. 1b.

41 Voir ci-dessus, III.B.

42 Voir ci-dessus, III.D.

43 Voir ci-après, III.I.

44 Honsell, Haftpflichtrecht, § 3 N 51 ; BSK OR I-Schnyder, art. 41 N 26 ; Werro, Responsabilité civile, 47 N 183. Voir ci-dessus, III.B.

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générale) que la cause hypothétique ultérieure n’est juridiquement pas pertinente4 parce que l’évolution hypothétique d’une cause ne change rien au fait qu’un dommage a bel et bien été causé. La jurisprudence du Tribunal fédéral à ce sujet n’est pas cohérente46 : certains arrêts rejettent l’argument tiré des faits hypothétiques47 alors que d’autres l’admettent ou lui sont favorables48. Parmi ces derniers on trouve notamment la pré-disposition constitutionnelle, qui sans le fait dommageable, aurait abouti au même dommage49.

– Pour ce qui est du comportement de substitution licite, jurisprudence et doc­

trine contemporaines ont tendance à admettre cette objection, notam­

ment en cas d’omissions0. Les limites de cette objection hypothétique sont toutefois encore peu claires.

– Finalement, quant à la causalité naturelle relative à un comportement dom-mageable par omission, il est généralement reconnu que cette causalité ne peut être établie que sur la base de considérations hypothétiques1. Au vu de ce qui précède on peut constater que doctrine et jurisprudence ont choisi une approche casuistique pour traiter des causes hypothétiques. Pour ce qui est de la causalité naturelle en cas de comportement dommageable par omission ainsi que du comportement de substitution licite, des faits et causes hy­

pothétiques sont largement considérés comme pertinents. Par contre, en cas de causalité dépassante, la cause dépassée est jugée sans pertinence. Néan­

moins, la jurisprudence admet des causes hypothétiques notamment dans le cadre de la prédisposition constitutionnelle et du calcul du dommage futur2. Il en ressort un ensemble plutôt complexe qui ne sert ni la sécurité juridique ni la cohérence du système juridique.

I. La causalité naturelle en cas de comportement dommageable par omission

Strictement parlant et selon l’approche des sciences naturelles, le fait de ne pas avoir agi (inaction, omission) ne peut pas être la cause d’un préjudice puisque

45 Cf. Brehm, Commentaire bernois, art. 41 N 149 ; BSK OR I-Schnyder, art. 41 N 276.

46 Pour un aperçu, voir ATF 115 II 440, 443 ss.

47 P. ex. ATF non publié du 9 mai 1989 dans la cause B.

48 P. ex. ATF 39 II 476 (frais de déménagement du locataire) ; 113 II 86, 92 ss (prédisposition consti-tutionnelle) ; 113 II 323, 339 (frais de vêtements mortuaires) ; 115 II 440, 445 (cons. 4b in fine) ; 131 II 12, 13 s. (prédisposition constitutionnelle).

49 ATF 113 II 86 ; 131 II 12.

50 Voir ci-dessus, III.D.

51 Voir ci-après, III.I.

52 Schwenzer, Obligationenrecht, N 21.06.

La causalité aujourd’hui nihil ex nihilo fit ! Toutefois, la science juridique qui relève beaucoup plus de la prudentia que de la scientia ne peut pas en rester là. Si l’ordre juridique impose à une personne une obligation d’agir (p. ex. en vertu d’une disposition légale3 ou du principe général du « Gefahrensatz »4) en vue d’éviter la survenance d’un préjudice, le rapport de causalité entre la violation de l’obligation d’agir (inaction) et le dommage survenu revêt forcément un caractère hypothétique.

Pour établir ce lien de causalité hypothétique, il faut – en vertu d’une appré-ciation normative – arriver à la conviction que, selon l’expérience générale de la vie, l’acte omis par l’auteur aurait évité la survenance du dommage. Etant donné que les conséquences d’une inaction ne sont pas réelles mais hypothé­

tiques, l’exigence de leur preuve ne peut pas être aussi stricte que pour les faits réels mais doit être adaptée à la situation particulière. Par conséquent, la jurisprudence se contente de la vraisemblance prépondérante pour prouver que l’acte omis aurait évité la survenance du dommage en cause6.

A cela s’ajoute une deuxième particularité de la causalité hypothétique en cas d’omission. Afin d’établir le lien hypothétique sur la base d’une apprécia­

tion normative, on ne peut s’empêcher de recourir – directement ou indirec­

tement – à l’expérience générale de la vie7, soit au même critère que celui qui est traditionnellement employé pour juger de la causalité adéquate. Cela implique qu’en cas de comportement dommageable par omission, la causalité naturelle et la causalité adéquate ont tendance à se confondre de sorte que la distinction entre la constatation d’un fait (causalité naturelle) sur le plan ontologique et son appréciation juridique (causalité adéquate) sur le plan normatif tend à dispa­

raître. Toutefois, le Tribunal fédéral s’efforce de maintenir la distinction, no­

tamment pour des raisons procédurales, en argumentant que d’admettre un lien de causalité hypothétique implique une appréciation des preuves que la juridiction suprême ne peut pas revoir dans le cadre d’un recours en matière civile8. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral semble même vouloir aller plus loin. Il déclare qu’il n’est pas judicieux de réexaminer la causalité natu­

relle hypothétique admise par l’instance cantonale9 et en déduit qu’il est lié à cette « constatation » sous réserve du cas où l’instance cantonale admet la causalité exclusivement sur la base de l’expérience de la vie. Cette réserve ne

53 P. ex. l’art. 51 LCR.

54 Voir p. ex. ATF 112 II 138, 141 cons. 3a ; Honsell, Haftpflichtrecht, § 3 N 35 s.

55 ATF 121 III 358, 363 cons. 5 ; Brehm, Commentaire bernois, art. 41 N 108, 119 ; Werro, Responsa-bilité civile, 49 N 188.

56 Cf. ATF 124 III 155, 165 cons. 3d ; 121 III 358, 363 cons. 5 (« Dabei genügt es, wenn nach den Erfah-rungen des Lebens und dem gewöhnlichen Lauf der Dinge eine überwiegende Wahrscheinlichkeit für diesen hypothetischen Kausalvelauf spricht ») ; ATF 115 II 440, 450.

57 ATF 124 III 155, 165 ; 121 III 358, 363 cons. 5 ; ATF 115 II 440, 447 s.

58 Cf. ATF 115 II 440, 447 cons. 5.

59 ATF 132 III 715, 718 cons. 2.3.

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sera toutefois quasiment jamais réalisée parce que les règles de procédure imposent au demandeur le soin d’alléguer les faits et les preuves y afférentes.

Par conséquent, en pratique, le demandeur offrira toujours quelques preuves pour rendre l’hypothèse du lien de causalité de l’omission vraisemblable et l’instance cantonale y fera toujours référence d’une manière ou d’une autre.

Le résultat en est qu’il n’y a plus de contrôle réel de la causalité adéquate par le Tribunal fédéral en cas d’omission. Un tel traitement différent de la cau­

salité, selon qu’elle se rapporte à une action ou à une omission, n’est pas très convaincant.

IV. La causalité adéquate (élément de droit) A. Nécessité et notion de la causalité adéquate

L’existence d’un rapport de cause à effet (causalité naturelle) entre le compor­

tement (action, inaction) d’une personne déterminée et un préjudice concret n’est pas une condition suffisante pour imputer à cette personne le préjudice survenu, sinon – pour prendre un exemple – les parents répondraient, de leur vivant, de tout le comportement de leurs enfants puisqu’ils constituent for­

cément une conditio sine qua non de l’existence de leurs descendants. Aussi, la causalité naturelle a­t­elle besoin d’un correctif normatif limitant la chaîne infinie des causes successives qui sont (directement ou indirectement) à l’ori­

gine d’un préjudice. Cette limite indispensable est posée par la théorie de la causalité adéquate qui entend fixer une limite juridique à l’obligation de réparer un préjudice. Selon cette théorie, une cause naturelle n’est juridiquement per­

tinente que si, « d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit »60, de sorte que la survenance de ce résultat paraît de fa­

çon générale favorisée par le faite en question61. Cette formule passablement vague implique un large pouvoir d’appréciation du juge et, partant, constitue une source d’insécurité juridique pour le justiciable.