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La liberté de la communauté au service de la personne

Dans le document Droit privé et religion (Page 108-113)

Si certains auteurs mettent l’accent sur la possible contradiction entre le fait, pour les religions, de prétendre détenir la vérité et la possibilité d’une vie sociale paisible72, il paraît nécessaire de souligner que les pouvoirs politiques, eux-mêmes, se font les dispensateurs d’une morale publique qui peut être cause, elle aussi, d’affrontements. La guerre civile n’est pas seulement reli-gieuse… Aussi, nombreux sont-ils ceux qui s’accordent sur le fait que la liberté religieuse personnelle n’est réelle que si la liberté collective est effective73.

La liberté de la communauté (domestique et ecclésiale) est ordonnée, de manière générale, au service du bien commun et, de manière plus particu-lière, au bénéfi ce de la personne (en l’occurrence humaine) la plus faible : l’en-fant. Elle s’incarne tout particulièrement dans le pouvoir naturel de la famille dans la direction de l’éducation des enfants et suppose que l’ordre politique lui permette réellement de l’exercer librement.

Le pouvoir naturel de la famille dans l’éducation

L’éducation concerne non seulement les questions physique et intellectuelle, culturelle et sociale, mais également morale et religieuse74. Le concept d’éduca-tion est plus large que celui d’instrucd’éduca-tion75 ; il englobe l’ensemble de la personna-lité. L’éducation, qui vise le gouvernement des âmes76, a pour but la formation intégrale de l’être humain (persona humana)77. Elle a pour objectif tant la fi n de chaque être humain (le salut de son âme)78 que le bien commun de la société79.

72. J.-Fr. Collange, « La liberté de croyance dans la pensée religieuse », in La protection

internatio-nale de la liberté religieuse, op. cit. : 1-13.

73. R. Torfs, “Relationship between the State and religious groups”, in La protection internationale

de la liberté religieuse, op. cit. : 131-152.

74. Catéchisme de l’Église catholique, § 2223-2228 : 456-457. Cf. également Pie XI, op. cit., § 11 : 17 ; § 43 : 39 – « l’éducation chrétienne embrasse la vie humaine sous toutes ses formes : sensible et spirituelle, intellectuelle et morale, individuelle, domestique et sociale ».

75. Pie XI, op. cit., § 7 : 13 – « non seulement sur le terrain de l’éducation, mais sur celui de l’en-seignement proprement dit ».

76. Ibid., § 2 : 7.

77. Codex Juris Canonici, can. 795. Pie XI, op. cit., § 23 : 25 – « le sujet de l’éducation chrétienne c’est l’homme tout entier : un esprit joint à un corps, dans l’unité de nature ».

78. Pie XI, op. cit., § 2 : 7 – « l’éducation consiste essentiellement dans la formation de l’homme, lui enseignant ce qu’il doit être et comment il doit se comporter dans cette vie terrestre pour atteindre la fi n sublime en vue de laquelle il a été créé ».

79. Codex Juris Canonici, can. 795. Pie XI, op. cit., § 2 : 7 – « l’éducation chrétienne […] a pour but, en dernière analyse, d’assurer aux âmes de ceux qui en sont l’objet la possession de Dieu, le Souverain Bien, et à la communauté humaine le maximum de bien-être réalisable sur cette terre ».

Les parents catholiques ont donc l’obligation de former, par la parole et l’exemple, les enfants dans la foi et la pratique de la vie chrétienne80. Ainsi la famille est-elle le premier lieu de l’éducation à la prière81. Les parents doivent être attentifs à ce que leurs enfants suivent le catéchisme, éducation à la foi82. Ils doivent également veiller à l’accès aux sacrements de leurs enfants, en par-ticulier le baptême (qui doit intervenir au plus tôt après la naissance, le texte latin du Code de droit canonique parlant, dans ce cas d’infans)83, la sainte eucha-ristie (pour l’enfant ayant atteint l’âge de raison : puer usum rationis)84 et la confi rmation (qui concerne tous les fi dèles, fi deles, dans un temps opportun)85. Les parents catholiques qui feraient baptiser et/ou éduquer leurs enfants (au sens générique du terme, indépendamment de l’âge : liberi) dans une autre religion que le catholicisme encourent une sanction ecclésiastique, en parti-culier la censure86.

Les parents sont les premiers et principaux éducateurs de leurs enfants87

(en tant que ces derniers sont des êtres humains, le texte latin utilisant le terme de fi lius)88 : la famille donnant la vie, elle a l’autorité de former à la vie89. Cette grave fonction (offi cium) constitue pour eux un devoir, une obligation90 ; ils dis-posent donc d’un droit primordial (jus primarium) de pourvoir à l’éducation de leurs enfants91. Dans ce domaine, toute famille (catholique ou non) a une « priorité de nature » et donc de « droits » par rapport à la « société civile »92.

80. Ibid., can. 774, § 2 ; cf. également can. 835, § 4. 81. Catéchisme de l’Église catholique, § 2685 : 544. 82. Ibid., § 5 : 12.

83. Codex Juris Canonici, can. 867 ; cf. également can. 851, 2e ; can. 855 ; can. 857, § 2. Catéchisme

de l’Église catholique, § 1635 : 347. Pie XI, op. cit., § 13 : 18.

84. Codex Juris Canonici, can. 914. 85. Ibid., can. 890.

86. Ibid., can. 1366.

87. Le mariage est notamment ordonné à l’éducation des enfants : Catéchisme de l’Église

catho-lique, § 1601 : 340, § 1652 : 351 ; Pie XI, op. cit., § 3 : 8.

88. Codex Juris Canonici, can. 226, § 2. Catéchisme de l’Église catholique, § 1653 : 351.

89. Pie XI, op. cit., § 9 : 14 – « dans l’ordre naturel, Dieu communique immédiatement à la famille la fécondité, principe de vie, donc principe du droit de former à la vie, en même temps que l’autorité, principe d’ordre » ; § 29 : 30 – « Le premier milieu naturel et nécessaire de l’éducation est la famille, précisément destinée à cette fi n par le Créateur. »

90. Catéchisme de l’Église catholique, § 2221 : 456.

91. Codex Juris Canonici, can. 226, § 2 et 1136. Catéchisme de l’Église catholique, § 2223 : 456. 92. Pie XI, op. cit., § 3 : 8. Cf. également, pour une position contemporaine de la Révolution fran-çaise contraire à son orientation générale, J.-A.-N. de Condorcet, 1994, Cinq mémoires sur

l’instruc-tion publique (1791), éd. Ch. Coutel et C. Kintzler. Paris, Garnier-Flammarion, le premier mémoire,

Avant d’être citoyen, l’homme doit être appelé à la vie par ses parents : l’ enfant entre dans la société par l’intermédiaire de la communauté domestique93.

Quant à l’Église catholique, communauté de clercs et de laïcs, si elle consi-dère, logiquement, sa fonction de veiller sur l’éducation de ses fi dèles comme un « droit inaliénable », elle va jusqu’à affi rmer que « sa mission éducatrice embrasse même les infi dèles, tous les hommes étant appelés à entrer dans le royaume de Dieu et à obtenir le salut éternel »94. Elle entend assurer « le service (diakonia) de la vérité au sein de l’humanité »95. Cependant, se décla-rant « si jalouse de l’inviolabilité du droit naturel de la famille en matière d’éducation », l’Église « ne consent pas, sinon sous des conditions et garanties déterminées, à baptiser les enfants d’infi dèles ou à disposer de leur éducation de quelque manière que ce soit contre la volonté de leurs parents, aussi long-temps que les enfants ne peuvent se déterminer d’eux-mêmes à embrasser librement la foi »96.

Cependant, tout en affi rmant le droit naturel de la famille d’éduquer les enfants, l’Église admet pleinement qu’il soit du « devoir de l’État de protéger » le  droit de l’enfant à une bonne éducation « dans le cas où il y aurait défi -cience physique ou morale chez les parents », « incapacité » ou « indignité »97. La liberté religieuse exercée par les parents pour le compte de l’enfant relève de l’ordre naturel des choses ; mais elle n’est réelle qu’à la condition de ne pas être compromise par le système politique et juridique.

La liberté politique de l’éducation pour la famille

Comme la famille est une « société imparfaite », elle a besoin du secours de la société civile et de l’Église pour l’aider à éduquer ses enfants98. Ainsi, dans le domaine des arts et des sciences, la famille est (vraisemblablement) incapable de pourvoir elle-même à une instruction suffi sante99. Les institutions

sco-93. Pie XI, op. cit., § 10 : 16.

94. Ibid., § 6 : 12 et § 7 : 13. Cf. également Dignitatis humanæ, § 13.

95. Congrégation pour l’éducation chrétienne, Lettre circulaire sur l’enseignement de la religion

dans l’école (5 mai 2009), IV, § 20.

96. Pie XI, op. cit., § 13 : 18. Cf. Summa theologica, IIa, IIae, qu. 10, art. 12 : « avant que l’enfant ait l’usage de la raison, l’ordre naturel fait qu’il est ordonné à Dieu par la raison de ses parents, dont il subit par nature la tutelle, et c’est selon leurs dispositions qu’il est mis rapport avec les choses divines » ; Denzinger, op. cit., n° 1998 : 509-510.

97. Pie XI, op. cit., § 15 : 19. 98. Ibid., § 3 : 8.

laires (privées comme publiques) sont donc l’un des principaux moyens pour aider les parents dans leur rôle d’éducation des enfants100. Tant d’un point de vue historique qu’ontologique, l’école est une « institution auxiliaire et complémentaire »101. La puissance politique ne doit intervenir que de manière subsidiaire102 et non en exerçant un monopole103 ou même en imposant un type uniforme d’éducation104 ; au secours de cette position, le pape Pie XI a pu citer une jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis du 1er juin 1925 (Pierce v. Society of the sisters of the holy names of Jesus and Mary, arrêt concernant la liberté scolaire dans l’État de l’Oregon)105. D’aucuns en sont donc venus à considérer que la liberté religieuse naturelle était politiquement « violée en France par l’organisation étatique de l’enseignement »106. Le pouvoir temporel ne doit pas se substituer aux parents mais favoriser leurs initiatives107 et les suppléer seulement en cas de défaillance108. Afi n qu’il y ait une harmonie entre l’éducation offerte dans les institutions scolaires et celle qui est donnée en famille109, les parents doivent jouir d’une véritable liberté dans le choix des écoles pour leurs enfants ; cela implique que la justice distributive soit appli-quée dans la société civile, autrement dit que les pouvoirs publics garantissent cette faculté non seulement théoriquement mais aussi concrètement, c’est-à-dire fi nancièrement110.

100. Codex Juris Canonici, can. 796, § 1. 101. Pie XI, op. cit., § 31 : 32.

102. Congrégation…, Lettre circulaire sur l’enseignement de la religion, II, § 9.

103. Pie XI, op. cit., § 17 : 20 – « Est donc injuste et illicite tout monopole de l’éducation et de l’enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l’État contrairement aux obligations de la conscience chrétienne ou même à leurs légitimes préférences. »

104. Dignitatis humanæ, § 5.

105. Pie XI, op. cit., § 12 : 17. Sur la place de la religion aux États-Unis, cf. F. Randaxhe, 2003, « De l’exception religieuse états-unienne, Retour sur un débat », in Archives de sciences sociales des

religions, 122 : 7-25.

106. Anonyme, 1967, « La liberté religieuse est violée en France », in Itinéraires, février 1967, suppl. au n° 110 : 7.

107. Pie XI, op. cit., § 16 : 20.

108. Ibid., § 14 : 19 – « La fonction de l’autorité civile qui réside dans l’État est donc double : protéger et faire progresser la famille et l’individu, mais sans les absorber ou s’y substituer. » ; § 15 : 19 – « l’État ne se substitue assurément pas à la famille, mais il supplée à ce qui lui manque » ; § 16 : 20 – « il complètera cette action lorsqu’elle n’atteindra pas son but ou qu’elle sera insuffi sante ». 109. Congrégation…, Lettre circulaire sur l’enseignement de la religion, II, § 8.

110. Codex Juris Canonici, can. 797. Catéchisme de l’Église catholique, § 2229 : 457. Pie XI, op. cit., § 17 : 20 ; § 34 : 34 – « le respect de la justice distributive, l’État donnant des subsides à toute école voulue par les familles ». Dignitatis humanæ, § 5.

L’Église a toujours pris soin « dans tous les siècles » de créer et de faire prospérer « une multitude d’écoles et d’institutions, dans toutes les branches du savoir »111. Les fi dèles catholiques (et pas seulement les parents) doivent donc contribuer à la fondation et au fonctionnement (en particulier pour ce qui concerne les frais) d’institutions scolaires catholiques112. Une école ne peut être considérée comme catholique que si plusieurs conditions sont réunies113 : une reconnaissance de l’autorité ecclésiastique114, une direction ecclésiastique (ou, pour le moins, reconnue par l’Église)115, un enseignement fondé sur les principes de la doctrine catholique116 et des enseignants se distinguant par la rectitude de leur doctrine et la probité de leur vie117. Inutile de commenter cela trop longuement en mettant en exergue que les écoles sous le régime de la loi Debré (du 31 décembre 1959), soumises aux programmes étatiques et ne pouvant choisir leurs enseignants, ne remplissent pas ces critères. En ne pou-vant pas être confessionnel, l’enseignement catholique sous contrat n’est-il pas quelque peu schizophrénique118, ne risque-t-il pas de perdre, à terme, son identité119 ?

Les parents catholiques doivent confi er leurs enfants à des écoles donnant une éducation catholique120 (et donc pas seulement une instruction rigou-reuse121). La fréquentation des écoles non catholiques (qu’elles soient dites « neutres » ou « mixtes ») est, en principe, interdite aux enfants catholiques ; elle ne peut être que tolérée122. Par conséquent, s’il n’existe pas d’écoles catho-liques, les parents doivent pourvoir à l’éducation chrétienne en parallèle de l’instruction123. En outre, les fi dèles catholiques doivent s’efforcer d’obtenir

111. Pie XI, op. cit., § 7 : 12.

112. Codex Juris Canonici, can. 800. Pie XI, op. cit., § 34 : 35. 113. Pie XI, op. cit., § 33 : 34.

114. Codex Juris Canonici, can. 803, § 3. 115. Ibid., can. 803, § 1.

116. Ibid., can. 803, § 2.

117. Ibid., can. 803, § 2. Pie XI, op. cit., § 38 : 37 – le pape parle des « qualités intellectuelles et morales » : « C’est moins la bonne organisation que les bons maîtres qui font les bonnes écoles. » 118. E. Tranchant, 2010, « La loi Debré et la liberté religieuse de l’école », in Liberté politique, 48 : 177-184.

119. Congrégation…, Lettre circulaire sur l’enseignement de la religion, III, § 15. 120. Codex Juris Canonici, can. 798. Catéchisme de l’Église catholique, § 2229 : 457.

121. Le pape Léon XIII rappelait d’ailleurs que l’enseignement de la vérité ne se réduisait pas aux questions naturelles mais devait également aborder les enjeux surnaturels : Libertas

praestantis-simum, § 19.

122. Pie XI, op. cit., § 32 : 33. 123. Codex Juris Canonici, can. 798.

qu’une éducation religieuse et morale selon la conscience des parents soit déli-vrée dans les écoles en général (et donc notamment celles dites publiques)124. Quel que soit le statut juridique de l’école, l’enseignement religieux catho-lique (institutio et educatio religiosa catholica) doit être soumis, pour en garantir l’authenticité125, à l’autorité (auctoritas) de l’Église126, cette dernière ne pouvant donc se contenter de cours de culture religieuse (proposés, par exemple, dans le rapport de Régis Debray en 2002127) sans doute très utiles mais ne devant pas se substituer au catéchisme128.

Dans le document Droit privé et religion (Page 108-113)

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