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La privatisation de la filière riz et ses conséquences pour les agriculteurs sihanaka

CHAPITRE 1. LE CADRE DE LA RECHERCHE : LES SYSTEMES RIZICOLES DE L'ALAOTRA

2.1 La privatisation de la filière riz et ses conséquences pour les agriculteurs sihanaka

2.1.1 De nouvelles politiques de prix déterminées par un pôle privé d'usinage

Cette privatisation a été suivie par la disparition d'une garantie de prix aux producteurs, permis par la fixation en début de campagne de prix planchers et les stocks que réalisaient la Somalac jusqu'à sa disparation. La filière riz est en effet en cours de restructuration : la privatisation s'est accompagnée d'un foisonnement d'initiatives privées avec la multiplication de décortiqueries et l'émergence d'un pôle privé d'usinage. En l'absence des "garde fous" traditionnels de l'état sous forme de prix planchers et plafond, la libre concurrence règne dans la commercialisation du paddy. Après quelques années, la filière est en voie de "concentration". Les sociétés Roger et Madrigal traitent désormais entre 40 et 60 % du paddy total commercalisé dans la région. Les prix payés aux producteurs sont donc désormais déterminés par les stratégies commerciales de ces entreprises.

Les transactions de paddy entre producteurs et "commerçants de paddy" dans la région ont principalement lieu au moment de la récolte c'est à dire de mai à juillet. Cette période correspond aux prix les plus faibles, les chiffres passant du simple au double entre mai et décembre sur le marché d'Ambatondrazaka (Figure 8). En début de collecte, les riziers fixent un prix de base d'achat au producteur, selon le prix de vente espéré à Antananarivo entre septembre et mars, à partir d'un prix de base fixé par l'état. Les importations de l'état prévues ou réalisées, l'importance de la soudure selon l'évaluation de la récolte en cours joue alors sur l'établissement de ce prix plancher. A partir d'un objectif initial de volume à collecter et d'un prix d'achat maximal qu'ils ne pourront pas dépasser, il s'agit pour les riziers de collecter un maximum de paddy avant que les prix d'achat aux producteurs ne s'élèvent trop. En effet, à partir de ce prix plancher, les prix ne cessent d'augmenter pour atteindre un maximum en mars. Les collecteurs servent d'intermédiaires entre les producteurs et les riziers et sont rémunérés par un pourcentage sur l'achat du paddy. L'arrivée dans la région d'opérateurs indépendants à partir du mois d'août (après la collecte sur les Hautes-Terres) relance la surenchère des prix. Les principaux opérateurs se livrent donc à une "guerre commerciale" qui profite aux producteurs, à travers les stratégies de collecte mises en place pour attirer les riziculteurs. Différents types de services sont ainsi proposés : enlèvement du paddy au champs, prêt de riz ou paddy en soudure...

Figure 8 : Evolution des prix d'achat du paddy aux producteurs durant l'année 92 (source SOMACODIS) et évolution d'un indice de saisonnalité des prix (Azam et al, 1993)15

mois Fmg/kg 150 250 350 450 550

janv fev mars avr. mai juin juil. aout sept oct nov dec

0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 1,1

prix somacodis indice S

Madrigal, qui opère dans la région depuis 1992, développe une stratégie particulière visant à fidéliser à la fois ses "fournisseurs" et ses collecteurs, et à promouvoir la diffusion d'intrants16 (engrais, produits phytosanitaires..). Elle s'appuie sur un réseau de collecteurs permanents, rémunérés par un pourcentage sur les intrants vendus et le volume collecté en saison, et bénéficient d'une formation minimale (manipulation des produits phytosanitaires, usage..). Ce réseau, opérationnel dès 92/93 dans la zone Ouest, s'est étendu en zone Sud dès la campagne suivante. Le dispositif de fidélisation comprend également des prêts de semences et d'intrants remboursables sans intérêt à la récolte.

En 1993, Roger et Madrigal ont également initié le paiement du riz à la qualité afin de relancer une activité d'exportation. Dans ce cadre, les lots sont rémunérés selon le taux de pureté variétale et la variété. Makalioka, avec ses grains longs et translucides, est la seule variété de qualité reconnue dans la région. Un lot de MK à 98 % de pureté variétale (dit MK C1) était acheté en 1993 40 Fmg plus cher que le "tout venant" (autres variétés et/ou taux pureté inférieur, de 200 à 210 Fmg/kg17.

2.1.2 La privatisation de l'approvisionnement

Avec une privatisation complète de l'approvisionnement, sans aucun contrôle de l'état, l'incertitude concerne à la fois la disponibilité en intrants, leur prix et la qualité des produits disponibles sur le marché. Cela s'est traduit entre 1990 et 1993 par le doublement du prix des engrais18 et une raréfaction des produits phytosanitaires entraînant la spéculation. Les prix du désherbant 2,4D, communément utilisé par les agriculteurs, a ainsi doublé. Il semble qu'il a fait l'objet de "manipulations19" diverses qui en ont fait un produit "à risques".

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Cet indice a été calculé à partir de la moyenne mensuelle des prix de 1983 à 1990 par rapport à la moyenne mobile centrée sur l'observation courante et calculée sur l'année.

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Madrigal est une filiale du groupe Marbour, qui représente la société Ciba-Geigy à Madagascar.

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350 Fmg pour 1FF jusqu'en mai 94. 700 Fmg pour 1FF ensuite.

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La dévaluation de juin 1994 a dû générer de nouvelles augmentations.

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L'usine de construction d'équipement agricole, MAFI SA, a également connu d'importants problèmes en 92/93 avant de cesser ses activités au cours du premier semestre 1994. Elle avait su reproduire une charrue brabant double réversible plus légère et moins chère que la charrue Bajac importée. Cette entreprise avait également participé à la mise au point d'une petite batteuse.

2.1.3 Une restructuration difficile de l'encadrement agricole.

Outre l'entretien des infrastructures et la commercialisation du paddy, la Somalac était chargée de l'ensemble de l'appui technique aux producteurs, c'est à dire l'animation des associations d'usagers de réseau (notamment pour la gestion de l'eau), la vulgarisation agricole et le crédit (en relation avec la BTM20). Les autres secteurs (petit périmètres traditionnels ou familiaux) étaient sous la responsabilité de la CIRVA, Circonscription de la Vulgarisation Agricole. Cet organisme a été restructuré à partir de 1992, avec instauration du système Formation/Visite promu par la Banque Mondiale. Les nouvelles CIRPA21 intègrent désormais les anciens secteurs d'intervention de la Somalac. En fait, les tensions économiques et sociales n'ont permis leur réelle mise en place qu'au cours de la contre-saison 93 à l'Est et pour la campagne 93/94 à l'ouest. Pour les producteurs cette restructuration s'est traduite par une désorganisation dans la gestion de l'eau et des difficultés l'accès aux crédits institutionnels.

a) La gestion de l'eau : un vide durement ressenti

En fait, aucune structure n'a réellement pris le relais de la Somalac dans l'appui aux Associations d'Usagers de Réseaux, crées par la Somalac. Si elles n'ont pas été formellement dissoutes, ces associations sont restées sans fonction et sans moyen pendant trois ans. Une seule association (périmètre Imamba Ivakaka) a maintenu une petite activité de police contre le pâturage abusif en saison sèche sur périmètre. Notamment, l'entretien des infrastructures n'a pas été réalisé.

Dans cette région où "l'eau est un don du ciel", sans organisation traditionnelle de gestion de l'eau comme sur les Hautes-Terres de l’île (Droy, 1994), les réseaux n'ont pas été entretenus et la gestion est redevenue individuelle. Cela s'est traduit par une anarchie complète avec d'importantes dégradations: brèches/barrages dans les drains ou irrigateurs, prises ou seuils détruits. Aucune concertation n'a eu lieu pour les dates de mise en eau ou le curage des canaux tertiaires. Cette individualisation croissante se retrouve sur les Petits Périmètres Irrigués des Hautes-Terres dans lesquels le désengagement de l’Etat a été moins brutal que dans l’Alaotra (Droy, 1991). Les conséquences ont été d'autant plus durement ressenties que l'arrivée des pluies a été tardive durant les trois dernières campagnes. Les attributaires des anciens réseaux Somalac ont donc été confrontés à des difficultés de mise en eau, un aggravement de l'incertitude sur les conditions d'irrigation de leur rizière sur la campagne d'une part, faute de coordination, ou dans le moyen terme du fait des dégradations et phénomènes d'ensablement.

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Banky ny Tantsaha Mamokatra, Banque du Développement Agricole

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Circonscription de la Production Agricole avec la CIRPA-Est en charge des régions sud (PC15 inclue) et est. La CIRPA-Ouest s'occupe désormais des zones ouest et des anciens périmètres Somalac de la région (PC23, Anony et Sahamaloto).

Cependant, dans le cadre des travaux de réhabilitation initiés en 1991 sur les périmètres de la vallée du Sud-Est, et sous la pression des bailleurs de fonds, des actions expérimentales ont été engagées par la nouvelle structure d'encadrement appuyée par l'entreprise des travaux durant les campagnes 92/93 et 93/94. Elles impliquaient les anciennes associations d'usagers de réseau du PC15 de la Somalac et de nouvelles associations créées dans les zones « Hors Maille » amont des zones touchées par les travaux.

b) Conséquence sur le crédit

Avec la disparition de la Somalac, l'essentiel des associations s'est fermé au crédit institutionnel. Aussi la plupart des exploitations n'a eu d'autres choix que de faire appel aux systèmes financiers usuraires.

Dans le cadre de la réhabilitation des vallées du Sud Est, quelques associations ont pu bénéficier d'appui durant les campagnes 91/92 et 92/93. Dans ces associations, la BTM en collaboration avec le PRD, Projet de Recherche Développement, et la CIRPA, a testé une forme de crédit proche des anciens SCAM22

. Ce système sera étendu dans toute la région est du lac durant la campagne 93/94. Le projet Imamba-Ivakaka a concentré ses activités de crédit sur les Greniers Communs Villageois. Ce système sera également repris dans la zone Sud et Est dès la campagne 93/94. Il s'agit de promouvoir le stockage de la récolte en accordant un prêt, garantie sur le volume du paddy stocké dans un local commun. Le bénéficiaire rembourse ce prêt quelques mois plus tard à la revente. Ce stockage permet aux paysans de bénéficier des prix plus élevés en novembre/décembre.

2.1.4 Une recrudescence de l'insécurité rurale dans un contexte de déresponsabilisation. Cette crise des institutions s'est accompagnée d'une aggravation23 des problèmes d'insécurité rurale (Teyssier, 1994) traduite par des pillages de villages en périphérie des aménagements et surtout par les vols de boeufs.

La recherche agronomique régionale a également été touchée par cette crise de l'Etat. Fin 93, elle commençait à se restructurer dans le cadre du Programme National de la Recherche Agronomique financé par la Banque Mondiale. Seul le Projet de Lutte Intégrée (P.L.I) (financement de la Coopération Suisse) a maintenu des activités de recherche pendant cette période. Les dysfonctionnements de la station agricole du lac Alaotra se sont concrètement traduits par une insuffisance tant en quantité qu'en qualité de l'approvisionnement en semences, à une rupture dans le développement et les tests des variétés hybrides, et des pertes dans les collections non entretenues.

Dans ce contexte de crise, quelques organismes et projets ont maintenu des activités mais ils concentraient leurs interventions dans les activités non rizicoles des exploitations : le Projet de Recherche Développement (PRD, financement Caisse Française de Dévelopement) rattaché au projet de réhabilitation des Vallées du Sud-Est orientait son travail sur les zones de tanety et zones maraîchères, le projet Imamba Ivakaka (Financement CFD) travaillait sur les bassins versants du même nom, et l'ONG Arta, pour le maraîchage. Enfin, avec la Somalac a disparu la dernière source d'information et de statistiques agricoles fiables de la région. Les

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Société de Crédit Agricole Mutuelle.

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La bordure ouest de l'Alaotra est traditionnellement une zone refuge pour les dahalo ou "bandits de grands chemins" spécialisés dans le vol de boeufs.

statistiques fournies par la CIRVA/CIRPA sont en effet partielles et sujettes à caution. Le recueil d'informations aussi essentielles pour la recherche que la pluviométrie ou la commercialisation du paddy et des intrants ne relève plus que d'initiatives ponctuelles (Centre semencier, P.L.I),

2.1.5 Conclusion

La faillite de l'état dans les fonctions essentielles comme les politiques d'incitation à la production, la justice et arbitrages entre acteurs, l'entretien des infrastructures, la recherche, le transfert d'informations s'est accompagnée de profondes réformes et transformations dans le secteur rizicole malgache. L'environnement de la production est donc caratérisé par de nombreuses contraintes et incertitudes.

INCERTITUDES CONTRAINTES • Evolution incertaine des prix

• Evolution des infrastructures • Gestion de l'eau dans les périmètres • Accès aux intrants (semences,

engrais, produits phytosanitaires, matériel agricole)

• Sécurité des biens et des personnes

• accès réduit aux formes institutionnelles de crédits

• dégradation des pistes et infrastructures de transport

Y-a-t'il eu aggravation des risques ou s'agit-il pour les agriculteurs de nouvelles conditions de production ? Un rappel historique des appuis au secteur rizicole permet de saisir l'importance des changements intervenus.