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Prise en charge, autorités morales et éducation

Dans le document Droit privé et religion (Page 123-126)

L’éducation des enfants de bouddhistes reste, en France, prise en charge par le système scolaire, en parallèle des instructions et transmissions qui s’opèrent dans le milieu familial et/ou communautaire : il y a des écoles chrétiennes, juives et musulmanes, mais pas (encore ?) d’école bouddhiste. Des dispositifs d’accompagnement pédagogique existent sous la forme d’ateliers, de sessions, etc., expressément établis à destination d’un jeune public. Ces dispositifs sont d’ailleurs bien plus nombreux aux États-Unis qu’en Europe, sur le mode du Dharma Camp  –  « camp » de découverte parascolaire du bouddhisme, orga-nisé par les associations cultuelles et organisations bouddhistes. Ils présen-tent alors une physionomie identique – à l’exception du contenu, cela va de soi  – aux stages de vacances scolaires (nos « classes vertes », en somme, ou des camps de scoutisme, un rapprochement qui leur correspond sans doute mieux) et, dans ce sens, organisent un rapport duel (domestique/parental d’un côté, institutionnel/religieux de l’autre) à l’éducation, telle qu’on les trouve dans les milieux confessionnels où se perpétuent les principes d’une éducation religieuse parallèle de l’éducation laïque nationale. C’est en tous cas ce que prône, dans le contexte américain, Rita Gross, qui en appelle à la mobilisation des instances religieuses dans la prime éducation des enfants16. Si l’Europe n’est pas les États-Unis et si la France témoigne depuis  1905

un souci particulier s’agissant de l’intervention des instances religieuses dans l’éducation nationale, là aussi, la vie des enfants de bouddhistes se partage donc entre une scolarité tout à fait ordinaire et des temps de rencontre avec la liturgie et les techniques de salut (méditation) bouddhistes, qu’évidemment tout oppose : temps, lieux, nature des activités et nature des obligations à assister et, enfi n, modalités et contenus pédagogiques.

Dans le contexte communautaire (i.e. celui de la communauté rituelle, le sangha) comme d’ailleurs dans la cellule familiale, la fi gure de l’autorité religieuse est celle du maître de religion. S’il n’enseigne pas directement aux enfants, il est en contact avec eux par l’intermédiaire des parents. Et son infl uence comme fi guration d’un modèle culturel et religieux s’en ressent d’autant. Je prends ici un premier cas, qui n’est pas anecdotique. Âgé de 5 à 6 ans, celui qui devait être l’aîné d’une famille de convertis m’approche un jour avec un dessin naïf et coloré : un personnage vêtu de pourpre se trouve au premier plan et, en arrière-plan, se dresse un paysage alpestre – « Tu vois, ça, c’est le lama », m’explique-t-il, « et là, au fond, c’est la montagne où il médite ». Sur cette introduction, il déploie alors une histoire teintée de réfé-rences bouddhistes en général et tibétaines en particulier : une histoire tissée de séquences de découverte et de prise de conscience de l’ordre immanent du monde ainsi que de choix – de réclusion et de sagesse. Bref, une transposition des schèmes structuraux de la vie des prophètes et héros du bouddhisme, tels qu’on les retrouve dans les corpus scripturaires, et tels que les adeptes se les approprie au cours de leur conversion au bouddhisme17. Des lamas, l’enfant en voyait régulièrement, dans le sens où la résidence de ses parents jouxtait le centre de méditation d’obédience tibétaine où ces derniers pratiquaient. Les  moines bouddhistes étaient même invités à prendre le thé ou à dîner. L’enfant baignait véritablement dans un environnement où le bouddhisme occupait une place centrale : rien d’étonnant donc à cette répercussion sur son imaginaire. Encore actuellement, nombreux sont les parents qui se rendent dans les temples accompagnés de leur progéniture, soit pour les faire bénéfi -cier des « mérites » de la pratique (une sorte de capital symbolique accumulé), soit, pour certains, avec le secret espoir que leurs enfants se révèleraient être de « grands sages » en puissance – voire des tulkus qui s’ignorent.

Mais le cas du bouddhisme tibétain a un caractère quelque peu singulier et ne peut représenter en totalité les cadres sociaux : il relève en effet d’une tradition monastique qui demeure attachée à une certaine orthodoxie, alors

17. L. Obadia, 1999, Bouddhisme et Occident. La diffusion du bouddhisme tibétain en France, Paris, L’Harmattan, passim.

que le paysage bouddhiste français s’avère bien plus diversifi é. Dans d’autres courants, plus hétérodoxes ou laïques, le bouddhisme est loin d’imposer des cadres aussi contraignants à la pensée et à la pratique individuelle – sauf pour ceux qui ont fait le choix d’une carrière monastique poussée jusqu’à la réclusion spirituelle. Mais dans les structures monastiques comme dans les mouvances laïques, l’argument de la liberté de penser ses propres convictions face à la religion (du doute à la foi), voire de la liberté de pratiquer plusieurs cultes, a été un puissant trait de rhétorique propice à l’adoption de cette spi-ritualité non-conventionnelle selon les normes occidentales. Dans le contexte européen, et en particulier en France, il pèse toutefois sur le bouddhisme, comme d’autres produits religieux d’importation ou d’inspiration extrême-orientale, le même soupçon de manipulation mentale, telle qu’elle entoure les nouveaux mouvements religieux dits sectaires, tant il est vrai que, porté par l’ésotérisme occidental puis le New Age, le bouddhisme a été confondu avec eux et a inspiré quantité de développements dits « néo-orientalistes » (prin-cipalement des groupes de méditation) dont certains ont été listés comme « dangereux » dans les rapports parlementaires sur les sectes. L’extension du vocable « gourou » à des fi gures diversifi ées du leadership religieux, en parti-culier des nouveaux mouvements religieux qualifi és de sectaires en vertu de leurs pratiques, a fait de la catégorie religieuse le synonyme d’un leadership totalitaire, qui s’appuie sur une manipulation mentale, et qui cible plus parti-culièrement des populations « fragiles » et infl uençables, dont les enfants et les adolescents18. Si le bouddhisme peut, par contiguïté sociologique, symbolique ou culturelle, parfois être assimilé aux mouvances du nébuleux New Age, il ne se confond plus avec nombre de ces groupes, avec lesquels il encourt un risque d’assimilation – voire de stigmatisation sectaire, comme c’est le cas pour la Soka Gakkai japonaise19. Mais à quelques exceptions près, les tradi-tions bouddhistes installées en Europe et en Amérique ont été peu entachées de problèmes de cette nature – malgré certaines « affaires » internes qui ont altéré la réputation du bouddhisme d’Occident, et la contiguïté avec les néo-orientalismes, nettement plus suspects de telles pratiques20.

18. Parmi d’autres références sur la question : A. Fournier et M. Monroy, 1999, La dérive sectaire, Paris, PUF.

19. L. Hourmant, 1999, « La Soka Gakkaï : un bouddhisme “paria” en France ? », in F. Champion et M. Cohen (dir.), Sectes et Démocratie, Paris, Le Seuil : 182-204.

Dans le document Droit privé et religion (Page 123-126)

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